Par Philippe Mesnard.
Désormais, deux tiers des Français se moquent royalement des élections qu’on leur propose.
Ils ont compris d’une part que le système politique, médiatique[1] et judiciaire fonctionne comme un organe de contrôle hors de contrôle, aux noms de principes nouveaux, érigeant des barrières infranchissables contre les candidats et les idées qui lui déplaisent ; d’autre part que ce même système fonctionne en dehors des institutions prétendument représentatives : combien de LGBTQI+ en France ? Combien de végans ? Combien de millionnaires ? Mais combien de lois influencent-ils, combien de préfets les laissent faire ?
Qu’importe. Au nom du contrôle, Fillon a été éliminé. Au nom du contrôle, le président de la République en exercice est en campagne permanente au mépris des lois électorales. Au nom du contrôle, on admet que les Français ne votent plus pourvu qu’ils ne votent pas mal. Au nom du contrôle, la Justice condamnera avec la plus extrême sévérité ou décidera qu’il n’y a pas même matière à instruire. Et au nom de la désintitutionnalisation (pour reprendre le mot à D. Reynié), les minorités activistes obtiennent des municipalités, des départements, des régions et de l’État des “avancées” sociétales, qui légitiment en retour que d’autres accordent les mêmes prétendus droits, ou des exceptions chaque jour plus nombreuses aux lois et à leur esprit, quand ces mêmes lois ne sont pas purement et simplement annihilées par le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel, en dehors de tout contrôle démocratique. Non pas tant qu’un tel contrôle paraisse le plus sûr moyen de bien gouverner mais enfin, dans une pays qui se veut si droit, si légal, si moral, si exemplaire, un peu de cohérence ne messiérait pas, non ?
Pourquoi voter ?
Les Français sont dégoûtés : pourquoi voter puisqu’on n’est pas représenté ? On n’est pas représenté parce que son parti, LFI ou RN, est bloqué, mais surtout parce que ses idées ne sont pas défendues : pourquoi réclamer à cor et à cri que l’immigration soit stoppée, que la sécurité soit assurée, quand des patrons réclament, eux, et sont écoutés, eux, qu’on augmente l’immigration, et que le ministre de la Justice explique que tout va bien ? Pourquoi, même, descendre dans la rue quand la police se déchaîne contre des citoyens présentés comme des fascistes émeutiers ? Dans certaines villes pauvres, 95 % de la population ne votent plus ! Les “jeunes” (18-24 ans) non seulement ne votent pas mais ne s’inscrivent plus sur les listes électorales. Les Français vivent dans un pays où le président a été élu par une poignée du corps électoral potentiel, où le parti présidentiel recueille continument des scores minables, encore plus minabilisés quand on regarde le nombre d’électeurs réels, où les exécutifs régionaux sont élus par 10% de la population, où les partis d’opposition ne servent plus à rien ; où le Premier ministre s’est fait voter des pouvoirs exceptionnels (Art. 1 de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021), dernier accroc en date aux libertés et au fonctionnement démocratique des institutions ; où tout le monde a compris que les formes démocratiques étaient vides. Les institutions ont perdu toute légitimité et, donc, l’exercice de leur autorité est insupportable.
Les Gilets jaunes méprisent les urnes
Car cette autorité suppose qu’il est bon d’abandonner nos frontières, ne parle de souveraineté que pour désigner l’Europe (qui vilipende la Hongrie mais va se rapprocher de la Turquie), prononce en permanence de grands mots vides d’effets mais, en revanche, s’applique à réduire toutes nos libertés essentielles tout en reconnaissant que des communautés précises, des territoires identifiés, peuvent, eux, jouir des libertés qu’ils s’accordent sans pour autant renoncer aux subventions de toutes sortes. Il y a simultanément une frénésie de contrôle, de punition et d’asservissement, et un abandon complet des laissés pour compte du progrès. La République aura réussi à dresser contre elle les pauvres, les humiliés, les obscurs, les sans-grades, tous ceux qu’elle prétend écouter mais à qui elle dit qu’ils ne comprennent pas et jugent mal. Les Gilets jaunes ne sont pas matés, ils muent. Ils ont compris que le pouvoir n’était pas dans les urnes. Ils les méprisent, désormais. Ils scrutent ceux qui ont l’oreille du pouvoir, ce composé médiatique, financier et partisan. Bientôt ils rentreront en désobéissance pour constituer un contre-pouvoir dissolvant. ■
[1] . On lira avec profit « Au nom de la démocratie, votez bien ! » de Mathias Reymond, Agone/Acrimed, 2019 : très à gauche, l’ouvrage est parfait dans sa description documentée du pouvoir de prescription (consécration/stigmatisation) des journalistes.