Nombre de pages : 144
Prix : 20 € (frais de port inclus)
Une recension de Lucien Dubech parue dans Chronique des Livres », L’ACTION FRANÇAISE, 27 février 1918.
Sous le titre assez imprécis de Constaninople et Byzance, la maison Crès vent d’éditer le dernier livre de Léon Bloy : cette œuvre posthume n’est pas à proprement parler nouvelle, car elle ne fait que présenter en un volume des articles parus en 1906, dans le Mercure de France.
Quel type singulier aura été ce Léon Bloy, hybride de catholicisme et d’anarchie chez qui le catholicisme revêtait la forme pour le moins singulière en pareil cas de la provocation. Sa foi était sincère mais il l’affichait. Toute conviction devenait chez lui spontanément agressive et outrée. Il cultivait le paradoxe avec une dilection que l’âge n’avait pas affaiblie, faisant lui-même figure et prenant l’attitude de paradoxe vivant et ambulant. Au fond, Léon Bloy fut un romantique attardé. Son style, par beaucoup de côtés excellent, correct et solide, se complaisait à l’éclat, aux tons montés du Parnasse. Au résumé et en dépit de ses poses d’entrepreneur de démolitions et de mendiant ingrat, il fut bon écrivain et son intelligence était sur beaucoup de points lucide et pénétrante.
Le livre qui nous occupe, n’a guère que de l’excellent, mais la part de Léon Bloy y est relativement petite : la présentation seule lui appartient. Tout le fond est emprunté aux quatre livres de M. Gustave Schlumberger, sur l’Épopée byzantine. Pénétré d’admiration pour cette maîtresse œuvre historique, Léon Bloy avait entrepris de la vulgariser. Excellente intention, dont on ne saurait dire trop de bien.
Un des phénomènes de ce temps-ci qu’on peut regarder comme les plus inquiétants du point de vue de l’Avenir de l’intelligence, réside dans la séparation qui existe entre le grand public et la production savante. Les gens d’aujourd’hui se figurent qu’ils sont informés : erreur énorme, qui apparaît quand on compare la moyenne des hommes instruits telle qu’elle fut aux bons siècles de l’esprit français avec ce qu’elle est de nos jours, car il est parfaitement certain qu’en cherchant à étendre l’instruction, on s’est peu soudé de lui faire perdre la profondeur et la solidité. La moindre comparaison entre la composition d’une bibliothèque d’aujourd’hui et d’une « librairie » d’autrefois est frappante à cet égard. Tout Français instruit de l’ancien régime lisait couramment des ouvrages qui paraissent aujourd’hui aussi difficiles que l’Histoire des Variations de Bossuet, l’Esprit des Lois, l’Histoire naturelle de Buffon, sans compter les Encyclopédistes qui trouveraient aujourd’hui bien peu d’amateurs. Toute bibliothèque avait son Horace. Qu’on aille voir maintenant ! La parabole de la bibliothèque des ducs de Brécé s’applique équitablement à toutes les classes et à touts les catégories sociales.
La science et l’opinion ont fait divorce. Qui dira ce qu’elles perdent l’une et l’autre à vivre ainsi sans se connaître ni se pénétrer ! Mais qu’y faire dans l’état actuel des choses,sinon signaler et encourager les rares et impuissantes tentatives de rapprochement ?
Le livre de Bloy est une de ces tentatives. Elle ne pouvait mieux s’adresser. L’ouvrage de M. Gustave Schlumberger, dont elle entretient le grand public est un de ceux où la matière et l’ordonnance sont éminemment propres à séduire tout ce qu’il y a en France de gens de goût. Léon Bloy suit pas à pas les quatre volumes où le savant auteur a retracé ce qu’il appelle l’Épopée byzantine, c’est-à-dire le sursaut d’énergiequi galvanisa l’empire d’Orient de 960 à 1025, sous les règnes des trois glorieux et puissants empereurs Néophore Phocas, Jean Tzimiscès et Bazile le Bulgaroctone. L’étude de M. Schlumberger se poursuit jusqu’à l’avènement du premier Commène, en 1057. Mais la véritable épopée est synchronique de la trilogie de ces grands empereurs.
Cette histoire était particulièrement difficile à écrire ; les données en sont d’une rareté : extrême et en dehors des chroniqueurs comme Léon Diacre, Zonaras ou Psellus, de quelques écrivains arabes comme Aboulfaradj ou Yahia, les pièces sur lesquelles l’érudition historique pouvait bâtir sont à peu près inexistantes. Aussi n’avaient-elles guère tenté, que peu d’auteurs en dehors de l’historien français Lebeau jusqu’aux travaux de M. Schlumberger. Celui-ci déclare qu’il a dû souvent compulser des tas entiers de volumes pour trouver une référence de trois lignes. Mais en unissant toutes les ressources de la philologie, de la sigillographie, de la numismatique, de l’épigraphie repliées et éclairées par une ferme imagination et guidées par les lumières de la raison historique, M. Schlumberger a réussi le tour de force de recomposer un tableau d’ensemble du monde byzantin aux Xe et XIe siècles : certaines pages que Léon Bloy cite avec une admiration justifiée, sont tracées de main de maître, par exemple, l’assassinat de Nicephore ou le siège de Silistrie par Tzimiscés. Il faut lire dans leur texte ces vastes compositions où la justesse du détail se fond dans l’ensemble des larges touches et des plans savamment ordonnés.
Léon Bloy ne quitte jamais d’un pas son historien. Quand il ne le cite pas, il le résume. À peine s’interrompt-il de temps à autre pour placer des réflexions qui sont parfois d’une drôlerie singulière. Ce farouche orthodoxe était, à la manière de feu Huysmans, grand amateur de diableries. Quand M. Schlumberge vient de tracer le portrait de l’aventureuse Théophano, aimée de trois empereurs, mère de deux antres et tueuse d’au moins un, Léon Bloy l’interrompt pour s’écrier qu’il professe « un goût très vif pour cette drôlesse ! » Quand il décrit une sorte d’assassinat bien noir, il prend un temps par ci par là comme pour se sucer les doigts avec gourmandise. Il faut voir de quel ton il rabroue M. Schlumberger coupable de ne pas croire que Bardas Phocas fut frappé de mort subite pour avoir parjuré un serment sur les reliques. Enfin, il déclare, qu’il a lu quatre fois l’Épopée byzantine, « non par zèle, mais pour assouvir ses passions ! »
Ce n’était pas précisément une fonction de tout repos que celle de « Basileus » de Byzance vers, la dernière partie du Xe siècle. Le Slave ou le Bulgare au Balkan, la jeune puissance des Fatimites d’Égypte, celle déclinante des Abbassides de Bagdad plaçaient l’empire grec dans une situation telle que Léon Bloy la compare à celle d’un géant occupé à combattre des lions avec une panthère sur l’épaule.
L’énergique Bulgaroctone ne s’en sortit qu’a force de souplesse, de décision et de férocité. Pour mater les Bédouins, il coupe les mains aux prisonniers. Pour étonner les Bulgares, il leur crève les yeux. Léon Bloy, dont l’âme était, au fond, évangélique, fait mine de s’enchanter de ces procédés pacificateurs. Il déclare froidement — ou’ pour mieux dire, chaudement – qu’une Byzance sans égorgements, dépeçages ou étripements lui semblerait chose illogique et fastidieuse !
Les réflexions de Léon Bloy sont parfois hasardeuses, parfois aussi d’une singulière justesse. Par exemple, il annonce quelque part que lors de la prochaine guerre, les Allemands rivaliseront en férocité et en destructions avec les pires époques. Autre part, il met en garde contre le vain espoir d’avoir un jour prochain les Russes – qu’il appelle les Scythes – « se gouverner sagement eux-mêmes ». Voilà-t-il pas, de la part d’un écrivain qui goûtait fort le genre apocalyptique, des vues très suffisament prophétiques ?
On quitte Léon Bloy avec l ’impression d’avoir parcouru un roman singulièrement attachant et un grand désir de lire on relire l’Épopée byzantine – pour assouvir la passion de la bonne, vraie et grande histoire.
Né le 26 octobre 1881 à Romorantin (Loir-et-Cher) et mort le 17 janvier 1940, Lucien Dubech était un écrivain, critique littéraire, journaliste à l’Action française et Candide et militant royaliste français, disciple de Charles Maurras et proche de Jacques Bainville.