Par Hilaire de Crémiers.
Un certain désarroi s’empare de la classe politique qui n’en continue pas moins dans sa course éperdue vers le pouvoir et les places.
Les élections départementales et régionales ont donc eu lieu fin juin, alors que Macron, on s’en souvient, eût préféré les reporter après les présidentielles. Et, en effet, un tel calcul était compréhensible ; les résultats du scrutin en ont confirmé la pertinence : une déroute dont les conséquences sont loin d’être négligeables tant dans l’immédiat de son action présidentielle que pour l’avenir même de son pouvoir.
Son audace n’a pu aller en cette circonstance jusqu’au bout de son cynisme et de sa désinvolture qui caractérisent sa carrière tant personnelle que politique ; il a reculé devant le risque énorme d’un soulèvement de toutes les oppositions qui auraient crié au détournement démocratique et à la captation autocratique, ce qui est sa méthode depuis le début de sa vie politique. Lui restait pour satisfaire l’électorat à décider souverainement, lui et lui seul, de rendre au peuple français qui étouffait sous le carcan sanitaire, quelque liberté de respirer, de se déplacer, de se rassembler, de se divertir, en espérant en retour un mouvement de reconnaissance des citoyens. Le souci électoral opère des retournements singuliers.
Nombre de ministres étaient chargés de porter la bonne nouvelle d’une macronie non plus punitive mais bienveillante. Ces petites ruses tactiques, qui entraient dans la mirifique stratégie des Solère et des Séjourné, n’ont guère produit d’effet. Au contraire. Sauf en Paca où Thierry Mariani n’a pu résister à la conjonction de tous les appareils politiciens, jusqu’au retrait forcé du pitoyable écologiste, tous ligués pour empêcher son accession au pouvoir régional qui eût signifié une vraie nouveauté dans le paysage politique français. En vérité, la seule ! Tout le reste demeurant en l’état, sans changement, sauf à la Réunion, et pour bien peu, malgré tous les beaux discours de rénovation et malgré toutes les prétentions macroniennes. Marion Maréchal, aux élections précédentes de 2015, avait déjà été victime de la même coalition haineuse, alors qu’elle était très largement majoritaire ; le front républicain des minoritaires devait l’emporter. Il faut y voir, sans doute, la fine pointe de l’esprit démocratique.
Il y a bien un système
C’est que l’enjeu est considérable. Comme l’a dit Thierry Mariani, toute la question se résume globalement dans l’existence d’un système. Système contraignant dont tout le monde reconnaît la réalité tout en feignant de croire qu’il n’entrave pas la liberté du suffrage ! Cet extraordinaire paradoxe constitue depuis toujours l’ordinaire de la République française. C’est le fameux précepte « Pas de liberté pour les ennemis de la Liberté » qui est au commencement de toute l’œuvre républicaine et en justifie toute la finalité.
Ce mot « système » est, certes, employé à toutes les sauces du discours politique pour synthétiser des interactions partisanes qui échappent à l’analyse rationnelle ; toutefois, en l’occurrence, rien, de fait, n’est plus approprié comme dénomination. Il s’agit bien, en effet, d’un système, perçu et voulu comme tel, et dont relève nécessairement, physiquement et métaphysiquement, le fonctionnement de la République qui ne saurait appartenir qu’aux candidats et aux partis qui y font allégeance. Tout est permis, y compris le coup de force ou le coup d’État, ou plus simplement le coup électoral, dissimulé ou déclaré peu importe, pour éviter le risque de sortir de cette combinaison, en quelque sorte ontologique et qui sauvegarde les intérêts majeurs de ceux qui vivent du régime. Par le régime et pour le régime.
Telle est la règle intangible depuis le début de la République, née avec elle, dans les affres de ses origines mouvementées. Même si le non-dit couvre d’un voile pudique ce qui est une perpétuelle machination politicienne, il n’est pas besoin d’être un grand expert pour déceler la trame qui sous-tend la réalité de la vie politique dans notre démocratie dont le modèle a eu tendance à se reproduire ailleurs dans toutes ses formes, libérales ou totalitaires. Avec les mêmes mécanismes. Pour des raisons impérieuses de survie, la République est obligée de transformer son modèle en credo, en faisant de tout citoyen, par l’Éducation qu’elle détient comme par l’Administration et la Législation qu’elle met en œuvre, un adepte de ses formules, un religionnaire de ses combats. Son modèle est tellement sa raison d’être, sa religion et son unique morale, que, sous le nom de France qu’elle s’est si indûment approprié, elle veut l’imposer, en plus et à son image, au monde entier ; c’en est grotesque ; et l’histoire, aussi bien passée que présente, prouve qu’à chaque fois cette prétention philosophico-politique s’est retournée concrètement contre la France et ses intérêts, entraînant déconvenues et désastres. Ce qui n’empêche pas les corniauds qui, parce qu’ils tiennent le pouvoir avec de tels schémas intellectuels, s’imaginent façonner la politique française, de continuer indéfiniment sur la même lancée de conceptions dont l’ineptie frôle le crime. Comme jadis un Brissot, niais à force de crédulité républicaine, comme avant-guerre un Briand, le roublard qui se fit jouer par l’Allemand plus roublard que lui, comme plus récemment encore une décolonisation si absurdement conçue et menée que la France en paye aujourd’hui les funestes conséquences, tout comme les malheureux pays livrés à des engeances dont les peuples ne peuvent plus se libérer. Il faudra bien un jour revenir sur toute cette histoire et en tirer le bilan qui s’impose.
Au-delà du système, le régime
En politique intérieure comme en politique extérieure, la République ne tient que par ses présupposés sur lesquels il est convenu que nul n’a le droit de revenir ou même seulement d’exercer un doute méthodologique. La logique du système, puisque système il y a, lie dans cette perspective toutes les formes diverses et successives du régime. La 1ère République ne pouvait, dans une analyse objective, que déboucher sur la monocratie impériale de Napoléon qui ne pouvait finir qu’en catastrophe ; la 2e République ne pouvait trouver son issue pour résoudre son problème existentiel que dans l’autocratie de Napoléon III qui devait s’achever à Sedan dans une défaite mémorable. « La République était belle sous l’Empire », disait-on, car la III e ne fut qu’une succession de contradictions, d’incapacités, de guerres civiles larvées et de scandales qui aboutit au désastre sans nom de 1940. De Gaulle fut la solution pour sauver la République d’elle-même et de ses crises permanentes qui jetaient la IVe dans les poubelles de l’histoire. Depuis, la Ve République, à chaque changement, annonce qu’elle va se renouveler ; elle sera toujours plus belle demain à défaut d’avoir jamais été belle dans le passé, de Giscard en Mitterrand, de Chirac en Sarkozy, de Hollande en Macron qui devait définitivement la tirer d’affaire par sa moderne gouvernance. Même propos novateur, et même décrépitude de fait, loin des discours ampoulés de la Sorbonne ou du Forum de Davos au début du quinquennat. Finalement, le régime seul compte dont il est toujours le garant attitré. Macron n’y a rien changé, sauf à en tirer toutes les ficelles exécutives et législatives à son profit. Il n’a pas dérogé à la règle des règles. Le seul principe véritable de l’action politique est que le détenteur de la principale fonction se doit d’être en tant que tel le sauveur du régime. Comme par le passé. C’est la constance républicaine, ce qui fait que les vraies questions, qui portent précisément sur les vices essentiels du régime et sur ses mécanismes effroyablement diviseurs et contraignants, ne sont jamais posées. Telle est la condition sine qua non de l’existence politique dans pareil cadre. Tous ceux qui font de la politique le savent pertinemment et tous les candidats sans exception qui, au vu des résultats des régionales dès le soir du dimanche 27 juin, ont pensé que leurs ambitions présidentielles étaient confortées, se sont présentés comme les sauveurs de demain – encore et toujours ! – et ont donc obéi à la règle imprescriptible qui les force à se déclarer d’abord comme défenseur du régime et adversaire implacable de tout ce qui peut le remettre en cause, qualifié d’« extrémisme », l’extrémisme étant, comme nécessairement, de droite, celui de gauche n’étant dénoncé en vis-à-vis que pour mieux équilibrer le panorama du bel alignement de la légitimité républicaine.
L’impossible gageure
Macron voulait jouer seul la partie dans ce grandiose scénario. Le voilà concurrencé par ce qu’on appelle déjà les candidats de droite, les Bertrand, les Pécresse, les Wauquiez, peut-être bientôt ceux de gauche. Et chacun de parler avec emphase des valeurs de la République pour bien signifier son opposition radicale à l’extrême-droite.
Tout ce qui n’est pas dans la « norme » républicaine ou qui est soupçonné d’avoir un regard différent, est stigmatisé de cette désignation qui est déjà une incrimination. Le procédé est facile. L’extrémisme a bon dos ; il suffit de l’invoquer pour rejeter tout ce qui serait susceptible de modifier le système ou de contredire l’ambition politique de s’en emparer.
Aussi ce fut une erreur de calcul de Marine Le Pen de vouloir se normaliser pour être acceptée dans ledit système, ce qui était une manière de vouloir elle aussi s’en emparer à sa manière. Il fallait s’attendre à ce que la manœuvre ne prît pas. Le pouvait-elle ? L’astuce de ses adversaires et du régime en lui-même était de la maintenir dans la malignité absolue d’un dilemme impossible : ou tu restes en-dehors du système et tu ne parviendras jamais à tes fins, ou tu consens à rallier le système et tu perds toute la qualité spécifique qui te permet de briguer la place que tu convoites pour transformer l’état des choses. Elle a cherché assez naturellement à se désaffubler de l’épithète « extrémiste », d’ailleurs infamante et injuste, et il est vrai qu’une telle qualification se porte comme une tunique de Nessus dont la jalouse marâtre de République vous revêt pour mieux vous carboniser. Les électeurs ont, semble-t-il, compris la gageure qui lui était imposée et qui rendait inutile son combat électoral. Tous les médias étaient chargés de répéter la leçon en boucle, reprise par tous les affidés du système. Le vote Rassemblement National en a été le plus affecté. Cette pente est difficile à remonter. Il y faudrait des stratèges décidés à aller au fond des choses.
Ceux qui se croient vainqueurs avec des scores qui ne sont que de façade puisqu’ils sont calculés sur le nombre de votants qui fut, presque partout, dérisoire, ne sauraient se targuer d’avoir une quelconque onction populaire. Et, pourtant, ils s’y voient déjà, se substituant à Macron dans le scénario anti-Le Pen ! Alors que le système justement rend vaines toutes leurs promesses. Toujours la même chose. La France n’en sort pas. Quant à La République en marche, elle a montré ce qu’elle était, un ectoplasme au service d’un Macron qui, lui, ne croit plus en la France au point de décider de favoriser systématiquement les investissements étrangers en France, sans doute pour mieux la brader, en primant et en aidant de l’argent de l’État et de l’Europe ceux qui viennent chez nous s’installer ou faire leurs emplettes, comme si les Français n’étaient plus capables de rien faire par eux-mêmes. Macron reste celui qu’il a toujours été, l’homme de Davos et du mondialisme friqué, dénoncé justement par tous les patriotes.
Où est la légitimité ?
Depuis la fin juin, que de flots de paroles ! Des explications à n’en plus finir. Surabondance de commentaires. Pour qu’ils soient si nécessaires, faut-il que plus rien ne soir clair en République française. Et faut-il que la leçon politique soit inquiétante pour ne dire en de telles circonstances que des banalités de peur d’affronter de trop rudes réalités ? Mille discours s’essaient dans la psychologie et la sociologie électorales afin d’éviter d’aborder la seule question qui fâche : la remise en cause pratique d’un régime qui ne fonctionne plus que pour ceux qui en vivent et en profitent. Rien n’est plus fort que la passion du pouvoir, à quelques exceptions près, souvent locales, de dévouements sincères au bien commun.
Les Français ne votent pas. S’ils votaient franchement, il est probable qu’ils ne voteraient pas comme il faut. De votation en votation, le phénomène prend de l’ampleur. Quoi demain ? Aucune offre ne satisfait la demande et, plus simplement, l’inutilité d’un système fermé sur lui-même décourage le zèle électoral. Rien ne sert de rien, c’est ce qui se dit dans les marchés et sur les comptoirs des bars. Malgré tous les appels pressants à la mobilisation citoyenne, les résultats du second tour ont rejoint ceux du premier. Entre 66 et 67 % d’abstentions !
Il est question de désenchantement. Soit ! La vie démocratique serait quasi éteinte : bravo, Macron ! La République serait à l’arrêt et, de fait, sans citoyens comment pourrait-elle fonctionner ? Ce qui n’empêche pas Macron, ses sbires, ses concurrents de continuer sur leur lancée comme si de rien n’était : oui, oui, disent-ils en chœur, nous allons réformer, réformer, réformer ! Malgré les Français ?
La crise est gravissime, ajoutent certains. Et même il en est qui consentent à avouer que la légitimité du pouvoir politique et, par voie de conséquence, de presque tout pouvoir qui y est rattaché, administratif, législatif, éducatif, même juridictionnel, est désormais compromise. Ce qui est annoncé régulièrement dans ces colonnes.
Mélenchon qui ne peut s’empêcher de faire son intéressant, en est à décréter que des élections sans électeurs sont sans valeur ! Admirable apophtegme ! À ce compte-là, aucune désignation des membres des assemblées révolutionnaires, aucune élection de 1792 à 1799, votation ou référendum, car il y en eut, n’aurait de légitimité. D’après les sources les mieux établies, dans le meilleur des cas, entre 15 et 20 % du corps électoral répondait présent, plus souvent entre 5 et 10 %, ce qui représentait à peine 1% de la population. L’historiographie officielle passe sur ce néant de représentation. Évidemment. La révolution, en tant que telle, n’a jamais été menée que par des intrigants et des rhéteurs, profitant d’une envie réelle de changements dans le pays, et qui se disputaient le pouvoir en se servant de bandes aussi criminelles que fanatisées. Aucune légitimité, Mélenchon ! Aucune ! Et quand le risque royaliste pointait le nez, le coup de force pour l’écraser s’imposait comme en Vendémiaire. Et le général « Vendémiaire », Bonaparte lui-même, finit par faire son propre coup d’État un certain 18 brumaire pour clore le cycle révolutionnaire sur sa propre personne. Les votations ne lui servaient plus qu’à asseoir sa nouvelle légitimité, mais pour quelle durée ? Et dans quelle incertitude ?
Ainsi va l’histoire de France qui se répète, comme le soulignait Bainville. Et si tout le problème politique français ne revenait jamais qu’à cette question de légitimité. ■
Nous ne voulons plus de ces politiques lâches et corrompus. Les élus ont tous trahit leur mandats. Seule une toute petite minorité en sont encore dignes comme Florian Philipot. Le peuple veut se ré-approprier sa souveraineté et décider.
Effectivement la question principale de tout gouvernement est celle de sa légitimité et c’est celle par laquelle nous pouvons faire réfléchir nos contemporains, je la pose régulièrement à nos amis éloignés de nos idées mais qui , par la réflexion provoquée, s’en rapprochent. Le Roi apparait ainsi non plus comme un attachement folklorique, mais comme une solution envisageable parmi d’autres, avant d’être rationnellement la seule possible!