PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette tribune est parue dans Le Figaro d’hier, 6 août. Dans le fond, avec son regard de sociologue, Mathieu Bock-Côté y exprime à peu près le même souci anxieux que Gilles-William Goldnadel dans son dernier article également repris par JSF : « Tandis qu’on manifeste contre le passe sanitaire, on regarde passivement l’immigration passer. » Mathieu Bock-Côté jette sur cette évidence cet éclairage en profondeur qui est sa marque. Les passions suscitées par la crise sanitaire menacent la tenue d’un débat nécessaire sur les défis majeurs de la société, pandémie ou pas ! Et ce souci extrême, nous le partageons.
Tandis que la France semble engagée dans une dynamique de partition ethnique qui pourrait un jour devenir irréversible…
La polarisation autour du passeport sanitaire et le vaste mouvement de protestation qu’il suscite pourraient dérégler en profondeur les paramètres de la prochaine élection présidentielle. La question du passeport sanitaire, qui a reçu le nihil obstat du Conseil constitutionnel, sous quelques réserves, soulève assurément des questions fondamentales sur le modèle de société qu’il risque d’engendrer. Mais l’émergence en temps réel d’un clivage autour de cet enjeu est d’une autre nature et canalise les passions politiques dans une impasse, et cela plus encore lorsqu’il s’exprime dans sa formule plus extrême, avec le clivage entre provaccins et antivax.
Ce dernier habille dans un langage nouveau l’affrontement depuis un bon moment ritualisé entre les «républicains» et les «populistes», entre la «démocratie» et l’«extrême droite» entre les «progressistes» et les «lépreux». Les schémas politiques les plus stériles des dernières années sont réactivés pour accueillir cette nouvelle querelle tout en écrasant la complexité du monde: on en vient presque à oublier qu’on peut être tout à la fois partisan de la vaccination massive tout en confessant de vraies réserves devant la société du traçage généralisé.
La reconstruction exclusive du débat politique autour des modalités de sortie de la pandémie entraîne déjà une oblitération de sujets fondamentaux qui auraient dû, et devraient encore, structurer la conversation civique jusqu’à la prochaine élection présidentielle, la question de l’immigration n’étant pas le moindre d’entre eux alors que la France semble engagée dans une dynamique de partition ethnique qui pourrait un jour devenir irréversible.
Il y a quelque chose d’étonnant à ce que la question de l’immigration massive et de ses effets ne soit pas celle qui structure l’ensemble de la vie politique, tant elle bouleverse des domaines de la vie collective en apparence aussi contrastés que la sécurité ou l’éducation. C’est une révolution racialiste qui se constate en France, au nom du décolonialisme. De même, on aurait pu espérer que l’autre grande épidémie des temps présents, c’est-à-dire la diffusion du wokisme, engendre une réaction vive, et cela particulièrement en France, qui dispose de ressources inouïes dans sa culture pour y résister. La névrose woke dérègle les coordonnées fondamentales de l’existence, pour peu qu’on garde à l’esprit qu’elle cherche à anéantir les fondements sexués de l’humanité en la condamnant ainsi à une déstructuration psychique inédite.
Ne serait-il pas temps aussi de faire de la restauration de la liberté d’expression une cause démocratique à part entière, pour qu’enfin le débat public se délivre des nombreuses censures qui pèsent sur lui ?
Il n’est pas interdit d’être pessimiste. On s’en souvient, la présidentielle de 2017 avait été détournée de sa trame de fond par l’absurde question des complets de François Fillon et de l’emploi supposé fictif de son épouse, qui avait fait oublier aux Français le temps d’une élection que leur pays avait été depuis 2012 la cible d’attentats islamistes à répétition. On était en droit d’y voir une confiscation médiatique de la vie politique et un kidnapping démocratique. Naturellement, la crise sanitaire est d’une tout autre nature et nul n’aura l’idée de placer sur le même plan une minable opération de torpillage contre le candidat de la droite à l’époque et une crise d’envergure historique qui a placé un temps la planète à l’arrêt. Mais un point de comparaison demeure: une société qui rate chacune de ses échéances démocratiques en se montrant incapable de placer au cœur de sa vie publique la question des fondements compromis de son existence historique. À ne jamais savoir traduire en polarisations fructueuses les tensions qui la structurent, la démocratie engendre un sentiment d’aliénation qui à la fois hystérise la vie publique et imprime dans la conscience collective un profond sentiment d’impuissance politique.
On pourrait le dire autrement: depuis quelques décennies, la société française, comme les autres sociétés occidentales, est engagée dans un processus historique qu’on assimilera sans exagérer à un véritable changement de civilisation. Elle le sent, elle le sait, même, mais peine à avoir une emprise sur cette dynamique, comme si elle était poussée par un supposé sens de l’histoire qui forcerait les hommes à s’adapter à l’inéluctable, sans qu’ils parviennent vraiment à façonner leur destin.
Trop souvent, le politique se perd en ratiocinations gestionnaires ou en spéculations publicitaires. Y aura-t-il encore demain un peuple français ou sera-t-il seulement occupé désormais à négocier les termes de sa minorisation? La crise sanitaire sera depuis longtemps chose du passé que cette question demeurera encore centrale, tant qu’il y aura des Français pour se la poser. Mais plus le politique s’en éloigne, et la relativise, et plus elle devient explosive. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Sélection photos © JSF
Excellent article. Malheureusement les français sont insouciants et inconscients des réalités
La pandémie n’était pas un phénomène à part du délitement de notre nation. Elle en fait partie, comme l’invasion des panzers en 1940 est inhérente à notre Histoire et à notre décadence. Je me permets de rappeler qu’un professeur éminent de virologie marseillais en rupture avec le Conseil scientifique mis en place par le Président Macron, dès le premier trimestre 2020 a déclaré: » Le consensus du Conseil , c’est Pétain ! ». De même, il argumenta sur la différence de conception du traitement et de résultats entre Paris et Marseille… L’Est plus atteint que l’Ouest au début, les « jeunes » non concernés par le sort des vieux et rejetant les masques et les vaccins dans des « regroupements festifs », certains commentateurs TV accusant les vieux « privilégiés par l’emploi assuré des 30 glorieuses » de pénaliser les jeunes chômeurs en puissance, l’endettement massif et quasi sans contrôle ( « Quoiqu’il en coùte… »), tous ces faits montrent que la démocratie français prend un méchant coup avec le Covid comme la 3ème République avec le Nazisme en 1940-44…
Pour relever, mettre en relief, la pertinence et la lucidité de ce texte, on peut regarder ce superbe documentaire d’ARTE sur le Japon, le « pays des racines du Soleil ».
Cette même chaîne à l’avant-garde de l’aveuglement dénoncé par Mathieu Bock-Côté nous propose un hymne à la tradition. L’une des dernières phrases du commentaire : « Si le futur d’une nation se mesure à la force de son attachement à ses origines, il n’y a pas lieu de s’inquiéter pour l’avenir « … du japon, bien sûr ! A qui d’autre pensiez-vous? Vérité aux antipodes, inapplicable au pied du Mont-Blanc.
https://www.arte.tv/fr/videos/080959-000-A/japon-aux-racines-du-soleil/?cmpid=FR&cmpsrc=newsletter&cmpspt=email&actId=ebwp0YMB8s29TZra_iGGbXV1qzzpVLXuLyr5FYI13OoxqbW1DNmlCYJswPYmj_yw&actCampaignType=CAMPAIGN_MAIL&actSource=501632