Traduction par Marc VERGIER pour JSF*
[NdT : J’ai trouvé cette petite synthèse venue des USA particulièrement intéressante. La traduisant, j’ai renoncé à me conformer au jargon militaire français (qui est peut-être identique au jargon anglais] cherchant juste à en faciliter la lecture. Précision : le « drone » anglais, c’est notre abeille mâle, le faux-bourdon.]
* Pour accéder à la publication américaine, cliquer sur THE WEEK (Image ci-dessous).
The Week Staff
June 20, 2021
Les engins volant sans pilotes transforment le champ de bataille ; ils commencent même à prendre leurs propres décisions. Voici ce qu’il faut savoir.
Leur première apparition
Ces engins sans pilote existent depuis des décennies. Des bombardiers B-24 télécommandés ont été utilisés pour frapper l’Allemagne pendant la seconde guerre mondiale et les forces américaines ont utilisé de tels avions photographes au Viêt-Nam. L’entrée en force des drones a vraiment eu lieu en 1995 avec le Gnat, subséquemment re-nommé Predator : avion sans pilote, de 49 pieds d’envergure et 12 heures d’autonomie, transmettant des videos directement à son contrôleur installé à des centaines ou des milliers de kilomètres. C’est du 7 octobre 2001, en Afghanistan, que date le premier tir ciblé depuis un avion télécommandé : un Predator de la CIA tirant un missile Hellfire sur un bâtiment occupé par le chef Taliban Mollah Omar. La cible fut manquée, c’est un véhicule situé à proximité qui fut touché et plusieurs gardiens tués. L’usage des drones s’est régulièrement accru en Afghanistan, en Iraq et au Pakistan, En 2014 l’US Airforce formait plus de contrôleurs de drones que de pilotes d’avions. Aujourd’hui, 20 pays utilisent des drones ; ils n’étaient que 8 en 2015
Leurs avantages
A la différence des chasseurs à réaction qui doivent régulièrement faire le plein et dont les équipages se fatiguent, les drones peuvent voler jusqu’à 24 heures, patrouillant, testant les défenses aériennes ennemies ou recherchant une cible appropriée. Les Predators et leurs semblables tirent des missiles. De nouveaux drones « kamikaze », peu coûteux, piquent et explosent sur leur cible. Les responsables du Pentagone craignent que la diffusion de ces engins bon marché et très efficaces modifie l’équilibre global des forces au détriment des USA. John Roth, « ministre » chargé de l’US Air Force déclarait récemment au Congrès « nos adversaires mettent déjà en service des systèmes qui rendent les nôtres vulnérables »
Qui fabrique des drones ?
La Chine en est le premier exportateur. 10 pays, au moins, parmi lesquels le Nigéria et les Emirats Arabes Unis, ont utilisé des drones chinois contre leurs ennemis. La Turquie est devenue un fabriquant important. Son Bayraktar TB2, long de 21 pieds, est armé de 4 missiles guidés par laser. Il a été remarqué pour la première fois en Syrie en février 2020. Répliquant à la mort de 36 soldats turcs par l’aviation syrienne, la Turquie déploya une escadrille de TB2 télécommandés – silencieux et peu détectables par radar – pour neutraliser les systèmes anti-aériens (de fabrication russe) tuant des centaines et peut-être des milliers de soldats syriens. Le TB2 s’est avéré déterminant dans la guerre civile lybienne de l’an dernier, repoussant l’assaut des forces du chef rebelle Khalifa Aftar (soutenu par la Russie) contre Tripoli. C’est toutefois, en 2020, lors du conflit du Haut-Karabarkh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan qu’on a vu les drones véritablement changer la façon de faire la guerre.
Comment ont-ils été utilisés ?
Au début de la guerre, les Azeris on déployé de vieux et lents avions russes transformés en drones pour appâter et repérer les défenses anti-aériennes arméniennes. En répondant, celles-ci se dévoilaient pour les attaques de TB2 turcs et de drones « kamikaze » de fabrication israélienne. La supériorité aérienne ainsi acquise, les drones azéris écrasèrent les forces arméniennes, détruisant 106 blindés, 146 canons et des dizaines d’autres véhicules. Après 6 semaines de combat, les Arméniens durent se résoudre à une trêve humiliante. Malcom Davis, de l’Institut australien d’études stratégiques, déclara que cette guerre était susceptible de bouleverser l’art de la guerre terrestre.
Quels autres bouleversements peut-on attendre ?
Les experts craignent que la prolifération des drones favorise l’éclatement de conflits meurtriers. Les pays qui hésitent à exposer les vies de leurs soldats dans une vraie guerre pourraient utiliser des drones. Selon Jason Lyall, expert en technologie militaire à l’université Darmouth, la disponibilité de drones armés, à usage unique et peu coûteux, pourrait tenter certains Etats à mettre ainsi fin à de vieux conflits territoriaux non réglés. D’autres experts redoutent la diffusion de drones autonomes ne nécessitant aucun contrôle humain. Les Nations-Unies ont récemment rapporté qu’un « quadcopter » turc pesant 7 à 8 kilos a, de lui-même, en Libye, ciblé et déclenché une attaque suicide sur des forces rebelles qui faisaient retraite. Si cette attaque de mars 2020 a fait des victimes, ce serait, pour l’expert en sécurité Zachary Kallenborn, « le premier cas connu d’un usage létal d’une arme rendue autonome par intelligence artificielle (AI) ».
Qui d’autre fabrique des drones à AI ?
Les USA, la Chine, la Russie, l’Inde étudient tous le déploiement simultané de vagues (ou d’essaims) de dizaines ou centaines de tels drones agissant de concert (ou de conserve) pour dominer les forces adverses. Des associations humanitaires ainsi que des chercheurs en intelligence artificielle appellent de leurs vœux une interdiction des robots tueurs, arguant que leur prolifération serait périlleuse, même si on exclut un scenario « Terminator » dans lequel ces robots se retournent contre leurs créateurs. Max Tegmark, physicien au MIT, déclare : « de telles armes autonomes, si peu chères que n’importe quel terroriste pourrait s’en procurer, sont incompatibles avec la sécurité des Etats-Unis ». Pourtant, aucun des grands pays qui cherchent à mettre au point ces drones intelligents ne s’est déclaré favorable à leur interdiction, estimant que leurs adversaires pourraient ne pas la respecter. M. Heiko Maas, ministre des affaires étrangères allemand estime que « nous nous dirigeons vers une situation dans laquelle chacun est libre de s’équiper en armes autonomes ou « cyber »[nétiques ?] .
Comment se défendre contre les drones ?
La course pour les drones a déclenché une course aux armes anti-drones. En 2019, l’armée US a utilisé le système Howler (développé par Raytheon) qui, installé sur les blindés ou autres véhicules, cherche avec un radar les drones ennemis. Détectant l’approche d’un drone, Howler lance un « Coyote », drone intercepteur de 3 pieds qui explose dès contact, entraînant l’engin ennemi dans sa destruction. Ces armes s’avèrent cependant trop dangereuses pour la défense de zones très peuplées , c’est pourquoi on étudie des solutions à moindre puissance explosive. La DARPA ((Agence US pour les projets de recherche de pointe en matière de défense) a créé un drone intercepteur qui projette par aérosol une espèce de serpentin (« silly string », comme déjà utilisé pour détecter les « fils de déclenchement » de mines) capable de bloquer les rotors du drone et de provoquer sa chute. La Chine, de son côté, a mis au point un canon « Gatling » à 20 « bouches » prévu, selon les experts en armement, pour opposer aux vagues de drones ennemis un mur de balles ou de petits obus. La recherche anti-drone en est encore à ses débuts et, comme le dit M. Lyall déjà cité ; « la défense doit remonter la pente dont bénéficie l’offensive ». ■
Passionnant mais glaçant. Merci à Marc Vergiet.