En matière d’indépendance et de libertés la Suisse est sans états d’âme et sans fébrilités inquiètes. Elle vit sa vie. Plutôt bien.
Cet article du Temps de Genève qui traite de la simplification de l’orthographe, peut évidemment se discuter. Prêter à débat.
Il nous paraît intéressant à deux titres, au moins :
1- La Suisse romande (re)prend sa liberté, lassée, probablement, par les querelles quasi-théologiques qui paralysent l’action et la réflexion chez nous. Pour Paris, les « francophonistes de service (« en charge »!) et même pour notre Académie, c’est un camouflet. À certains égards, l’on peut penser qu’il n’est pas volé.
2-Cette simplification de l’orthographe et les textes qui la présentent semblent, à la suisse, raisonnables, de bon ton, de bon sens, dénués d’hystérie ou « tabula rasa ». Une leçon pour nous où trop souvent la réflexion et les débats se figent ?
La langue française est menacée de toutes parts et il convient de la défendre bec et ongles. Mais une langue est aussi menacée si, pour toutes sortes de raisons, anciennes ou nouvelles, elle cesse d’être pleinement vivante. C’est là comme ailleurs affaire de mesure, de bon sens, de goût et de bons usages. La Suisse n’en est pas dépourvue. Ce n’est plus vraiment notre cas. D’où le double risque de la dissolution ou de la congélation.
Par Aïna Skjellaug.
L’orthographe rectifiée devient la référence pour l’enseignement du français dans les cantons romands. Le syndicat des enseignants salue cette décision permettant de faciliter l’entrée des élèves dans l’apprentissage de la lecture
Le trait d’union qui reliait les deux parties désormais collées du mot portemonnaie est parti se glisser dans le billet de deux-cents francs. Bien sûr, il restera toujours un élève zélé pour rappeler les anomalies de la graphie traditionnelle jugée obsolète et il n’en sera pas sanctionné. Mais le corps enseignant romand se basera dès 2023 sur les nouveaux manuels rédigés en « orthographe rectifiée ».
Ainsi, la consonne simple est adoptée dans tous les mots où le «l» ou le «t» suit un «e» muet. On ne grelotte plus, on grelote lorsqu’il neigeote. On n’interpelle plus, on interpèle la dentelière. Et l’on uniformise par la même occasion tous les mots qui se terminaient par -olle, en leur supprimant un «l», sur le modèle de girole et de guibole, à l’exception de colle, folle et molle. Chapeau bas à tous les circonflexes qui coiffaient les «i» et les «u»: la boite, l’abime et la croute se retrouvent têtes nues. Les cas où l’accent permet de distinguer deux mots (mur/mûr) subsistent en exception. Le pingpong, la bassecour et le piquenique perdent leurs tirets qui se retrouveront par contre dans tous les chiffres composés: vingt-et-un et deux-mille-cinq-cents, voilà qui simplifie grandement l’apprentissage des nombres.
Davantage de cohérence
Simplifier, c’est le but. La bascule vers l’orthographe rectifiée traduit une volonté de ne pas surcharger «inutilement» un enseignement déjà complexe. «Le langage n’est ni figé, ni neutre: il a évolué de tout temps et reflète nos mœurs, nos valeurs qui changent aussi», exposait mercredi Jean-Pierre Siggen, ministre fribourgeois de la Formation et président de la Conférence intercantonale de l’Instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP), en annonçant à la presse que cette graphie devenait désormais la référence pour l’enseignement du français dans les cantons romands. «Davantage de cohérence et moins d’exceptions», résume l’homme, rappelant que l’orthographe rectifiée est recommandée par le Conseil supérieur de la langue française, depuis 1990. «Il est temps d’ancrer certains usages déjà inscrits dans le dictionnaire et utilisés par les correcteurs orthographiques». Un petit livre d’OR (orthographe rectifiée) destiné aux professeurs, aux élèves et aux parents présente les 14 principes de cette nouvelle référence. Selon son président, tous les cantons de la CIIP se sont alignés «main dans la main, dans une très grande cohésion» derrière cette décision.
«L’éviction des lettres inutiles et la recherche d’une plus grande cohérence dans les accents sont des évolutions qui proviennent essentiellement de l’usage que l’on en a fait», expose le linguiste Jean-François de Pietro, actif dans le groupe de travail Evolang, à l’origine de cette réforme romande. «Mais peut-on laisser uniquement l’usage décider de l’avenir de notre langue? Au moment de l’impression des nouveaux moyens d’enseignement, nous avons voulu appliquer ces corrections.»
Outre les révisions orthographiques, la CIIP liste aussi quelques éléments du langage épicène qui seront intégrés aux nouveaux manuels de français. «Il s’agit pour le contexte scolaire de définir une position par rapport à des pratiques diverses de doublement de noms et de points médians. Nous avons voulu rester prudents en gardant à l’esprit que la priorité reste l’accessibilité des textes», explique Jean-François de Pietro. Ainsi, l’énonciation «Compare tes résultats avec ton camarade» devient «Comparez vos résultats». Il s’agit simplement de sensibiliser les élèves à une écriture qui s’adresse aussi bien aux femmes qu’aux hommes. Les illustrations et les exemples proposés iront dans ce sens.
Une forme de « cancel culture ? »
Le député PLR genevois et ancien professeur Jean Romain définit cette réforme comme l’expression d’une cancel culture. «L’orthographe est le dépositaire du passé de la langue, on ne peut pas l’effacer ainsi», plaide-t-il. Simplifier le français pour aider les élèves à mieux le comprendre: à ses yeux, l’argument ne tient pas. «Au lieu de leur donner les moyens de dépasser l’obstacle, on le supprime, déplore-t-il. C’est un éternel nivellement par le bas.» Comble de l’erreur: la suppression de l’accord du participe passé du verbe «laisser» qui «touche au sens» et va à l’encontre de la logique. On apprendra par conséquent en classe à écrire: «je les ai laissé choisir».
Sur le langage épicène, en revanche, le pourfendeur des nouvelles pédagogies à l’école se montre plus ouvert. «Je ne vois pas de problème à utiliser la tournure neutre quand elle existe, tant qu’on ne va pas trop loin avec les tirets et les points médians qui, eux, compliqueraient la lecture.»
Le syndicat applaudit
Le président du Syndicat des enseignant∙es romand∙es Samuel Rohrbach applaudit cette décision qui va «dans le sens des élèves». «Ces principes ne dénaturent pas le français mais permettent de faciliter l’entrée dans l’apprentissage de la lecture, approuve-t-il. Ainsi, dans quelques années, leur adoption sera enfin ancrée dans les usages. La cohabitation entre l’ancienne et la nouvelle pratique engendrait un certain flou et n’était pas en faveur des élèves, en particulier celles et ceux rencontrant des difficultés d’apprentissage».
Nul doute qu’il y aura des réticences chez certains, peut-être verra-t-on même apparaître des blocages posés par l’un ou l’autre des parlements cantonaux. Toutefois, la réforme porte en elle le ferment d’une langue non pas moins subtile, mais potentiellement moins excluante. ■
La Suissesse a quand même bizarrement choisi ses exemples : « laissé » suivi d’un infinitif ne s’accorde jamais en français de France ; c’est une exception comme « fait », la règle étant de faire la différence entre :
« Les acteurs que j’ai vuS jouer » ( les acteurs jouent) et
« La pièce que j’ai vu jouer » (la pièce est jouée).
Autre exemple mal choisi : le verbe interpeller, qui a toujours ses deux ll même devant une autre voyelle qu’un e muet, contrairement à appeler dont les variations (appeler/j’appellerai) compliquent la conjugaison. Quant à mettre un accent à la place des deux ll, c’est risqué car les enfants confondent les différents accents.
Enfin il ne s’agit pas d’un l ou un t qui « suit un e muet » mais qui est suivi par un e muet !
En effet dans « grelote/grelotte » le t suit un o et pas un e, mais précède un e muet.
Par ailleurs la liste des verbes en -otter et -oter mériterait certes d’être homogénéisée : soit tous avec deux tt, soit tous avec un seul.
Bien sûr je ferais mieux d’adresser ces remarques à l’auteur ( l’auteure pour ceux qui y tiennent) mais j’ai peur que ce soit trop compliqué.
Je vous remercie de votre attention.
Toute réforme se croit et se veut progressiste. Cependant, dans le cas de la réforme orthographique en question, il est pertinent de se demander si les modifications apportées concourent à une meilleure compréhension de l’écrit, si ce n’est de la langue elle-même. La suppression du double L/T peut se comprendre sans grande difficulté. Par contre, la suppression de l’accent circonflexe affiche la volonté de déraciner la langue, de la couper de ses origines, et cela est fort dommageable. Quand on apprend l’espagnol ou le portugais, par exemple, on comprend pourquoi, en français, on dit croûte ou abîme. L’article ne parle pas du tréma, mais je crois savoir qu’il a été grandement et malheureusement supprimé, y compris par les réformateurs de la langue portugaise. Suppression dépourvue de toute pertinence. Comme le disent certains fort intelligemment, niveler par le bas ne sera jamais un moyen efficace de faire d’un.e enfant une personne lettrée.
Moi qui suis habituellement un intégriste de la langue ou plutôt un amateur vigilant de ses embûches et difficultés, je me sens plutôt en accord avec l’éditorial de JSF et la réforme suisse ; comment, à un moment où les élèves, même les meilleurs, ne savent plus le français, leur faire comprendre les savantes distinctions entre imbécile (avec un L) et imbécillité (avec deux) est une tâche impossible, sauf pour les chtarbés comme moi.
Donc simplifions et rationalisons ; en tout cas l’orthographe. Mais gardons intacte la syntaxe : je suis effaré de voir combien les jeunes génération confondent, par exemple, futur et conditionnel ; combien, sans doute par mimétisme anglo-saxon, on ne dit plus Un million quatre cent mille, mais Un virgule quatre million. (et je ne parle pas du million et demi qui serait bien mieux venu que le courant Un virgule cinq million).
Cela rend bien dérisoires les revendications patoisantes dont nous avons naguère parlé, n’est-ce pas ?
Tout à fait d’accord avec Pierre Builly , pour la syntaxe , sorte d’armature de la langue . Une simplification de l’orthographe ne choquerait pas forcément ; pour autant qu’on admette conjointement la forme précédente : au temps et à l’usage de laisser tomber en désuétude ou maintenir ( un exemple curieux : nénufar ou nénuphar ) .
Afin de nourrir la discussion je mets le lien vers le document à l’origine de cet article du Temps: le petit livre d’OR.
https://www.ciip.ch/files/199/Comm_Presse_CIIP_Evolang/02_Petit-livre-d-OR.pdf
Je trouve le titre de bon aloi; Voyons si le contenu est aussi raisonnable, posé, sage et confédéral que je le supposais et si les erreurs signalés plus haut sont corrigées