Par Rémi Hugues.
Étude en 18 chapitres publiée en feuilleton dans JSF.
L’Union d’Apollon et de Dionysos
En lui étaient englobés deux monuments vivants du monde des lettrés engagés politiquement du début du XXème siècle, « l’Apollon » Maurras et « le Dionysos » Sorel, lequel, selon l’historien israélien Zeev Sternhell, a « joué dans l’histoire des idées un rôle plus significatif que celui de Guesde et de Jaurès. »[1]
Un autre historien, Eugen Weber, ne manque pas d’associer ces deux immenses penseurs. À deux reprises dans son ouvrage Fin de siècle les deux patronymes sont liés. D’abord parce qu’ils ont en commun d’être passés « de la critique littéraire à la critique sociale »[2]. Ensuite l’universitaire américain écrit : « Des hommes comme Charles Maurras (né en 1868) et Georges Sorel (né en 1847), hantés par l’érosion de l’énergie, de la volonté et de la cohérence, tant sociale qu’individuelle, conclurent que seule l’action (et la réorganisation) pouvait revitaliser la société, la restructurer et lui insuffler une morale nouvelle. »[3]
Au début de l’année 2014, le journaliste Éric Zemmour affirmait que l’humoriste Dieudonné est l’enfant qu’auraient eu ensemble Harlem Désir et Christiane Taubira. Si l’on nous accorde cette analogie un brin fantaisiste, l’on pourrait dire dans le même veine que le fils du couple Maurras et Sorel se nomme Georges Valois. Cet homme, incarnation de la synthèse entre les deux intellectuels, fut en réalité la cheville ouvrière du Cercle Proudhon. Il s’agira dans un premier temps de mettre en lumière brièvement son parcours.
Après avoir montré que Proudhon fait partie du panthéon de Maurras, chose qui surprendrait plus d’un, tant il est rare de lire que ce dernier a été influencé par le père de l’anarchisme, il sera question de voir quel contexte particulier a permis un tel rapprochement qui se cristallisa dans le Cercle Proudhon.
Ce contexte précis a rendu possible une conjonction résultant d’un double mouvement : le tournant antilibéral du mouvement royaliste et le virage antirépublicain du mouvement ouvrier.
Ensuite nous examinerons les rapports que Sorel entretint avec les maurrassiens, avant d’étudier dans le détail la vie du Cercle Proudhon, vie courte mais d’une densité intellectuelle remarquable.
Enfin nous présenterons les différentes expériences gouvernementales qui, peu ou prou, se situent dans la continuité de l’esprit propre au Cercle, qui à certains égards est traditionnel, en dépit de son souci de fusionner deux idéologies modernes, le socialisme et le nationalisme, et ainsi s’opposant frontalement à la troisième, le libéralisme.
Et c’est la où réside sa force : choisir d’innover, en fonction de ce qui est imposé par les réalités du présent, plutôt que de se complaire dans le passéisme. Celui qui eut l’idée audacieuse de revendiquer Proudhon en gage d’ouverture d’esprit, et au risque de heurter certains esprits parmi ses camarades, comme d’autres classés à droite feront plus tard de même avec le marxiste Antonio Gramsci (Photo), c’est Georges Valois, figure majeure du syndical-royalisme, soucieux d’arrimer fermement Proudhon à la pensée du « père de famille » du nationalisme intégral, Maurras. ■ (À suivre).
[1]Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire. Les origines françaises du fascisme (1885-1914), Paris, Seuil, 1978, p. 10.
[2]Eugen Weber, Fin de siècle, La France à la fin du XIXème siècle, Paris, Fayard, 1986, p. 24. Voir aussi son article « Nationalism, socialism and national-socialism in France », French Historical Studies, vol. 2, n° 3, 1962, p. 273-307.
[3]Ibid., p. 41-2.
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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