PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Le mérite de Mathieu Bock-Côté, dans cette tribune publiée dans Le Figaro du 18 juin, est, comme toujours, d’aller au fond des choses, d’en montrer l’origine, la quintessence et les conséquences ultimes. Il a raison de dire qu’il s’agit ici, non plus de problèmes individuels, d’éthique des personnes, pour partie médicaux, mais de construire le nouvel homme nouveau, remplaçant ce dernier, et les sociétés qui iront avec. C’est en fait une offensive supplémentaire contre l’ordre selon la tradition. Et, comme les sociétés africaines ou asiatiques y sont pour l’instant insensibles ou carrément hostiles, c’est une offensive contre l’Occident européen et / ou d’origine européenne. De personnelle, et de portée ultra minoritaire, la question est aujourd’hui politique.
« Un projet de rééducation projetant les sociétés occidentales dans une authentique névrose. »
Nous l’apprenions dans Le Figaro mardi, la Suède, longtemps à l’avant-garde dans la prise en charge médicale du changement de sexe des mineurs, commence à douter de la valeur de cette idée, au point que l’hôpital Karolinska, spécialisé dans le domaine, refuse désormais de leur offrir le traitement hormonal qui le rendait possible. Derrière ce coup de frein, un constat: alors qu’il s’agissait d’un phénomène marginal, la dysphorie de genre s’est répandue, depuis une dizaine d’années, comme si des milliers de jeunes en quête identitaire trouvaient dans la théorie du genre et la transidentité un vecteur pour canaliser leur malaise existentiel, en plus d’obtenir en s’engageant dans cette démarche la reconnaissance d’une époque les transformant en avant-garde de l’émancipation. Hollywood fait grand cas, par exemple, des histoires de transition qui y surgissent, comme autant de moments pédagogiques censés éduquer l’humanité.
Nul ne conteste la détresse de ceux qui se sentent étrangers à leur propre corps: c’est de son idéologisation et de son instrumentalisation dont on parle ici. De médicale, la question trans est devenue politique, ce que reconnaît la mouvance trans qui se présente comme un mouvement de libération permettant la reconnaissance dela diversité sexuelle, censée s’émanciper après des millénaires de domination de l’« hétéropatriarcat », qui aurait enfermé l’humanité dans les cages étouffantes du masculin et du féminin.
On assiste, d’ailleurs, à une psychiatrisation de la résistance à cette «évolution des mentalités»: c’est en phobies qu’on décompose aujourd’hui les résidus de la société traditionnelle et c’est à la manière de troubles psychologiques graves qu’on aborde ce que le vocabulaire de l’époque nomme la fermeture à l’autre et la résistance au changement. L’idéologie dominante fait passer pour fous ceux qui ne l’applaudissent pas.
Autoengendrement
À travers cela s’opère un basculement anthropologique: le masculin et le féminin deviennent des catégories réactionnaires fossilisées. La fluidité identitaire devient la nouvelle norme à partir de laquelle penser l’identité sexuelle, l’être humain devant revenir à une forme de magma originel indéterminé antérieur à sa chute dans l’histoire pour renouer avec les conditions d’une authentique liberté. Le « non-binaire » devient le nouvel homme nouveau. Les ancrages immémoriaux de l’humanité sont transformés en construits sociaux comme les autres. Le fantasme de l’autoengendrement resurgit, comme si l’être humain, s’arrachant pour de bon à une filiation jugée aliénante, devenait lui-même son propre créateur. Il devient même courant, chez les membres de la jeune génération, de préciser quels pronoms chacun utilise pour se désigner. La modernité a moins éteint les aspirations religieuses présentes dans l’âme humaine qu’elle ne les a falsifiées en cédant à sa tentation démiurgique.
Nous ne savons plus ce que nous tenons pour réel et nous avons le fantasme d’une plasticité intégrale de l’existence humaine. Le chemin avait été balisé par ceux qui ont cru remplacer la référence au père et à la mère par celle de parents 1 et 2, comme s’il était possible de neutraliser administrativement les coordonnées fondamentales de la nature humaine. La modernité a d’abord cherché à faire l’homme nouveau en transformant la société en laboratoire de l’utopie: elle entend désormais le fabriquer en laboratoire directement. Chaque fois, c’est une tentation totalitaire qui se dévoile, comme si l’existence était intégralement programmable, comme si son mystère, jusqu’à celui de la différence sexuelle, pouvait se dissoudre dans les catégories de la rationalité technique.
Le régime diversitaire s’est constitué sur le procès de la civilisation occidentale. Mais il ne peut se déployer qu’en trouvant toujours de nouvelles minorités à libérer, ce que rend possible l’acronyme LGBTQ2T+ (lesbiennes, gais, bisexuels, transsexuels, queers, bispirituels, etc.) qui ne cesse de s’étendre au point de devenir incompréhensible et témoigne d’un éparpillement à l’infini d’une subjectivité forgée dans la matrice victimaire. La question trans devient le point de tension maximale entre le régime diversitaire et la population et témoigne de la capacité à dissoudre intégralement le monde dans ses catégories, car si les sexes n’existent plus, tout est permis et la société, arrachée pour de bon à la nature humaine, peut être soumise à toutes les manipulations symboliques.
Il est difficile de ne pas voir dans les thérapies et chirurgies de réassignation sexuelle l’équivalent à gauche des absurdes thérapies de conversion proposées par la droite chrétienne américaine. D’ailleurs,de plus en plus de jeunes qui ont transitionné témoignent de leur détresse. La nature sexuée de l’humanité n’est pas une mystification patriarcale et si la signification du masculin et du féminin évolue au fil des siècles,il serait insensé de vouloir les abolir. L’histoire jugera ceux qui ont manipulé la détresse des jeunes personnes se sentant étrangères à leur propre sexe en les transformant en cobayes pour imposer un projet de rééducation projetant les sociétés occidentales dans une authentique névrose. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Sélection photos © JSF
Je m’indigne quant à moi qu’il n’y ait pas encore de candidat LBGTQRTWZTYSPGT à l’élection présidentielle. Un candidat métisse transgenre hermaphrodite quadrisexuel serait pourtant l’incarnation de la volonté de notre société d’aller vers l’avenir et d’en finir avec le monde ancien. Élu, il pourrait se consacrer à cette tâche prioritaire de transformer l’école en laboratoire de transgenrisme en proposant à chaque élève la perspective enthousiasmante de changer de sexe et de genre. Et il pourrait lancer une politique d’interdiction progressive (et progressiste, cela va de soi) d’interdiction du mariage hétérosexuel, ce vestige d’un monde dépassé. Et il serait enfin possible de laisser de côté ces problèmes mineurs et parfaitement inintéressants que sont le chômage, la dette de la France, l’insécurité et l’immigration. Il y a tout de même un ordre des priorités à respecter.
Une analyse pertinente, réfléchie, posée, bref merci !!!!!