PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette tribune est parue dans Le Figaro d’hier, 30 juillet . Nous savons bien que les pouvoirs publics peuvent se montrer bienveillants ou intraitables, selon la catégorie sociale mise en cause. Et que notre démocratie a développé les inégalités au lieu de les avoir réduites. Le deux poids de mesures est un pont-aux-ânes rebattu. Sur ces évidences, Mathieu Bock-Côté jette pourtant sur ces évidences ce regard en profondeur qui est sa marque.
Depuis l’annonce de la mise en place du passeport sanitaire, l’État et ses représentants se sont voulus implacables dans les modalités de son application, comme s’ils entendaient faire une démonstration de force. Du contrôle des cafetiers à celui des badauds en terrasse, de la promesse d’amendes exorbitantes à la fragilisation de certains droits que l’on croyait fondamentaux, les pouvoirs publics veulent prouver leur sérieux. Ils mettent en place, sans même s’en rendre compte, la société de la traçabilité généralisée, multipliant les contrôles, encourageant la délation.
On s’en inquiétera: même si elles se réclament du pragmatisme, rien n’est plus durable, en démocratie, que des mesures temporaires ou transitoires, et le passeport sanitaire ou, du moins, la logique qu’il aura contribué à installer, pourraient survivre à l’indispensable vaccination massive de la population. Il n’est nul besoin de verser dans la dénonciation exagérée et hyperbolique d’une dictature sanitaire pour critiquer la dérive d’une société où chaque action, de la plus intime à la plus officielle, pourra être enregistrée et tôt ou tard réglementée pour des raisons que la technocratie jugera toujours raisonnable.
Un basculement historique
On sera néanmoins frappé par un paradoxe: cet État qui entend contrôler un nombre croissant de relations sociales, au nom de la sécurité sanitaire, se montre bien plus tiède lorsqu’il s’agit de défendre la sécurité ordinaire des Français, à un moment où les agressions se multiplient, en plus de cibler régulièrement les représentants de l’État. On trouve désormais en France non plus seulement des zones de non-droit, mais des zones de non-France. Ce que l’on nomme insécurité n’est à bien des égards que la traduction dans la vie quotidienne d’un basculement historique où de nombreux Français sont expulsés de chez eux, et traités comme des indésirables dans ce que l’on nomme pudiquement les «quartiers».
Le régime diversitaire travaille fort à neutraliser la signification de ces agressions en les dispersant en mille faits divers qu’il ne faudrait surtout pas amalgamer. Peut-être faut-il faire un lien entre cela et l’impuissance de l’État, malgré quelques rodomontades électorales, à maîtriser les flux migratoires qui engendrent une société aussi hétérogène que conflictuelle, même si la propagande officielle la célèbre en répétant sur le mode slogan que la diversité est une richesse. La rhétorique usée sur les droits de l’homme vient corseter l’État et le condamner à l’impuissance alors qu’il devrait protéger les frontières.
Fort avec les faibles, et faible avec les forts. La formule convient parfaitement, et s’applique encore plus largement qu’on ne le croit: les pouvoirs publics peuvent se montrer bienveillants ou intraitables, selon la catégorie sociale mise en cause. Comment comprendre un régime qui annonce vouloir lutter contre les comportements machistes et les discours haineux en se montrant toujours plus répressif contre ces derniers, mais qui, au nom de la diversité, célèbre dans le rap et plus largement la culture des banlieues une agressivité telle qu’elle n’est pas sans évoquer un désir d’appropriation des femmes à la manière d’un geste de domination et d’un exercice archaïque de la souveraineté en pays conquis? Comment comprendre un État se voulant hostile au racisme, mais peinant à reconnaître le racisme antiblanc?
L’État thérapeutique
Comment comprendre un État qui se veut de plus en plus hygiéniste, mais qui tolère l’enlaidissement des grandes villes et leur saccage au quotidien? Comment comprendre un État qui se montre intraitable envers le contribuable ordinaire, mais qui tolère la multiplication de campements de migrants imposés de force par des associations d’extrême gauche? Comment comprendre un État qui s’inquiète davantage de l’automobiliste en campagne que des rodéos urbains? Comment comprendre un État qui prétend lutter pour l’inclusion de tous, mais qui traite en lépreux ceux qui ont le mauvais goût de mal voter ?
C’est la question du régime qui permet de comprendre cette inversion de ce qu’on appelait traditionnellement la fonction régalienne: on verra ainsi d’un côté l’État se montrer de plus en plus dur avec le commun des mortels, toujours plus tatillon et réglementeur aussi, et étendant sans cesse les domaines quadrillés un jour au nom de la santé publique, l’autre jour au nom de l’inclusion ou de la lutte contre les discriminations ; et de l’autre, s’aplatir devant ce qui compromet à terme la concorde civique et l’existence même de la nation, ou même l’encourager.
L’ingénierie sociale se redéploie dans les paramètres de ce qu’il faut bien appeler l’État thérapeutique. Les populations occidentales sont ainsi progressivement amenées à consentir à leur exil intérieur, dans un monde où elles ne seront plus que tolérées, comme si elles n’étaient désormais que le bois mort de l’humanité. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
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