Par Rémi Hugues.
Se prend-il pour Dieu ? Bernard-Henri Lévy, le philosophe milliardaire, a récemment tenu des propos qui interpellent.
Accordant une interview à Apolline de Malherbe sur BFMTV le 15 mai 2021, il a peu ou prou suggéré qu’il se considérait comme immortel : « Moi j’ai le sentiment que ma charmante et merveilleuse, et si élégante maman, m’a trempé tout entier dans le Styx. »[1] À quoi la journaliste, intrépide, a reparti : péché d’hybris… ?
Concédons que BHL a dit ensuite avoir conscience qu’un jour il mourra, que la mort arrivera un jour, mais sa sortie a de quoi interroger à l’heure où la Silicon Valley travaille très sérieusement à ce projet qui correspond à un vieux rêve du genre humain : accéder à l’immortalité[2].
On peut se demander dès lors si notre philosophe-engagé-à-la-chemise-blanche ne s’est pas recyclé dans la propagation des idées transhumanistes. Peut-être sera-t-il chargé un jour – qui sait ? –, tel un René Cassin qui après-guerre dirigea la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, d’écrire une « Déclaration des droits de l’homme augmenté », et d’en assurer la promotion sur tous plateaux de télévision de la planète.
L’un des soubassements mythologiques de l’œuvre du poète était le mystère de la pierre philosophale, dont les alchimistes partirent en quête. Cette pierre magique avait, croyait-on, la vertu de rendre immortel celui qui la possédait.
Un examen approfondi du poème des Fleurs du Mal « Correspondances » – qui est à regarder comme le manifeste du symbolisme – nous a amené à comprendre son titre de la manière suivante : l’envoi de lettres entre des personnes, ce qui n’invalide en rien l’interprétation rimbaldienne des analogies (au sens d’opérer des associations pour les moins incongrues, comme donner une couleur à chaque voyelle[3]) mais la complète.
Ainsi, la thèse baudelairienne est, nous semble-t-il, que celui qui écrit – qu’il soit poète, romancier, essayiste, etc., – peut devenir immortel car il donne la possibilité à la postérité de le lire, il se dote de ce pouvoir d’ordre métaphysico-magique qui consiste à faire communiquer les vivants et les morts, à les relier alors que cela est a priori impossible.
Les textes de nos glorieux ancêtres ne sont pas autre chose que des lettres qu’ils nous adressent, des messages colportés depuis l’au-delà à destination des générations présentes, des bouteilles à la mer envoyées aux humains du futur.
Faire l’effort ici bas de s’y intéresser – de les lire, les relire, les ruminer, les méditer – c’est accepter d’entretenir une correspondance particulière, spéciale, avec des êtres que Roger Gilbert-Lecomte (Photo) appelait « mort-mots »[4].
On notera à cet égard que les membres de l’Académie française sont surnommés « Les Immortels »[5]. ■
[1]https://www.youtube.com/watch?v=n9dPGMllhm4
[2]J’ai étudié cette question dans L’Essence de la modernité, Paris, Édilivre, pp. 53-57.
[3]Dans Les Taches dʼencre, Maurice Barrès écrivit un article intitulé « La sensation en littérature. La folie de Charles Baudelaire » où il note que Baudelaire « procède par sensations associées, par correspondances […], cʼest-à-dire quʼil a lʼintuition secrète de rapports invisibles à dʼautres. Il rapproche ainsi par des analogies inattendues des sensations déjà étranges. […] Plus excessif encore est le curieux sonnet des voyelles dʼArthur Rimbaud. ʽʽA noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles.ʼʼ Tous les jeunes artistes de lʼécole se complaisent à ces transpositions. », LʼŒuvre de Maurice Barrès, t. I, Paris, Club de lʼHonnête Homme, 1965, p. 396.
[4]Roger Gilbert-Lecomte, Arthur Rimbaud, Montpellier, Fata Morgana, 1972.
[5] Sur ce point, le site officiel de lʼAcadémie française écrit ceci : La qualification d’immortels, propre aux élus de l’Académie française, peut prêter à sourire, mais les académiciens en mesurent sagement la portée. Ils doivent leur surnom d’immortels à la devise ʽʽÀ l’immortalitéʼʼ, qui figure sur le sceau donné à l’Académie par son fondateur, le cardinal de Richelieu et qui se réfère à leur mission, porter la langue française. C’est celle‑ci qui est immortelle. L’ordonnance de 1816 qui rétablit les académies précise — art.10 — que ʽʽl’Académie française reprendra ses anciens statutsʼʼ ; la devise décidée par Richelieu en fait partie.
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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