Par Henri.
Pour comprendre comment Dostoïevski a vu la « ténuité des racines » de notre régime* il faut un peu plonger dans son œuvre et voir comment il dévoile les fausses promesses d’un âge d’or qui nous permettrait d’accéder à la béatitude, comme celle-ci nous est aujourd’hui serinée par cette litanie magique des « valeurs de la république » , qui nous dispenseraient de lutter pour notre liberté spirituelle et nous plongerait dans la servitude ou la tentation du surhomme. (N’est-ce pas les deux avec la dictature sanitaire et le rêve fou de s’affranchir de nos limites aujourd’hui ?)
Je cite le rêve de Versiloff dans le roman mal connu de Dostoïevski « l’Adolescent. »
– Mais alors l’Europe ne vous a pas ressuscité demande le fils à son père. ?
– Si. L’Europe m’a ressuscité, mais je partais pour l’enterrer répond Versiloff.
– L’enterrer ? demande le fils
– C’était en Allemagne, je vis donc en songe ce tableau que j’appelle l’âge d’or : des vagues bleues et caressantes, (…) dans le lointain un panorama féérique, un coucher de soleil séducteur ; c’était là le paradis terrestre, de l’humanité, les dieux descendus du ciel et s’apparentant aux hommes. Oh ! qu’ils étaient beaux ces hommes-là ! Ils se levaient et s’endormaient heureux et innocents, pas seulement en peinture mais en réalité. Songe merveilleux, sublime aberration de l’humanité ! L’âge d’or est le rêve le plus invraisemblable de tous ceux qui ont jamais été, mais pour lui les hommes ont donné toute leur vie et leurs forces ! Pour lui sont morts et ont été tués les prophètes, sans lui les peuples ne veulent pas vivre et ne peuvent même pas mourir. (… ) Et toute cette sensation, je l’ai vécue dans ce rêve ; les rochers et lamer, les rayons obliques du soleil couchant, tout cela, il me semblait le voir encore, lorsque je m’éveillai et ouvris les yeux, littéralement baignés de larmes (..) Une sensation de bonheur encore inéprouvée traversa mon cœur, jusqu’à la douleur, A travers la verdure des fleurs placées sur la fenêtre un faisceau de rayons obliques frappait la vitre de ma chambrette et m’inondait de lumière …
Eh ! bien, mon ami, eh ! bien ce soleil couchant du premier jour de l’humanité européenne se transforma tout à coup quand je m’éveillai en soleil couchant du dernier jour de l’humanité européenne ; à ce moment on entendait en Europe un glas d’enterrement… Oui, ils venaient de brûler les Tuileries., (N.B…Il s’agit bien sûr de la guerre de 1870, de l’incendie des Tuileries et de la Commune) et de proclamer l’athéisme. (…) »
1870-1871, n’est-ce pas le rêve retrouvé de la république suivi du cauchemar de la guerre civile ? ■
Se reporter à : Le grand Dostoïevski nous rappelle « la ténuité des racines qui unissent la République au sol français » … Vous croyez que ça vaut pour hier ou pour aujourd’hui ?
(Publication du 29 et commentaire du 30 juin 2021)
Dostoievski en parlait il y a presque un siècle et demi, et depuis la République s’est enracinée. Il faut en remercier cet imbécile de comte de Chambord.
Je ne crois pas du tout que la République se serait profondément enracinée en France. L’actualité dit tout le contraire.
Ah bon? Depuis 150 ans ? Je ne sais pas ce qu’il vous faut !
Voyons que c commentaire a pu intéresser, je poursuis ce récit de Versiloff à son fils et les commentaires éclairants de Frank Sémion toujours sur Dostoïevski , qui éclaire l’utopie dénoncée. ( et celle de notre régime! )
« Les hommes sont demeurés seuls comme ils le voulaient, la grande idée d’autrefois les a quittés ; la grande source d’énergie, qui jusqu’ici les a alimentés et réchauffés, s’est retirée, comme le soleil majestueux et séducteur du tableau de Claude Lorrain, mais maintenant c’est le dernier jour de l’humanité. (…) Les hommes devenus orphelins se serreraient les uns contre les autres, plus étroitement, plus affectueusement. Ils se prendraient les mains, comprenant que désormais ils sont tout les uns pour les autres. Alors disparaitrait la grande idée de l’immortalité et il faudrait la remplacer. Tout ce grand excès d’amour pour celui qui était l’immortalité se détournerait sur la nature, le monde, les hommes, et chaque brin d’herbe. Ils ‘éprendraient de la terre et de la vie dans la mesure même où ils prendraient conscience de leur état passager et fini, d’un amour particulier, qui ne serait plus celui d’autrefois. Ils s’éveilleraient et s e hâteraient de s’embrasser les uns les autres, se dépêcheraient d’aimer, sachant que leurs jour sont éphémères. Chaque enfant saurait et sentirait que tout homme sur terre est un père et une mère. « Que demain soit mon dernier jour, se dirait chacun en regardant le soleil couchant ; et cette pensée qu’ils continueront à s’aimer remplacerait l’idée de la rencontre d’outre-tombe ;Oh ! combien ils se hâteraient d’aimer pour étouffer le grand chagrin de leur cœur. Ils seraient fiers et hardis pour eux-mêmes, mais timides pour les autres. (…) Ils se feraient tendres les uns pour les autres et n’auraient point honte comme aujourd’hui., Ils se caresseront entre eux comme des enfants. En se rencontrant, ils se regarderaient d’un regard profond et plein d’intelligence, et dans leur regard, il y aurait de l’amour et du chagrin. »
Il y a ici un thème, déjà vu, qui annonce l’image « des derniers hommes « que Nietzche développe dans Zarathoustra, c’est toujours le rêve et la tentation du retour à un paradis, à une innocence qui conduit ensuite au désespoir, Après avoir perdu la foi en Dieu, les hommes se sentent orphelins et sombrent dedans. On accède au paradis, éprouvant le besoin de bonté et tendresse, mais ayant renoncé à toute angoisse créatrice, à imprimer un sens à notre vie Nous rejoignons bientôt l’apathie, la mort spirituelle annoncé par le Grand Inquisiteur ;
Nous pouvons approfondir cette analyse sur l’autre thème de Dostoïevski, celui qu Grand Inquisiteur » superbement analysé par par Frank Sémion un philosophe russe reconverti. Le principal reproche du Grand Inquisiteur , une des figure centrale du roman « les Frères Karamazov », consiste à dire que le salut du Christ ne libère pas l’homme des problèmes de la vie, du fardeau de la responsabilité (…) D’après le Grand Inquisiteur, le véritable salut consiste justement pour l’homme à être délivré du problème de la vie. Malgré le principe rebelle que le péché originel a imprimé dans le cœur de l’homme, l’humanité rêve toujours de cette libération, d’un retour au paradis de l’innocence enfantine »
Et Frank Sémion poursuit : L’idée maitresse du programme du Grand Inquisiteur, c’est l’idée du paradis terrestre. Le salut, selon lui, apportera la fin du tragique, de la lutte, des guerres, des doutes et tourments de la con science, c’est à dire la perpétuation d’un état enfantin, simple, qui placerait les hommes au-delà du bien et du mal (.) Le rêve du paradis terrestre qui représente une sorte de « restitutio in intégrum, » une reconstitution de la vie paradisiaque, absolument harmonieuses des premiers hommes où les conséquences de la chute seraient annulées . Frank Semion précise :« Les descriptions du paradis terrestre ont quelque chose en commun : on y accède à la quiétude en renonçant aux angoisses créatrices de l’esprit. Dostoïevski ne nous cache pas que l’état paradisiaque est une autolimitation consciente, un aveu définitif de l’incomplétude spirituelle et du manque de maturité de l’homme »,
» il n’existe pas de voie large et facile vers le paradis terrestre qui permettrait d’accéder à la béatitude immédiatement, sans peine. L’homme ne saurait éviter le labeur et l’angoisses, la lutte spirituelle, car c’est en cela que consiste la dignité et la divinité de l’être humain. Or, tant que cette lutte demeure une fin en soi, elle n’apporte rien qu’une angoisse stérile qui dévore et anéantit l’homme ; mais dès lors qu’elle est transfigurée par un amour libre envers Dieu, elle apporte un élément créateur et donne à l’homme un appui stable (.. 😉
Si l’homme, justement parce qu’il est homme, n’est pas prêt à assumer la responsabilité de sa lutte spirituelle et son autonomie, s’il n’entend pas les appels de Dieu , qui le dirige vers le vrai salut ; il succombe alors à la tentation de deux éléments démoniaques : celle du surhomme et celle de l’esclavage béat »
Frank Semion conclut : « la béatitude laquelle nous aspirons sur terre réside dans un retour à l’innocence enfantine, mais pour un homme spirituellement mûr cela signifie le renoncement à sa dignité.(..)’L’esprit s’oppose à la quiétude et au bonheur »