PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette tribune est parue dans Le Figaro du 27 juin. Elle analyse avec pertinence les réactions de la gauche idéologique exaspérée par l’apparition, pour elle insupportable, d’une presse rivale. C’est à lire, évidemment.
La récente une de Libération cherchant à diaboliser des médias accusés de verser dans le «crime de pensée» surprendra seulement ceux qui ignorent cette vérité fondamentale de la politique contemporaine: rien n’est plus intolérant qu’un journaliste de gauche qui se prend pour un journaliste objectif. Ivre de vertu, convaincu d’œuvrer pour la vérité, accusant ceux qui ne voient pas le monde comme lui de véhiculer des fake news, il s’exaspère de l’apparition d’une presse rivale, qu’il nomme presse d’opinion, dans la mesure où les opinions qui s’y expriment ne sont pas les siennes.
Très vite, il décrète qu’il s’agit d’un média «de droite», le terme suffisant naturellement pour la décréter suspecte. Mais qu’est-ce qu’un média «de droite»? C’est un média où les représentants de cette famille d’esprit ne sont pas accueillis comme des malpropres, où elle parle en son propre nom sans qu’on se contente de prétendre dévoiler ses arrière-pensées, nécessairement coupables.
Quel est le rôle des médias en démocratie? Nombre de journalistes de gauche confessent leur nostalgie de l’entrevue en forme d’interrogatoire, où le suspect idéologique du moment était soumis aux questions tirées de l’orthodoxie. La gauche idéologique est fondamentalement cléricale. Derrière l’inquiétude affichée devant l’émergence de médias «de droite» se dévoile une peur panique: celle d’une perte du monopole sur la mise en récit légitime de l’existence collective. Celle de ne plus pouvoir décréter unilatéralement ce qui est scandaleux, ce qui relève de l’émouvant et du répugnant, de l’essentiel et du fait divers. Il ne tolère pas qu’on hiérarchise l’information autrement qu’il ne le fait.
Le foisonnement des informations caractérise notre temps, et leur mise en perspective devient une activité démocratique fondamentale. Plusieurs se désolent de la multiplication des plateaux de débats à la télévision. À tort. Le propre de l’émission de débats à la française est de mettre l’actualité en contexte, et de faire porter la querelle sur la bonne manière d’interpréter les faits. Elle permet aux contradictions qui traversent l’époque de resurgir au cœur de la cité et de structurer la vie publique.
Il faut pratiquer une sociologie de l’étiquetage médiatique, en s’intéressant aux concepts qui la fondent. Ainsi, quand on présente un intellectuel comme un «polémiste xénophobe», ou un magazine d’information comme un «hebdomadaire ultraconservateur», sans qu’on prenne la peine d’expliquer ce qui distingue le conservateur ordinaire de l’ultra, on le fait explicitement pour diaboliser. L’étiquette ne sert pas à décrire mais à décrier: elle marque publiquement l’intellectuel délinquant. Elle permet d’en appeler à son congédiement, à sa mise à mort professionnelle et à son bannissement par les annonceurs, pour conduire le titre qui l’engage à l’asphyxie financière.
On le voit aussi avec l’usage pavlovien du concept d’extrême droite, à la définition toujours aussi vaseuse, qui sert surtout à infréquentabiliser celui à qui on l’accole, en le transformant en figure diabolique contre laquelle on mènera une politique relevant de l’exorcisme. La multiplication dans les médias de «spécialistes de l’extrême droite» traités comme autant de démonologues compétents faisant le portrait du lépreux à maudire donne une apparence de scientificité à ce lynchage symbolique. L’extrême droitisation du désaccord peut même aller jusqu’à la répression juridique, comme on le voit quand un journal passe devant les tribunaux.
Les insultes viennent en grappe: le méchant de service sera alors jugé raciste, sexiste, xénophobe, homophobe et islamophobe, comme s’il ne devait plus rester la moindre parcelle d’humanité sauvable chez celui qu’on appelle le haineux. La gauche médiatique nomme «libération de la parole raciste» la réaction d’un peuple qui ne veut pas mourir. Elle qualifie de phobies le refus de céder aux caprices «minoritaires». Le monde d’hier et ses restes doivent se dissoudre et ceux qui le défendent doivent être purgés de la vie publique, car leur parole risquerait de réactiver les mentalités traditionnelles d’un peuple inhibé qui pourrait être tenté par l’insurrection démocratique s’il la jugeait possible.
La gauche idéologique redoute le pluralisme médiatique, car à travers la diversité des points de vue se révèle une conception du débat public substituant au sens de l’histoire le pluralisme des valeurs et des visions du monde, ce dernier autorisant l’expression d’idées qu’elle voudrait condamner aux marges, à la manière de croyances résiduelles, périmées, contraires à l’interprétation biscornue qu’elle propose de la démocratie. Il permet la formulation d’idées qu’elle voudrait maudire, même éradiquer. Elle préfère conspuer plutôt que débattre, certaine d’être en possession exaltée de la vérité. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Sélection photos © JSF
Il y a en tout médiacastre de gauche un terroriste de 93 ou un commissaire politique qui sommeille et la plupart du temps d’un seul oeil. Ces gens sont des fanatiques si l’on s’en tient à la définition proposée par le TLF, le magnifique Trésor de la Langue Française :
» En parlant d’une pers.] Qui est porté au fanatisme, qui adhère à une cause ou à une doctrine religieuse, politique ou philosophique avec une conviction absolue et irraisonnée et un zèle outré poussant à l’intolérance et pouvant entraîner des excès. »
Rappelons que le terme E. D. ( extrême droite ) est utilisé par l’administration électorale pour qualifier certains candidats, sans leur demander leur avis, (sigle comme DVD ou PC) ce qui permet une ‘reductio ad hitlerum » facile.
« On est toujours le fachiste de quelqu’un d’autre » aurait dit Brasillach.
« Un pur trouve toujours un plus pur qui l’épure » ( Ernest Picard .1821-1877, personnage peu connu mais très important au 19 ème siécle)
« Robespierre est le père de tous les totalitarismes modernes: le totalitarisme de l’égalité, le totalitarisme de la vertu … et le 3ème ? » ( propos d’un Professeur de l’Université de Tel- Aviv à un colloque sur la Révolution Française ( paru aux PUF) que je ne retrouve plus …