Par Rémi Hugues.
Étude en 18 chapitres publiée en feuilleton dans JSF.
Georges Valois, le transfuge
Le vrai patronyme de celui qui, issu « des milieux intellectuels de l’anarchie »[1], trouva le nom de Cercle Proudhon, est Alfred Gressent. Cet essayiste fut l’auteur des monographies L’Homme qui vient (1907) et D’un siècle à l’autre (1921), mais son œuvre majeure s’intitule La Monarchie et la Classe ouvrière (1909). Il vante dans ce livre l’action syndicale, présentée comme un antidote efficace à l’individualisme, qui « substitue à la poussière d’individus, que veut trouver au-dessus de lui l’État républicain, les groupements professionnels sur lesquels s’appuie la monarchie traditionnelle française. »[2]
Il y formule, de plus, le vœu que l’organisation syndicale, qui dans son essence est un « mouvement traditionaliste »[3], deviendra la forme nouvelle, moderne, des corporations. En juin 1909, à l’occasion du 2e congrès de l’Action Française, Valois expose la thèse de son ouvrage, insistant sur le constat qu’il y « a une grande désaffection de la République dans la population ouvrière. »[4] En effet à cette époque-là c’était au sein du monde ouvrier que le mouvement royaliste parvenait à recruter le plus d’adhérents, en particulier dans les fiefs du boulangisme, comme Narbonne et Toulouse.
À l’intérieur de l’Action Française, Valois est le spécialiste de la question ouvrière. Chaque congrès est pour lui l’occasion de donner son sentiment sur la conjoncture afférant au mouvement syndical. Par exemple, en 1911, lors du 4e congrès national, il compose un rapport intitulé « Nationalisme et syndicalisme » où il déplore que les organisations ouvrières peuvent être corrompues par « les agents de la démocratie, le parti socialiste, la franc-maçonnerie, les délégués du monde protestant, les juifs, les intellectuels, les agents directs du gouvernement, les policiers, et enfin les agents de l’étranger »[5].
Il a par conséquent consacré tous ses efforts à préserver la pureté du mouvement ouvrier et syndical. Il n’a ainsi pas totalement rompu avec sa famille d’origine, dans la mesure où il a visé à établir des ponts entre celle-ci et sa nouvelle famille politique.
En 1910, il fait partie du groupe mené par l’illustre syndicaliste révolutionnaire Georges Sorel, qui entend lancer la revue La Cité française, projet rapidement avorté à son grand malheur. Il décide alors de reprendre le flambeau : son objectif est de « réunir une vingtaine de personnes pour l’étude de l’économie moderne et la recherche des principes d’une économie nouvelle. »[6] C’est ainsi qu’il devient le « maître d’œuvre intellectuel et artisan patient »[7] du Cercle Proudhon, qui se structure officiellement le 16 décembre 1911.
La suite de son parcours est sinueux. Le 11 novembre 1925 il fonde le Faisceau, qui « s’inscrit dans la plus pure tradition du socialisme national français ; il ne fait que reprendre et poursuivre l’œuvre du Cercle Proudhon, cassée par la guerre et par la révolution soviétique. »[8] D’où le lien qu’établit Zeev Sternhell entre le Cercle Proudhon et le fascisme italien, cependant l’historien israélien néglige le fait que Valois s’est engagé, au moment de la Seconde Guerre mondiale, dans la résistance. Les parcours biographiques sont, on le voit, plus complexes que les schémas simplistes dressés par l’histoire officielle, trop peu imperméable aux visées idéologiques. Si Valois s’était fourvoyé dans la collaboration, il aurait été légitime de soutenir la thèse de l’existence d’un fascisme français. Ce qui donne raison à René Rémond dans sa controverse face à Zeev Sternhell. Et vide de toute sa substance le propos contenu dans le très polémique essai L’idéologie française de Bernard-Henri Lévy (1981).
Passé de l’anarchisme au royalisme, Valois est emblématique du mouvement de fond qui affecte au XIXème siècle les partisans de la restauration monarchique. Alors que de 1830 à 1848, la France était dirigée par une royauté libérale – certains disent même que, lorsque François Guizot était le président du Conseil des ministres de Louis-Philippe Ier, le pays, pour la seule fois de son histoire, fut gouverné par une politique libérale –, à la fin du XIXe siècle le parti royaliste s’est nettement détaché de cette idéologie, pour se rapprocher de la doctrine du nationalisme social. Maurras, prenant la suite de Barrès, est incontestablement le fer de lance de ce mouvement. ■ (À suivre).
[1] Géraud Poumarède, op. cit., p. 56.
[2] La Monarchie et la classe ouvrière, cité par Zeev Sternhell, op. cit., p. 367.
[3] Idem.
[4] Zeev Sternhell, ibid., p. 362.
[5] Cité par ibid., p. 369.
[6] Cité par Géraud Poumarède, op. cit., p. 69.
[7] Ibid., p. 68.
[8] Zeev Sternhell, op. cit., p. 399.
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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