Par Marc VERGIER.
Le 13 février2021, j’ai aventuré des « réflexions d’un simple chaland » à propos de notre langue. Elles ont été reprises dans le numéro de JSF du 16 février (lien en bas de page).
Je concluais :
« 1-Sa relative difficulté réserve le français à des locuteurs réfléchis et qualifiés. S’il peut ainsi décourager la logorrhée débridée ou fadasse du globish, on ne peut que s’en trouver mieux.
2-L’absence quasi-totale d’accentuation du français a, me semble-t-il, la conséquence heureuse que le français pratiqué par les étrangers est, le plus souvent, harmonieux, mélodieux, amusant, sympathique. C’est tout le contraire avec l’anglais. Sans sa « musique », dont la complexité contraste avec la simplicité de sa syntaxe, il devient (pour celui qui le connaît tant soit peu) cacophonique, déplaisant à l’oreille, risible, ridicule et, parfois, périlleux. Alors que le français rend les accents étrangers sympathiques, l’anglais met, le plus souvent les étrangers en position d’infériorité, en fait des cibles facile à moquer.
Moins de discours et des discours plus mélodieux, une plus grande égalité d’armes. On devrait pouvoir convaincre les eurocrates. »
Un long article mis en ligne par la BBC ce 11 juin 2021 me semble appuyer mon propos avec des arguments bien dans l’air du temps. Son titre : « The problem of linguistic racism » , l’auteur : Christine Ro.
Je renonce à le traduire ; il est bien trop long (on trouvera le lien en bas de page). Ce qu’il expose, beaucoup ont pu en faire l’expérience : face à un anglophone, on ne peut que se sentir en position d’infériorité. comme je le proposais. Mme Ro voit dans cette expérience la manifestation d’un racisme. Le mauvais accent, la lenteur, les erreurs diverses, le langage démodé ou trop scolaire, l’absence des locutions en vogue, l’incommunicabilité des traits d’humour créent, automatiquement, chez l’anglophone la présomption d’avoir en face de lui une intelligence inférieure. Présomption qui entraîne généralement chez son interlocuteur le malaise qu’on imagine. Les compliments saluant un bon anglais seraient eux-mêmes entachés de condescendance et de racisme.
Que vient faire le racisme dans cette analyse par ailleurs pertinente? Une digression s’impose. Le monde américain, bien plus que la vieille Angleterre, fait preuve d’une grande créativité linguistique, souvent au détriment de la clarté et sans grands égards pour l’étymologie. La langue anglaise cultive aussi le cliquetis rapide des sons, leur crépitement. Cette propension contribue, comme déjà relevé, à affaiblir le locuteur étranger. On peut penser au monde du « management » , friand comme le monde politique, de termes nouveaux mettant les subordonnés (ou assujettis) sur la défensive, les surprenant, les faisant hésiter, les rabaissant subtilement, les forçant à répéter sans bien comprendre… Racisme est de ces mots-là. Placé avec la solennité qui convient aux puissants, il devient une arme de domination d’autant plus efficace qu’il sonne comme un dénonciation des abus d’autorité. On voit ça chez nous depuis un moment. Ce « racisme », sans lien nécessaire avec la race (notion par ailleurs dénoncées comme vide de sens, ce qui, évidemment, accroît la confusion) se traduirait en français classique par la préférence contraire, tout simplement. Chacun peut s’en convaincre en déconstruisant les divers racismes lus ou entendus. Vous n’aimez pas les moustachus : racisme, les chauves : racisme encore, les policiers, les grands, les gros, les blonds, les caissières, les royalistes, les informaticiens… tout est racisme dès qu’un faiseur d’opinion le décide. D’une pierre il fait même deux coups : il brouille à son bénéfice le vocabulaire et culpabilise ses auditeurs.
Toute cette confusion est à l’œuvre dans l’article de Mme Ro qui y ajoute un dose de perversité. En excluant , sans raison, les européens, elle laisse entendre que seuls les locuteurs des autres continents (y aurait-il donc des races propres à ces continents?) seraient victimes du racisme qu’elle décrit.
La BBC (peut-elle faire autrement ? ) propose sa solution : parler plus lentement, éviter les expressions propres aux initiés, écouter patiemment les étrangers…. Vœux ultra-pieux et hypocrites. Nous, Français, avons, comme je l’ai dit, un sacré atout à faire valoir : notre langue est beaucoup moins « raciste » que l’anglais ; en clair, elle est plus courtoise, plus posée: imposons-la à Bruxelles (où le peuple la parle déjà, comme à Strasbourg) ! ■
Liens
Langue française comparée : Réflexions d’un simple chaland
« The problem of linguistic racism »
Que peut bien vouloir dire une langue raciste? Celle de Molière mais aussi de Dumas ou de François Cheng?
Il y a quelque temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre, j’ai entendu qualifier la langue de fâchiste, par Roland Barthes peut-être ou par Bourdieu, pas plus de signification sauf qu’il n’y a pas eu de fascisme en France, qu’en pensais Thorez ou Marchais?