Cet article paru dans la livraison du Figaro de ce matin peut, comme on dit aujourd’hui, faire débat. Même entre nous où sur ce sujet, on le sait, il y a des sensibilités et des analyses parfois divergentes. À travers le dossier corse, toujours brûlant, toujours à vif, Zemmour met ici en évidence les maux qui menacent pas seulement l’unité ou la cohésion mais, existentiellement, la survie de notre société, de la nation française elle-même. Et la naissance, le développement de ces maux sont imputables au Régime en place, en fait à la République elle-même, sous sa forme française postrévolutionnaire. Ainsi, dans sa présentation, Le Figaro écrit : « Paul-François Paoli – puisqu’il s’agit ici de son nouveau livre – nous offre une analyse fine et courageuse du malaise identitaire français dans le miroir que lui tend une Corse de plus en plus rétive et distante. » Par-delà la question corse, c’est donc le malaise identitaire français lui-même qui est aussi – voire surtout – le sujet de cet article d’Éric Zemmour, dont, en général, on le sait bien, l’esprit est plutôt jacobin.
« Elle te plaît, ma sœur ? Comment, elle ne te plaît pas ma sœur ? »
Tous les lecteurs d’Astérix en Corse connaissent cette réplique culte et bien d’autres hilarantes.
À cette époque bénie, les querelles identitaires se noyaient dans un bain de rigolade. On les réglait à coups de bons mots et non à coups de machette ou de couteau. L’identité française ne se discutait pas, et se déployait en mille nuances locales, à la fois chéries et brocardées. «Le pays des deux cent cinquante-huit sortes de fromages» cher au général de Gaulle ne craignait pourtant aucun séparatisme ; «la République une et indivisible» était partout chez elle, aimée et respectée. Ce temps béni nous paraît si lointain qu’on a oublié que c’était l’enfance de beaucoup d’entre nous. Paul-François Paoli, lui, ne l’a pas oublié: «J’ai longtemps cru que j’étais français. Je sais maintenant que je suis corse», ouvre son ouvrage. Le texte est bref, mais l’ambition est vaste: que nous est-il arrivé? s’interroge notre ami que les lecteurs du Figaro littéraire connaissent et apprécient pour ses chroniques historiques.
«Jamais avant les années 1970 Je n’ai entendu un Corse me dire qu’il n’était pas français. Cette négation est devenue banale dans l’île et ne se limite pas aux indépendantistes», continue-t-il, dans son effort d’introspection. Ce n’est pas le premier livre que Paoli écrit aux sources du malaise identitaire français. Mais c’est le plus personnel, puisqu’il part de son exemple, son histoire, sa spécificité de Corse.
Paoli n’est pas un indépendantiste corse ; il en montre au contraire les contradictions, voire les ridicules, même s’il leur sait gré d’avoir empêché «la baléarisation» de l’île de Beauté. Il reprend la vieille distinction faite par la philosophie allemande entre Civilisation et Culture, pour différencier la civilisation française (et italienne) et la culture corse. Mais il n’est pas non plus le jacobin – qu’il fut naguère, nous dit-il – qui veut araser toutes les différences. Paoli nous décrit un système de vases communicants: il est de plus en plus corse au fur et à mesure qu’il est de moins en moins français.
Ce n’est pas lui qui est en cause, mais la France, et le discours dominant de nos élites qui réduisent l’identité française à une République universelle reposant sur des valeurs. Cette abstraction de l’identité française tue l’identité française. Un être humain a besoin de chair autant que d’esprit. La France, c’est une terre et un peuple, des mœurs et une langue, le fameux «peuple de race blanche, de culture gréco-romaine et de religion chrétienne», cher au général de Gaulle. Si la France – en tout cas ses élites autoproclamées – ne veulent plus l’être, les «petites patries» combleront ce manque symbolique. Cela vaut pour la Corse, mais aussi pour la Bretagne, et d’autres régions qui refusent d’être embarquées dans le maelstrom mondialiste et multiculturaliste.
Contrairement à beaucoup d’analystes pusillanimes, Paoli ne refuse pas de voir l’éléphant dans la pièce: l’islam. C’est évidemment l’islamisation – par les mœurs, les vêtements, les prénoms, les boutiques, le halal, les mosquées, les comportements mêmes, la violence aussi d’une partie de sa jeunesse – de l’espace public français qui est la cause première – et principale – du malaise identitaire français. C’est particulièrement vrai en Corse, où l’histoire millénaire de l’île se polarise autour de sa romanisation et de sa christianisation, et de son conflit séculaire avec le monde arabo-islamique, toujours trop proche, toujours trop menaçant. Paoli, avec un beau courage et une réelle finesse d’analyse, ose des distinguos qui n’ont plus cours: on peut être xénophobe mais pas raciste, les deux concepts n’ont rien à voir ; c’est la « réputation de xénophobie des Corses (qui) les protège de la submersion migratoire ».
Paoli passe en revue l’histoire d’une francisation des Corses, et non une colonisation de la Corse, comme le prétendent les indépendantistes, qui atteint son acmé avec les deux Napoléon, leurs Empires successifs, et la place dominante que les Corses vont y prendre. Les Corses sont avant tout des Romains ; ils sont français quand la France est grande et sûre d’elle-même ; ils redeviennent corses, quand la France s’abandonne à une faiblesse coupable. En fait, Paoli et les Corses posent à la France la question existentielle: « Êtes-vous encore une nation ? Ou un agglomérat de peuples disparates ? Être corse c’est être français tout en l’étant autrement que ceux qui, en France, ont renoncé à toute forme d’enracinement.» Et de nous prévenir loyalement: « Des régions françaises prendront leur indépendance si la France ne parvient pas à juguler le séparatisme islamiste. »
Longtemps, les Corses se sont inspirés de la France: ses mœurs, sa culture, sa langue, sa modernité, ses Lumières, son universalisme, son impérialisme émancipateur. Aujourd’hui, nous devons, nous, Français, nous inspirer des Corses: leur fierté d’eux-mêmes, leur solidarité clanique, leur enracinement, leur amour de leur terre et de leurs paysages et de leur histoire, leur susceptibilité, leur défense farouche de leurs traditions, leur hantise de petit peuple menacé par la submersion migratoire, et je dirais même leur xénophobie, car comme nous l’a expliqué le grand Lévi-Strauss, apôtre de l’antiracisme, un peu de xénophobie permet de sauvegarder sa culture, qui est une richesse pour l’univers tout entier. Si les Corses se sont longtemps inspirés du modernisme français, les Français doivent désormais s’inspirer de l’archaïsme corse. Paoli nous rappelle très pertinemment que «la dignité humaine, selon Hannah Arendt, a à voir avec une certaine inadéquation de l’homme à l’histoire. L’homme ne peut s’adapter à tout. La liberté n’est pas la flexibilité, elle est même tout l’inverse.» Alors, cessons de nous adapter, ne soyons plus flexibles. Chérissons notre part enfouie d’archaïsme et de rigidité.
Redevenons tous des Corses français !■
Éric Zemmour
« France-Corse, je t’aime, moi non plus ». Paul-François Paoli. éd. de l’observatoire. 149 p. 15 €. éditions de l’Observatoire
Qu’on cesse de nous parler de « la république une et indivisible » après l’abandon des trois départements d’Algérie…
Michel, tu me déçois en parlant d’une impossible (et même absurde) Algérie « française » ; Sévillia a tout dit là-dessus.
Pour la Corse, je suis plus modéré : bien que, en résidant là-bas je ne me sois jamais senti en France, je crois que si notre pays avait su tenir son rang, l’indépendantisme n’aurait eu aucune chance que de demeurer une infime minorité rêveuse.
Mais je songe beaucoup à notre ami Christian Mondoloni, ex-militant exemplaire de l’URP qui a suivi tant et tant le chemin de la déception qu’il a de fait, il y a maintenant longtemps, rejoint les séparatistes…
Cher Pierre,
Dans l’Histoire, il y a eu des formes sociales et politiqués variées. Les Rois ont créé le Nation française ; mais il y a d’autres formes comme la Cité, la Tribu et l’Empire.
Ce n’est pas les royalistes qui ont voulu un Empire français par la colonisation, mais les caciques de la 3e république.
Mais l’Empire dès lors qu’il existait devait être défendu. Comme la Pax Romana l’Empire français pouvait être et était une réalité bienfaisante.
L’Angleterre nous a limité le développement de cet Empire, puis l’émergence de la superpuissance américaine et de l’URSS l’a contrecarré. L’Etat de Napoléon III, puis l’incohérence et la faiblesse des républiques ont accumulé les défaites.
Il est donc dans l’ordre des choses que nous ayons perdu notre Empire, comme nous avons perdu notre marche à la rive gauche du Rhin. Nous n’avons même pas l’influence du commonwealth britannique.
Mais avec un autre gouvernement, la carte de « l’Empire français » était une carte qui pouvait être jouée et nous devons honorer ceux qui se sont battus pour maintenir cet Empire.
Il serait trop long, Michel, de réfléchir « à ce qui aurait pu être » et n’a pas été, pour cent raisons différentes, en premier lieu, j’en conviens la suite catastrophique de nos gouvernements.
On peut toujours pratiquer ce qu’en science-fiction on appelle « l’uchronie » (du style « Louis XVI parvient à dépasser Varennes et rejoint les armées loyales » et penser que si ceci ou si cela les choses auraient pu être différentes.
Mais autant je pense avec oi que nos Rois auraient pu installer la France sur toute la rive gauche du Rhin, autant je conçois mal comment nous aurions pu conserver (et pour qu’en faire ?) l’Oubangui-Chari ou la Haute-Volta. Même les colonies de peuplement – qui ont souvent éliminé les peuples autochtones -sont vouées à disparaître et à se dissocier des métropoles : ainsi l’Espagne n’a pas gardé l’Amérique du Sud, le Portugal le Brésil… et les Anglais les États-Unis.
« les colonies sont faites pour être perdues » dit Montherlant (dans, je crois « Le maître de Santiago »). C’est tout. Ceux qui ont lutté pour l’utopie du maintien ont droit à notre considération, voire à notre admiration, mais pas à de la considération pour leur tête politique.
Je préfèrerai toujours Louis XI « L’Universelle aragne » à François Ier « Le Roi chevalier ».