Par Rémi Hugues.
L’autre propriété attribuée à la pierre philosophale était de transformer le plomb en or. L’alchimie baudelairienne s’est justement ingéniée à faire de l’or à partir de boue, comme le montrent les poésies « Le Soleil » ou « Les Aveugles », ainsi que les ultimes vers de l’ébauche d’un épilogue pour la deuxième édition de Fleurs du Mal :
« Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence,
Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or. »
Mais c’est à ce géant du romantisme qu’est Goethe que l’on doit la réflexion la plus aboutie sur cet autre aspect de la pierre philosophale, auquel est associée la légende de Nicolas Flamel, ce libraire parisien du Moyen Âge qui se serait considérablement enrichi sans que l’on sache comment. (Ci-contre : Eau-forte de Goya, No saben el camino, ou Les Aveugles)
Dans le Second Faust, Goethe a mis en évidence que l’invention de la monnaie-papier résolvait cette question de savoir comment il est possible de changer une matière vile – symboliquement le plomb – en une matière noble – symboliquement l’or –.
Les souverains d’Europe de l’âge classique (XVIIe siècle), en échange d’un morceau de papier d’une valeur infinitésimale purent d’un coup obtenir des quantités massives d’or[1] ; c’est – vous en conviendrez – la plus belle des opérations financières !
Concernant la France ce prodige eut lieu au XVIIIe siècle, avec la mise en place du système de John Law, qui naquit en Écosse en 1671 et réussit à convaincre le Régent le duc d’Orléans qui « avait jadis cherché la pierre philosophale. Law propose de faire de l’or avec du papier. »[2] Instauré en 1718 jusqu’en 1720, le système Law désarçonna les Français, aux yeux desquels il fut vite discrédité. Montesquieu fut abasourdi par cette affaire à tel point qu’il dressa un portrait de l’homme de finances écossais dans ses Lettres persanes :
« Dès qu’il fut grand, son père lui apprit le secret d’enfermer les vents dans les outres, qu’il vendait ensuite à tous les voyageurs : mais comme la marchandise n’était pas fort prisée dans son pays, il le quitta, et se mit à courir le monde en compagnie de l’aveugle dieu du hasard.
Il apprit, dans ses voyages, que dans la Bétique, l’or reluisait de toutes parts ; cela fit qu’il s’y précipita ses pas. Il y fut fort mal reçu de Saturne – Louis XIV – qui régnait pour lors : mais ce dieu ayant quitté la terre, il s’avisa d’aller dans tous les carrefours, où il criait sans cesse d’une voix rauque : ʽʽPeuples de Bétique, vous croyez être riches, parce que vous avez de l’or et de l’argent. Votre erreur me fait pitié. Croyez-moi : quittez le pays des vils métaux ; venez dans l’empire de l’imagination et je vous promets des richesses qui vous étonneront vous-mêmes.’’ Aussitôt il ouvrit une grande partie des outres qu’il avait apportées, et il distribua de sa marchandise à qui en voulut.
Le lendemain, il revint dans les mêmes carrefours, et il s’écria :
ʽʽPeuples de Bétique, voulez-vous être riches ? Imaginez-vous que je le suis beaucoup aussi ; mettez-vous tous les matins dans l’esprit que votre fortune a doublé pendant la nuit ; levez-vous ensuite ; et, si vous avez des créanciers, allez les payer ce ce que vous aurez imaginé, et dites-leur d’imaginer à leur tour.’’ » (Lettre CXLII)
La monnaie-papier, telle fut l’invention qui inaugura les Lumières, ce mouvement philosophique et littéraire qu’affectionne tant BHL.
À la différence de ce dernier, Baudelaire était entièrement convaincu de la vérité du message catholique, lequel message porte la foi en l’immortalité. La résurrection d’entre les morts est une promesse clairement établie par le Christ : « Quand on ressuscite d’entre les morts, en effet, on ne prend ni femme ni mari ; on est comme des anges dans les cieux. Et sur ce que les morts ressuscitent, n’avez-vous pas lu dans le livre de Moïse, au passage du Buisson, comment Dieu lui parla : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob ? Il n’est pas un Dieu de morts, mais de vivants. » (Évangile de Marc, chapitre XII, versets 26 et 27).
Souvenons-nous de surcroît de cette parole de saint Paul : « Le dernier ennemi détruit, c’est la mort » (chapitre XV, verset 26 de la Ier épître aux Corinthiens).
Néanmoins, comme dit l’adage, beaucoup d’appelés, peu d’élus… Au lieu d’insuffler la vie BHL a essaimé la mort. Sans parler des guerres de l’OTAN pour lesquelles il a œuvré en tant que tribunitien, de la Bosnie à la Libye, en passant par l’Afghanistan, sa carrière médiatique est un plaidoyer en faveur du paradigme moderniste, héritier des Lumières et de la Révolution de 1789.
Or Léon Bloy dans Jeanne d’Arc et l’Allemagne ne fit-il pas remarquer que « les peuples modernes ont greffé sur l’arbre de la Science le sauvageon de la mort »[3] ? ■
1]Le monnaie-papier a été créée à Venise, Gênes, Genève, Anvers à la fin du Moyen Âge, « développé par les Hollandais au XVIIème siècle, importée par eux en Angleterre […], elle se perfectionne encore au XVIIIème siècle, gagne les grands États du continent par la France et sʼétend vers lʼEst de lʼEurope. », Maurice Crouzet (dir.), Histoire des civilisations, V, Le XVIIIème siècle. Lʼépoque des « Lumières » (1715-1815), Paris, P.U.F., 1967, p. 118. En effet, au milieu du XVIIIème siècle, lʼAutriche, lʼEspagne, la Suède et la Russie se mirent à émettre de la monnaie en papier.
[2]Jean de Viguière, Histoire et dictionnaire du temps des Lumières, Paris, Robert Laffont, 1995, p. 1102.
[3]Marseille, Belle-de-Mai Éditions, 2021, p. 26.
Retrouvez la 1ère partie de cet article :
Éternel, Immortel, B.H.L. [I]
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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