Par Rémi Hugues.
Étude en 18 chapitres publiée en feuilleton dans JSF.
La République, fautive d’être une institution vendue à la bourgeoisie, devient ainsi progressivement l’ennemie principale des socialistes. L’article « La France s’ennuie » d’Hervé assure que « quand Marianne aura sa crise, nous serons là pour lui administrer l’extrême-onction. »[1]
En avril 1911 Francis de Pressensé publie dans Le Mouvement socialiste, revue que dirige Lagardelle, une diatribe contre cette « gueuse » de Marianne. Sternhell juge qu’elle aurait pu tout aussi bien être l’œuvre d’un camelot du Roy[2] : « À l’heure présente le parti républicain n’a ni doctrine, ni idéal, ni principe, ni programme, ni méthode. […] Aujourd’hui, sans insister sur la fragilité d’une République à laquelle les masses profondes de la nation ont cessé de croire, par sa propre faute, il me paraît évident que nous glissons les yeux fermés sur une pente au bord de laquelle s’ouvre, béant, l’abîme d’une grande guerre »[3]. Héla, cette grande guerre advint (trois ans plus tard), et elle fut bien le salut de la République.
Émile Janvion, après avoir mené vers 1908 une campagne antirépublicaine et antimaçonnique dans les colonnes de La Guerre sociale, crée une revue bimensuelle socialiste antimarxiste, Terre libre. À chaque livraison une chronique anti-maçonnique appelée « Les macaques » est publiée. Parmi ses contributeurs figure un homme qui participera au Cercle Proudhon : Marius Riquier. Dans le numéro du 15-30 novembre 1909, il écrit l’article « Les aliborons de foi laïque » qui charge de façon virulente la femme-allégorie de la République : « Marianne et la classe ouvrière auraient beau faire pour s’aimer. Il y a trop de cadavres entre eux. »[4]
Cette foi laïque mentionnée dans le titre de l’article de Riquier est la nouvelle entourloupe de la gauche république, qui succède à l’affaire Dreyfus, pour maintenir ses prébendes. De la même manière que l’antiracisme d’Harlem Désir et Julien Dray, parrainé depuis l’Élysée par l’éminence grise de Mitterrand Jacques Pilhan, a été l’instrument de dissimulation de la trahison du programme de transformation socialiste de la société de 1981, les radicaux se sont servis de l’anticléricalisme pour masquer leur abandon de la défense de la condition ouvrière.
Ainsi d’Émile Combes le « bouffeur de curés » et de la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905, enfonçant le clou anti-calotin de la laïcisation de l’instruction planté par Jules Ferry au milieu des années 1880.
À cet égard Sternhell montre que la critique sans ambages de l’école laïque par Lagardelle eut pour effet d’ « attirer l’attention toute spéciale »[5] de l’Action française, qui voyait dans l’institution fondée par le franc-maçon Ferry l’arme suprême du jacobinisme et de l’anticléricalisme. Cette politique, qui a connu son apothéose dans le combisme, Lagardelle l’interpète comme une « diversion »[6]. Notons que le retour de Péguy au catholicisme, en lieu et place de la religion profane socialiste, fourrier de l’athéisme et de la laïcité au même titre que le libéralisme, coïncide avec cette période d’agitation contre les clochers, comme en témoigne le contenu de son livre Notre patrie, publié en octobre 1905.
À la neutralité des socialistes les plus intransigeants quant à la querelle religieuse s’ajoute la neutralité politique, décidée au même moment, avec la signature de la charte d’Amiens en octobre 1906. Sternhell note : « L’Action française sera la première à saisir aussi bien la signification du courant antidémocratique développé par le syndicalisme révolutionnaire que les implications de cette nouvelle forme de neutralité que préconise la CGT. »[7] ■ (À suivre).
[1] Cité par ibid., p. 327.
[2] Ibid., p. 318.
[3] Cité par ibid., p. 318.
[4] Cité par ibid., p. 388.
[5] Ibid., p. 340.
[6] Idem.
[7] Ibid., p. 333.
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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