PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Le mérite de Mathieu Bock-Côté, dans cette tribune que publie Le Figaro de ce main, c’est de poser crûment la question existentielle reprise en titre. Et c’est encore de reconnaître qu’à cette dernière question, nos sociétés ne sauraient plus vraiment quoi répondre. Le problème n’est-il pas que ce sont précisément les principes et les pratiques des sociétés dites libérales qui ont produit ce grand déracinement multiculturel, démographique et diversitaire qui a réduit au cœur des sociétés occidentales le citoyen des communautés historiques à l’individu-consommateur standardisé et interchangeable d’aujourd’hui ? Si la question est – provisoirement – sans réponse, le diagnostic est impeccable !
« Il existe une tentation fanatique propre à la modernité »
C’était il y a trente ans, dans un autre siècle, une autre époque, un autre monde: on croyait la démocratie libérale assurée de son règne final dans l’histoire politique de l’humanité. Elle était appelée à s’étendre jusqu’aux derniers recoins de la planète, ou presque, poussée par le sens de l’Histoire, censée résoudre ses contradictions en asséchant les passions humaines. L’Histoire ne serait plus tragique, mais un long fleuve tranquille, les hommes investissant désormais leurs ardeurs dans la conquête des biens matériels et la satisfaction de leurs besoins individuels.
Cette utopie libérale semble aujourd’hui datée. Elle n’a pas résisté à la mutation démographique des sociétés occidentales, qui a fracturé leur cohésion socio-culturelle. Les sociétés exagérément hétérogènes sont fondamentalement conflictuelles, même si la plupart des grands médias s’entêtent à égrener en mille faits divers cette brutalisation de l’existence. On parlera un jour de la bêtise intellectuelle de l’après-guerre froide qui a poussé des apprentis sorciers à participer à une entreprise d’ingénierie sociale insensée en faisant du multiculturalisme l’horizon indépassable du progrès.
Retour du tragique
Le choc des civilisations se déroule à l’intérieur même des sociétés occidentales, comme en témoigne l’émergence de la mouvance indigéniste, qui masque derrière un langage décolonial un désir de conquête. Elle détourne le langage de la démocratie pour piétiner le peuple français, traité comme s’il était de trop chez lui. Et on trouve dans une partie de la gauche de la tendance France insoumise un réflexe de soumission la poussant à célébrer ceux en qui elle reconnaît déjà ses nouveaux maîtres, qu’elle s’entête à voir comme les nouveaux damnés de la terre. Pire: les immigrés qui s’assimilent à leur pays d’accueil se font accuser de trahir leurs origines.
Ce retour du tragique va au-delà de la dislocation culturelle de nos sociétés. La désagrégation civique s’accélère au point où un quidam se permet même de s’en prendre physiquement au président de la République. Certains seuils symboliques sont franchis à grande vitesse et des déclassés se prenant pour des insurgés, à la vue de tous, annoncent ainsi un monde désinhibé où la violence se banalise.
La vie politique ne saurait se résumer à un simple processus désincarné, et il existe une tentation fanatique propre à la modernité. Elle resurgit, aujourd’hui, grimée en discours scientifique. Une gauche radicale émerge, habitée par le fantasme éradicateur de la purge. À la manière de Geoffroy de Lagasnerie, elle théorise de manière décomplexée la nécessaire fin du débat démocratique. Elle légitimera demain la violence politique. D’ailleurs, elle le fait déjà, quand elle justifie les violences antipolicières. Tel est le sens de la cancel culture.
Il s’agit désormais de bannir de l’espace public les contradicteurs des revendications diversitaires en assimilant leurs propos à des discours haineux. Assumer la continuité de la civilisation occidentale est interprété par le «wokisme» comme un désir de reconduire une culture oppressive écrasant les identités périphériques. La censure devient l’instrument nécessaire pour rééduquer une population conditionnée par les préjugés du vieux monde.
La démocratie, officiellement, se convertissait à «l’inclusion»: dans les faits, un changement de régime s’opérait. Les sociétés occidentales étaient transformées en laboratoire: elles devaient même modifier leur définition de l’humanité, au nom de la déconstruction des stéréotypes, ce mouvement culminant dans la sacralisation de la fluidité identitaire et de la théorie du genre. L’individu occidental se liquéfie aujourd’hui, cherchant des preuves de son existence à la fois dans une posture victimaire et une adhésion aux modes idéologiques les plus improbables.
Étrangement, nos sociétés, par réflexe pavlovien, se veulent exclusivement terrifiées par une extrême droite dont elles ne cessent d’étendre la définition, jusqu’à l’absurde, pour continuer à la combattre, comme si elles avaient besoin de ce repoussoir pour poursuivre leur course folle vers toujours plus de «diversité». Même devant le complotisme fou d’un Jean-Luc Mélenchon imaginant une conspiration meurtrière des services secrets à la veille des échéances électorales pour engendrer une réaction antimusulmane dans la population, une partie de la classe dirigeante parvient à détourner la tête.
Une vieille question reprend vie: comment défendre un régime de libertés, fondé sur le pluralisme politique, contre ceux qui n’acceptent pas les principes élémentaires de la société libérale et qui ne cachent même plus leur aversion pour la civilisation dont la démocratie est le fruit ? Comment les affronter ? Et au nom de quoi ? À cette dernière question, nos sociétés ne sauraient plus vraiment quoi répondre. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
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Le libéralisme est par nature totalement incapable de penser les problèmes culturels et civilisationnels, il se prétend neutre quant aux valeurs. Il ne connaît, comme le dit Bock-Côté, que les individus, interchangeables, définis en terme de travail, de consommation, mus par un calcul égoïste d’intérêt. Il est comme le marxisme obnubilé par l’économie, qui constitue peur eux deux le tout du réel. Qu’une civilisation s’écroule sous ses yeux n’est pas son problème, tant que la croissance économique est là, que le PIB augmente et qu’homo democraticus consomme. Tant que la civilisation européenne ne réarmera pas, comme elle le fait dans certains pays comme la Hongrie ou la Pologne, qui refusent par exemple de reconnaître dans le droit les pires errements de nos sociétés, comme le mariage des bougres et bougresses etc. donc tant que notre civilisation ne se reprendra pas elle sera la proie toute désignée pour ces populations allogènes animées par le ressentiment et la volonté de revanche, pour lesquelles être un européen blanc est un crime.