Par Maxime Tandonnet.
Cette tribune [FigaroVox, 20.06] dresse un terrible et lucide constat du nihilisme qui enveloppe tout entière la vie politique française. De Gaulle disait : « La France, ce n’est pas la droite, la France, ce n’est pas la gauche…» Maxime Tandonnet persiste à raisonner en termes d’opposition partisane droite-gauche et de retour d’une droite devenue improbable aux affaires. Mais il ne lui voit aucun projet politique digne de ce nom, capable de mobiliser. La Ve république dans son actuelle condition naufragée est-elle capable ou incapable de réagir efficacement au délitement – le mot est juste – des Institutions et de la société française ? La réponse, nous semble-t-il, est dans la question.
« Cet effondrement est évidemment le signe d’une démocratie agonisante.»
L’abstentionnisme aux scrutins régional et départemental bat tous les records en ce 20 juin 2021. Les commentaires autour d’un faible taux de participation deviennent une habitude à l’issue de chaque vote. Moins de 50 % aux élections législatives de 2017 et aux européennes de 2019, 40 % aux municipales de juin 2020. Cette fois-ci, l’effondrement est caractérisé.
Cet effondrement est évidemment le signe d’une démocratie agonisante. Dès lors que l’immense majorité des citoyens s’abstient de se rendre aux urnes, le suffrage universel est annihilé et le pouvoir du peuple devient une formule vide de tout sens. Cette situation est immensément dangereuse. La nature a horreur du vide : si le peuple se dérobe à son devoir, d’autres prendront sa place. La neutralisation du suffrage universel ouvre la voie à dictature des bureaux ou des tribunaux ou encore à l’arrivée au pouvoir de n’importe quel charlatan ou despote échappant à tout contrôle.
De fait, la responsabilité essentielle de cette situation incombe à la classe dirigeante du pays. Depuis quelques années, le naufrage de la politique au plus haut niveau dans les coups de communication, le Grand-Guignol permanent, l’obsession de paraître et de pavoiser finit par engendrer un profond dégoût des citoyens. Les sondages de popularité qui mesurent une émotion immédiate ne reflètent pas forcément cet écœurement dans toute sa profondeur. Cependant, celui-ci se retrouve dans les taux de participation misérables aux élections suivantes. Et l’image dégradée de la politique est générale, sans que les Français opèrent une distinction entre le niveau national et territorial.
À cela s’ajoute le constat tragique que les dirigeants du pays qui prennent tellement de temps à pavoiser devant les caméras de télévision pour être réélus, sont foncièrement incapables de régler les grands sujets de préoccupation des Français : un chômage qui touche 4 à 6 millions de personnes, un effondrement vertigineux du niveau scolaire, une pauvreté qui touche près de 10 millions de personnes selon l’INSEE, les problèmes de violence et de délinquance qui rongent surtout les milieux populaires, les inquiétudes autour de la maîtrise des migrations et une dette publique de 120 % du PIB. À cela s’ajoutent les conditions du traitement de la crise sanitaire et les dégâts d’une année « d’Absurdistan », que par-delà l’autosatisfaction de la classe dirigeante, les Français ne sont pas près d’oublier…
Ce taux d’abstention gigantesque traduit surtout que les Français ont largement intériorisé l’idée que toutes les majorités et tous les gouvernements se valent. Il est en partie le fruit du « nouveau monde » issu de 2017, fondé sur l’exaltation de l’occupant de l’Élysée au prix de l’affaiblissement du clivage droite/gauche, d’une confusion qui brouille les repères traditionnels de la politique autour d’un face-à-face entre une majorité au pouvoir et d’une opposition. Au milieu de ce brouillard – volontairement entretenu – la croyance qu’il n’existe aucune alternative crédible est désormais répandue. Pour une vaste majorité de Français, désormais, la vie politique est devenue une imposture et voter ne sert strictement à rien.
Et d’ailleurs, les manœuvres électorales en PACA – le ralliement de LREM à la liste LR – fortement médiatisées ont pris une connotation emblématique de ces régionales et de la vie démocratique en général. Là non plus, les responsables de cette cynique opération n’ont sûrement pas mesuré la portée symbolique de leur geste. Il aura été ressenti par beaucoup de Français comme le signe que la classe politique, ou une partie d’entre elle, est capable de tous les arrangements pour conserver ses prébendes. Que peut bien valoir, aux yeux des citoyens, une politique vouée au seul opportunisme et vide de toute conviction ?
Enfin, le peuple a aussi une certaine part de responsabilité. L’abstention ou le vote blanc peuvent avoir une justification quand les électeurs sont face à une alternative binaire, un choix « entre la peste et le choléra » ou ressenti comme tel. Toutefois, au premier tour des régionales et des départementales, tel n’est évidemment pas le cas compte tenu de la profusion des listes. Le comportement de la classe dirigeante et d’une partie des responsables politiques de ce pays n’excuse pas tout. L’abstentionnisme traduit certes une désespérance politique qui a sûrement de bonnes raisons mais il reflète aussi un renoncement collectif à exercer son droit qui n’est pas à l’honneur d’une vaste majorité. ■
Maxime Tandonnet également historien, est l’auteur de nombreux ouvrages remarqués. Il a notamment publié Les Parias de la République (Perrin, 2017) et, plus récemment, André Tardieu, l’incompris (Perrin, 2019), salué par la critique. Découvrez également ses chroniques sur son blog.
Je connais monsieur Tandonnet pour participer à son blog qui est un modèle de tenue et de courtoisie , on ne peut que lui souhaiter longue vie car son point de vue d’une grande lucidité est loin d’être toujours dans la lignée du politiquement correct.
C’est avec des gens de son style et proche de sa ligne de pensée que nous gardons espoir pour notre pays..
L’abstention peut également être vue comme le « boycott » d’une pseudo – représentation nationale .
Il est juste que l’auteur de l’article indique ( à propos de la crise sanitaire ) que « les Français ne sont pas prêts d’oublier » ( même s’il peut , temporairement , exister un »syndrome de Stockholm » et même si E.Macron prit ses distances avec ceux qui entretenaient la folie collective .