Par Rémi Hugues.
Étude en 18 chapitres publiée en feuilleton dans JSF.
Le Proudhon de Maurras
Telle était la tradition révolutionnaire impériale ou républicaine et Proudhon s’y étant opposé presque seul, la présence de M. Fallières au monument de Proudhon est plus qu’un scandale, c’est un contresens.
Je partage sur la personne de M. Fallières le sentiment de Léon Daudet (Photo) l’appelant le plus lâche et le plus méprisable des ruminants ; et l’appréciation de Jacques Delebecque, telle qu’on la lira plus loin sur l’harmonie de cet animal et de la fonction constitutionnelle, me semble l’expression de la vérité pure.
Mais le nom de Proudhon met en cause plus que la personne ou la magistrature de M. Fallières ; le nom de Proudhon met en accusation le régime avec son revêtement de blagologie nuageuse, avec son fond de sale envie et de bas appétits. Ce grand nom de Proudhon frappe d’indignité et Fallières, et sa présidence et la démocratie parce qu’il évoque le grand nom de la France et l’étoile obscurcie de notre destin national.
Ce régime ne signifie que le pontificat de la maçonnerie que Proudhon avait en horreur. Il ne figure rien que les hommes et les idées que Proudhon combattait en France, en Europe, partout. Proudhon était fédéraliste ; que lui veut cette république centralisatrice ? Il était syndicaliste ; que lui veut cette république étatiste ? Il était nationaliste et papalin ; que lui veut cette république anticatholique, antifrançaise ?
Je ne sais quelles bouffonneries l’on débitera à la louange de ce grand écrivain sorti, comme Veuillot et tant d’autres, des entrailles du peuple ; mais les lettrés devront répondre à la venue de M. Fallières par la dérision et le peuple par les huées.[1]
On peut voir, en outre, à partir du contenu du texte inscrit sur le bandeau déposé par le Comité d’action des syndicats royalistes sur la tombe du penseur franc-comtois, comment les maurrassiens percevaient son œuvre, lequel texte est repris dans L’Action Française du 18 janvier 1909 : « À P. J. Poudhon, au patriote français qui combattit le principe des nationalités en Europe, au justicier socialiste qui dénonça les crimes sociaux de la Révolution, et les mensonges économiques du collectivisme juif, à l’immortel auteur du ʽʽPrincipe fédératif’’ »[2].
Il y a en commun chez Proudhon et Maurras une aversion pour le principe des nationalités, qui est au fond l’application de l’esprit démocratique aux relations internationales, la philosophie libérale, produit des Lumières et de 1789, le marxisme et le jacobinisme.
Curieusement, on retient essentiellement de Maurras l’antisémitisme que l’histoire « légale » lui impute, alors que Proudhon échappe aux fourches caudines de la mise à l’index contemporaine. Or, ce dernier a notamment rédigé cette note de travail bien plus violemment antisémite que ce que Maurras a pu écrire sur la question juive :
« Juifs. Faire un article contre cette race, qui envenime tout, en se fourrant partout, sans jamais se fondre avec aucun peuple. Demander son expulsion de France, à l’exception des individus mariés avec des Françaises ; abolir les synagogues, ne les admettre à aucun emploi, poursuivre enfin l’abolition de ce culte. Ce n’est pas pour rien que les chrétiens les ont appelés déicides. Le juif est l’ennemi du genre humain. Il faut renvoyer cette race en Asie, ou l’exterminer. H. Heine, A. Weil et autres ne sont que des espions secrets ; Rothschild, Crémieux, Marx, Fould (Photo), êtres méchants, bilieux, envieux, âcres, etc., qui nous haïssent. Par le fer, ou par la fusion, ou par l’expulsion, il faut que le juif disparaisse. Tolérer les vieillards qui n’engendrent plus. Travail à faire – Ce que les peuples du Moyen-Âge haïssaient d’instinct, je le hais avec réflexion et irrévocablement. La haine du Juif, comme de l’Anglais, doit être un article de foi politique. »[3] ■ (À suivre).
[1] Les 13, 14 et 15 août 1910, à Besançon, est inaugurée une statue en bronze de Pierre-Joseph Proudhon, réalisée par le sculpteur bisontin Georges Laethier. La décision d’ériger cette statue dans sa ville natale a été prise un an auparavant à l’occasion du centenaire de sa naissance et a donné lieu à une souscription et a un concours de sculpteurs. La statue n’existe plus, fondue (comme de nombreuses autres) par les nazis durant l’Occupation. Elle a été remplacée par la suite. Le texte, qui date de 1910, a paru dans les Cahiers du Cercle Proudhon, de janvier 1912 (n° 1).
[2] Cité par Georges Navet, op. cit., p. 46.
[3] Zeev Sternhell, op. cit., p. 187.
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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