Du nouveau, original et local : un village corse – Poggiolo – au centre de l’affaire des manuscrits perdus et retrouvés de Céline. Au centre d’une affaire qui touche à l’histoire des lettres françaises, à l’Histoire tout court s’agissant de l’auteur de Mort à crédit.
L’article repris ici a été publié dans le blog des Poggiolais animé par Michel Franceschetti que les lecteurs de JSF connaissent bien, et sur sa page Facebook.
La découverte de manuscrits inédits de l’écrivain Louis-Ferdinand CÉLINE a provoqué une tempête dans le monde littéraire parisien… et Poggiolo est impliqué dans cet événement.
« Le Monde » de vendredi 6 août a publié un article de Jérôme DUPUIS expliquant comment viennent de réapparaître ces écrits disparus depuis 1944. Pratiquement tous les quotidiens et hebdomadaires français, et même étrangers, ont repris ces révélations.
Des milliers de feuilles écrites par CÉLINE
Jean-Pierre THIBAUDAT, ancien critique littéraire de « Libération », est allé voir en juin 2020 Emmanuel PIERRAT, avocat spécialiste du droit d’auteur et des successions d’artistes, pour lui révéler qu’il possédait près d’un mètre cube de feuillets de la main du grand auteur antisémite. Trois romans inédits, une nouvelle, le manuscrit intégral de « Mort à crédit » et de très nombreux écrits divers font partie du lot. Le détail est décrit par THIBAUDAT sur Médiapart.
PIERRAT contacta alors son confrère François GIBAULT et Véronique CHOVIN, tous deux ayants droit de Lucette DESTOUCHES, la veuve de CÉLINE, morte en 2019. Comme il n’y eut pas d’accord entre les protagonistes, une plainte fut déposée contre THIBAUDAT qui dut remettre à la police les documents donnés ensuite aux ayants droit.
Une question se pose: où se trouvaient ces écrits depuis soixante-dix-sept ans, quand CÉLINE, sa femme Lucette et leur chat Bébert quittèrent en catastrophe Paris pour l’Allemagne le 17 juin 1944, à la veille de la libération de la capitale ?
Oscar ROSEMBLY, l’homme le mieux placé
La piste ROSEMBLY est la plus souvent évoquée.
Oscar Louis Jean ROSEMBLY, né à Poggiolo le 4 avril 1909 et mort à Ajaccio le 25 septembre 1990, a fait l’objet d’une biographie dans un article publié sur ce blog le 22 novembre 2020 à l’occasion du décès de sa fille. On avait insisté sur ses origines familiales, sur sa vie de bohème et ses dernières années au village en faisant l’impasse sur l’année 1944.
Emile BRAMI, auteur d’une biographie de l’écrivain, est persuadé que ROSEMBLY s’était emparé des papiers céliniens en se faisant passer pour un résistant chargé de perquisitionner l’appartement de la rue Girardon entre le 25 et le 30 août 1944. BRAMI avait trouvé la trace d’Oscar ROSEMBLY en 1997 dans un dossier remis par le fils de l’avocat Jean-Louis TIXIER-VIGNANCOUR. Il tenta en vain de rencontrer sa fille Marie-Luce.
Le journaliste Jérôme DUPUIS rencontra Marie-Luce à Paris en 2003 puis à Corte où elle vivait mais, au dernier moment, la visite prévue dans la maison de Poggiolo fut annulée. Il vient donc de publier l’historique de cette résurrection littéraire. Il croit peu au rôle de ROSEMBLY alors que BRAMI est persuadé du contraire, ainsi que ce dernier l’a déclaré dans un entretien avec Benoît GROSSIN sur France Culture le 8 août dernier.
Qui a donc pu s’emparer selon vous des manuscrits ?
On connaît la perquisition faite par Oscar Rosembly. Elle est établie et documentée. Et Céline a accusé nommément cet homme. Oscar Rosembly, ce personnage très particulier était un proche du peintre Gen Paul, ami intime de Céline, et ils habitaient tous les trois dans le même quartier.
À cause de son nom, tout le monde croit qu’il est juif, ce qu’il n’est pas. Il appartient à une famille juive qui est arrivée en France au XVIIe siècle et qui s’est très rapidement convertie au catholicisme. Et c’est quand même un archétype antisémite, Céline, pensant qu’il est juif, lui fait faire sa comptabilité!…
Lorsqu’il y avait des rafles ou bien des patrouilles allemandes dans la butte Montmartre, Oscar Rosembly montait au quatrième étage chez Céline pour se cacher.
Cultivé, Oscar Rosembly a été assistant parlementaire d’un ministre (Camille Chautemps). Il sait, lui, la valeur de ce qu’il y a chez Céline. Il sait qu’un manuscrit de Céline est quelque chose de très important, même si à l’époque, cela n’a pas la valeur d’aujourd’hui. Il sait que littérairement, c’est quelque chose de très important. Il faut savoir aussi que lorsque Céline dit quelque chose, c’est toujours exagéré, mais qu’il y a toujours, sans exception, un fond de vérité. Donc, si Céline dit que c’est Oscar Rosembly qui l’a volé, on peut être à peu près certain que c’est lui.
Il faut noter aussi qu’Oscar Rosembly a été arrêté après la Libération (le 5 septembre 1944) pour avoir mené des perquisitions chez d’autres collabos notoires, Robert Le Vigan par exemple. Il a été arrêté et jugé pour s’être largement servi, plutôt que de faire simplement des vérifications pour la Résistance.
La maison de Rosembly à Poggiolo, a-t-elle hébergé les manuscrits de Céline ? © Michel Franceschetti – août 2021
Les multiples vies de Poulo
Que devint ROSEMBLY entre sa sortie de la prison de Fresnes et son installation définitive à Poggiolo vers 1980 ?
Il épousa à Paris en 1947 Mathé Eugénie Angèle GUALANDI, décédée en 1998, fille d’un bijoutier de Corte. Ils eurent une fille, Marie-Luce, qui est morte en novembre 2020, mais le mariage ne dura pas.
Dans son enquête, Jérôme DUPUIS écrit qu’il serait devenu gourou en Californie. Il semble certain qu’il soit allé un certain temps sur le continent américain.
D’après Xavier PAOLI, l’historien de Poggiolo, il aurait été employé, à sa libération de prison, dans une société de produits oléagineux. Mais il s’en faisait passer pour le directeur.
Beaucoup de Poggiolais ont cru qu’il avait été sous-préfet de la Martinique, alors que c’est sa fille qui se maria avec un représentant du corps préfectoral.
Hélène DUBREUIL raconte que ROSEMBLY distribuait des cartes de visite avec le titre de vice-consul de Suède.
Les histoires au sujet de ce personnage original sont nombreuses. Jérôme DUPUIS a certainement lu le blog des Poggiolais car il rappelle les bains de Poulo dans la fontaine, anecdote donnée par Jacques-Antoine MARTINI. Poulo était le surnom utilisé dans la famille d’Oscar, surnom devenu Paulo pour de nombreux villageois.
Le plus important est de savoir ce que Poulo avait fait des feuillets de CÉLINE. On peut imaginer qu’ils furent cachés dans la maison de Poggiolo mais ils auraient pu avoir été donnés par ROSEMBLY à une autre personne, peut-être un véritable résistant. Jean-Pierre THIBAUDAT a refusé de révéler comment il avait obtenu ce trésor littéraire. « Secret des sources », dit-il.
Quand, voici quelque temps, Alexis CHITI a fait l’acquisition de la maison, il dut, d’après Xavier PAOLI, faire sept allers-retours avec son camion pour vider le bric-à-brac accumulé par Poulo. Quelques papiers s’y trouvaient-ils encore? Toujours est-il que le mètre cube de feuillets était alors entre les mains de THIBAUDAT.
Le mystère va certainement persister. Une fois de plus, on peut constater que, dans de nombreux événements, Poggiolo et les Poggiolais sont présents !!! ■
Oscar Rosembly, le plus parisien des Poggiolais – Le blog des Poggiolais
Parmi les personnages assez particuliers originaires de Poggiolo, Oscar ROSEMBLY est certainement l’un des plus oubliés. Un avis de décès vient de rappeler son souvenir. Le 6 novembre, « Corse-Ma…
http://poggiolo.over-blog.fr/2020/11/oscar-rosembly-le-plus-parisien-des-poggiolais.html
Ci-dessous, copie de l ‘article de Jérôme Dupuis.
Les trésors retrouvés de Louis-Ferdinand Céline
Disparus en 1944, des milliers de feuillets inédits de l’écrivain, auteur de » Voyage au bout de la nuit » et de » Mort à crédit « , viennent de resurgir dans des circonstances étonnantes. » Le…
Très intéressant article, et sans doute le seul parmi tout ce qui s’est écrit sur la découverte d’un trésor celinien, à évoquer aussi humainement l’étrange Rosembly, photo de la maison incluse. Merci à M. Franceschetti.