Par Rémi Hugues.
Étude en 18 chapitres publiée en feuilleton dans JSF. Elle s’achève ici et sera réunie en un document unique.
L’union dure trois ans
Mêlant tonalité lyrique et registre épique, le jeune Lagrange s’emploie avec fougue à démontrer qu’il y a une conciliation possible entre le syndicalisme et le royalisme, en dépit des visions différentes sur des aspects déterminants, notamment à propos de la guerre, à l’heure où celle-ci paraît de plus en plus inéluctable eu égard à la menace prussienne. « Lagrange, dans une conférence faite en Normandie, percevait clairement une partie de ce qui sépare syndicalistes et nationalistes : les syndicalistes sont anti-patriotes et anti-militaristes. Par un prodige dialectique, il parvenait à montrer que le capitalisme internationaliste s’étant emparé de l’État français, les ʽʽanti-patriotes’’ pouvaient fort bien s’avérer des nationalistes qui s’ignoraient. Et d’utiliser la protestation des syndiqués contre le travail à meilleur marché des ouvriers belges pour affirmer que seule une politique nationaliste satisferait certaines revendications. »[1]
Mais ce qui visiblement lui plaît encore plus dans le syndicalisme prolétarien, c’est la justification du recours à la violence, l’apologie de l’action directe, l’exaltation des opérations coup de poing contre le pouvoir. En effet en « 1914, Lagrange est exclu de la Ligue pour avoir préparé, avec quelques amis, un coup de force décisif contre la République. »[2]
De toute façon, cette même année l’activité du cercle s’arrête. En tout 14 conférences auront été organisées[3]. Le 2 juin a lieu au café Voltaire le dernier repas pris en commun entre royalistes et syndicalistes.
Ce que la grande dépression, causant une contestation contre le système républicain que la reprise – que les historiens appellent Belle-Époque – ne suffit pas à calmer, comme en témoignent les révoltes paysannes de 1907 et de 1911, a réuni, l’aile catholique conservatrice de l’Action française ne parvint à la briser. Maurras subissait les « attaques des catholiques lui reprochant de tolérer cette référence à Proudhon au sein de son mouvement »[4] Il est vrai que l’antichristianisme d’un Proudhon qui « défie les Dieux à la manière de Prométhée »[5] pouvait faire tache.
Il lui était notamment reproché cette ode au diable composée dans De la justice dans la Révolution et dans l’Église : « Viens, Satan, viens le calomnié des prêtres et des rois, que je t’embrasse, que je te serre sur ma poitrine ! »[6] On peut comprendre que certains, attachés au message de l’Église du Christ, aient pu être choqués par ces propos sacrilèges. Mais cette guerre, prophétisée par Léon Bloy, dans laquelle ces bien-pensants s’engouffrèrent tête baissée, n’était-elle pas l’œuvre du princeps hujus mundi lui-même ?
C’est bien la Première Guerre mondiale et elle seule qui mit fin à l’expérience du Cercle Proudhon, comme le montre Géraud Poumarède en soutenant qu’il « ne survit pas à la déclaration de guerre. L’entreprise n’aura pas de suite après la victoire. »[7] Certains de ses membres, comme Lagrange, de Barrès et Boissier tombèrent au champ d’honneur. Autant de force humaine en moins pour le remettre sur pied après la guerre.
À l’origine du Cercle Proudhon, il n’y a peut-être au fond ni Valois, ni Sorel, ni Maurras, ni Berth, mais leur grand ennemi d’alors, Georges Clemenceau. En 1906, après qu’une grève du 1er mai secoue fortement la France, ce dernier, qui est ministre de l’Intérieur, exploitant la crainte qui s’empare des nantis, « invente sa fameuse théorie du complot : le gouvernement posséderait les preuves d’une entente entre les syndicats et divers agents réactionnaires. »[8]
En insinuant qu’une union des contraires s’était formée pour renverser la République, le « Tigre » donna une belle idée à la carpe et au lapin qu’il avait eu l’idée de marier. Et quelques années plus tard s’amorça ce rapprochement tant décrié, provoquant la grande peur de ces progressistes amoureux de l’ordre né de 1789, républicains ardents et hypocrites possédants. Sous différents avatars cette union des contraires renaquit après sa disparition en 1914, et pas seulement en France. Ailleurs dans le monde des esprits furent éblouis et fascinés par ce projet qui ambitionnait de faire survenir un nouveau Grand Siècle. ■ (Fin).
Maurras et Mistral au Café Voltaire
[1] Georges Navet, op. cit., p. 61.
[2] Géraud Poumarède, op. cit., p. 84.
[3] Ibid., p. 71.
[4] Ibid., p. 79.
[5] Georges Navet, op. cit., p. 56.
[6] Cité par Rolland Villeneux, Dictionnaire du diable, Paris, Omnibus, 1998, p. 876.
[7] Géraud Poumarède, op. cit., p. 85.
[8] Zeev Sternhell, op. cit., p. 324.
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Bien instructive cette série de Rémi Hugues et portant sur un sujet qui n’est pas prés d’être résolu : la Droite ( puisqu’il faut simplifier ) veut elle sortir du champ clos de la défense de « possédants » et la voilà qualifiée de démagogue , populiste ; fasciste si elle s’obstine .
Le parti Radical ? « de Droite » sauf pour l’anticléricalisme , accusé , pour couronner le tout d’avoir miné le Front populaire !
CDG , un « réactionnaire » même avec son référendum sur la régionalisation .
REFERENDUM DU 27 AVRIL 1969
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Déclaration du Général de Gaulle , Président de la République exposant les motifs du projet de loi relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat
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» Comment ne pas reconnaître que , si l’ impulsion de l’ époque transforme matériellement notre pays dans ses profondeurs , elle lui impose , en même temps , de changer les conditions morales et sociales de son existence ? Bref, ce qui est en cause , c’est la condition de l’homme . Il s’agit donc , partout ou [accent sur u] des hommes sont ensemble pour vivre ou [accent sur u] pour travailler , de rendre leurs rapports plus humains , plus dignes, par là plus efficaces . Il s’agit que chacun , là ou [accent sur u] il fournit son effort , ne soit pas un instrument passif , mais participe à son propre destin. Voilà quelle doit être la grande réforme française de notre siècle »