Par Antoine de Lacoste.
A la fin du mois de mai dernier, Joe Biden avait annoncé la fin des sanctions américaines contre les entreprises qui participaient au chantier de construction du gazoduc Nord Stream 2. Il prenait ainsi le contre-pied de son prédécesseur, Donald Trump, qui a déployé une énergie considérable pour torpiller le projet. Il sera juste parvenu à le retarder.
Biden est allé jusqu’au bout de sa logique et, le 21 juillet, il a conclu un accord avec Angela Merkel. La fin du chantier (terminé à 99%) est officiellement autorisée par les Etats-Unis et aucune sanction ne sera plus évoquée jusqu’à son achèvement prévu d’ici quelques semaines.
C’est une victoire importante pour l’Allemagne et particulièrement pour sa chancelière. Contre vents et marée, elle a tenu, ne se laissant jamais intimider par les menaces américaines, en particulier celles de Donald Trump qui a été un piètre stratège dans cette affaire. Il voulait à la fois obliger l’Allemagne à mettre beaucoup plus d’argent dans l’OTAN, tout en menaçant de la quitter, et l’obliger à interrompre Nord Stream 2, le tout sans aucune contrepartie.
Ce qui a marché avec la France, qui s’est couchée à chaque aboiement américain (Engie s’est ainsi docilement retirée du chantier), n’a pas marché avec l’Allemagne pour une raison très simple : l’Allemagne a besoin du gaz russe. Nord Stream 1 ne suffit plus, et le chemin le plus court de la Russie à l’Allemagne est évidemment la mer Baltique. Passer par l’Ukraine est plus long et plus coûteux, et Angela Merkel ne voulait pas manquer l’occasion de sécuriser son approvisionnement en gaz à moindre coût.
L’Amérique avait trois raisons de s’opposer à ce grand chantier. Celle qui fut la plus mise en avant est la protection de l’Ukraine. Depuis les fameux évènements de la Place Maïdan à Kiev en 2013 et qui ont abouti au départ du président élu Ianoukovytch au profit de l’atlantiste Porochenko, l’Ukraine a clairement changé de camp géopolitique. Les services américains ont été très présents dans cette révolution et ont fait de l’Ukraine une sorte de poste avancé atlantiste face à la Russie (le fils Biden a d’ailleurs des liens étroits avec les milieux énergétiques ukrainiens où il fut consultant malgré son inexpérience totale).
Pas question donc pour les Etats-Unis de laisser tomber ce nouvel allié stratégique. Or le transit du gaz russe par l’Ukraine (actuellement 40% des exportations de Gazprom passent par l’Ukraine) est une manne financière vitale pour un pays à peu près ruiné. Biden a ainsi obtenu de l’Allemagne de l’argent pour qu’elle aide l’Ukraine à accomplir sa transition énergétique. Surtout, l’Allemagne s’est engagée à convaincre la Russie de proroger les accords de transit existant avec l’Ukraine et devant s’achever en 2024. Elle s’est dite prête à prendre des sanctions contre la Russie dans le cas contraire.
Poutine n’a pas relevé ce dernier point (laissant faire son ministre Lavrov), et s’est sobrement félicité de l’achèvement du chantier qui renforcera la position stratégique de la Russie en matière énergétique.
Les deux autres raisons de l’opposition américaine sont moins mises en avant mais bien réelles : tout d’abord, les Etats-Unis n’ont pas renoncé à exporter leur gaz de schiste vers l’Europe, malgré son coût important et, bien sûr, toute progression russe est un obstacle; ensuite une russophobie aigüe agite toujours la classe politique américaine. Plusieurs élus ont d’ailleurs réagi violemment à cet accord, comme l’inévitable Ted Cruz, digne héritier des néo-conservateurs.
Mais Biden veut renouer avec l’Allemagne et c’est une belle victoire pour la fin du règne de Merkel qui a clairement montré à l’Europe que l’on pouvait résister aux diktats américains. ■
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Qui oserait venir encore nous parler d’Europe, alors que l’Allemagne s’émancipe de ce « fourbi » qu’elle organise systématiquement.
Il faut en convenir, les teutons sortent « par le haut de l’union, et traitent d’égal à égal avec les USA, et nous restons désindustrialisés, avec nos « rafales » sur le dos, partenaire d’un couple, dont le conjoint a divorcé depuis belle lurette.
Nous sommes les seuls à croire à ce fantôme fugitif que fut l’Europe, nos trop fameux « amis allemands », on bien tiré leur « euro-deutschemark » du jeu. La guerre économique qu’ils nous ont livré nous a relégué au rang de « petit pays » touristique, comme la Grèce, le Portugal, et nous agonisons inertes et lamentables, gouvernés par des fous, confinés dans leur trop beau palais de l’Elysée, jouissant d’un pouvoir dont de toute évidence il font un mauvais usage, nous sommes en passe de devenir le 17 ième land allemand, et lorsque je dis en passe, j’essaye d’être optimiste. Ce n’est pas la France qui sort de l’Europe, c’est l’Allemagne qui nous contraint de jouer les utilités. Non Macron, tu peux toujours rouler des mécaniques que tu n’as pas, tu es soumis . Plus que jamais « ne touche pas à ma France », elle est bien mal en point … MARC CHAPELLE
Le général Gallois, mort en 2010, un des concepteurs de la Force de Frappe, gaulliste de 1943, dans le site « Les manants du Roi », avait condamné le Traité de l’Elysée du 22 janvier 1963 entre De Gaulle et Adenauer, dénaturé par un préambule : »l’horrible chapeau » le 15 juin suivant, devant le Bundestag, traité devenu, du coup, un “chiffon de papier” du type de celui du 4 août 1914.
De même, le général Gallois considérait l’élection du Président de la République au suffrage universel comme une erreur fondamentale. Et pourtant, De Gaulle lui même déclare » . Ce qui est à redouter, à mon sens, après l’événement dont je parle [ s-e sa disparition], ce n’est pas le vide politique, c’est plutôt le trop plein !.. » On en a l’illustration actuellement.
Reste de cette époque tragique, la dite Force de Frappe, élément clé de notre souveraineté qui a été lui aussi dénaturé par J. Chirac .
Je cite toujours Gallois: « Le successeur de M. Mitterrand décida de mettre un terme à la politique militaire du général de Gaulle. Avec perspicacité, l’expert danois Sten Rynning a écrit : « Les décisions de Chirac ont un caractère irrévocable, non seulement parce que le traité d’interdiction totale des essais nucléaires a un destin mal défini, mais parce que le site des essais du Pacifique a été démantelé et ont été fermées deux usines de fabrication de matière fissile » .
A la grande satisfaction des États-Unis, de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne et plus généralement de nos autres partenaires européens, sans parler des Etats du Pacifique, la France rentrant, enfin, dans le rang, celui des puissances sous-moyennes…..Seule la France, en 1996, a cru bon de devancer les prescriptions d’un traité inexistant en renonçant de manière irréversible aux expérimentations nucléaires :
-fermeture de son Centre d’essais du Pacifique, dispersion des équipes de scientifiques au moment où les États-Unis investissaient plus d’un milliard de dollars pour développer leur Centre d’essais du Nevada. La France, elle, s’en remettait à son procédé dit de simulation auquel les Etats-Unis ne font pas confiance et qui, en outre, dépend de la cession, par des firmes américaines, des ordinateurs de très forte capacité construits par la société « Compaq » (récemment acquise par Hewlett-Packard).
Ajoutons le démantèlement de l’usine de Pierrelatte d’enrichissement de l’uranium et de l’usine de Marcoule traitant le plutonium ainsi que la démilitarisation du plateau d’Albion succédant à la destruction des engins à courte portée « Hadès » et à la réduction de près de 60 % des crédits consacrés aux armes de la dissuasion.
En Europe on désarme tandis que les Etats-Unis surarment et que l’Asie Pacifique arme ( fin de citation)