Le hasard des lectures vient de nous faire connaître l’article que Maurras a consacré à l’assassinat d’un prêtre par un anarchiste en mai 1908, (« Un martyr de l’autorité »). Bien que le contexte et les motifs précis du meurtre soient très différents de la situation présente, il nous semble qu’il y a une leçon à tirer de ce texte, après l’assassinat du Père Olivier Maire et d’autres membres du clergé ou des fidèles catholiques. .La critique maurrassienne des diverses autorités de la France légale s’y déploie avec force et c’est l’un des points où cet article évoque notre temps de déchéance de l’autorité étatique. Que dirait Maurras, aujourd’hui des orientations dominantes dans l’Église catholique, notamment en matière de politique migratoire, de mondialisation, et autres sujets. Comment y réagirait-il ? C’est une autre et vaste question que cet article peut aussi légitimement soulever.
Par Charles Maurras
Cet anarchiste s’était juré de faire expier à un représentant de l’Autorité tout le mal qu’elle fait aux hommes.
Raisonnement effroyable, mais cohérent.
Il s’était dit : — C’est une Autorité vraie qu’il me faut atteindre. Je ne tuerai donc pas un comparse, garde-champêtre ou maire, sergent de ville ou préfet ; quant aux grands chefs, à ceux qui leur donnent des ordres, parlementaire, ministre ou président de République, ce sont des frères !
L’autorité morale est la seule debout. Encore me faut-il épargner l’instituteur qui enseigne parfois de si bonnes choses, sabotage, antipatriotisme, que sais-je ? Le pasteur protestant peut être libéral : de la graine de libertaire ! Tout cela est à respecter.
D’élimination en élimination, notre anarchiste sans ouvrage, conclut qu’un prêtre catholique était bien la seule victime qu’il pût offrir honorablement à la Grande Idée. La loi qu’enseigne un prêtre est, il est vrai, intérieure ; mais, non seulement elle s’appuie sur une doctrine qui embrasse la terre et le ciel, qui pénètre, juge, classe tous les esprits et toutes les choses, mais la volonté supérieure qu’elle proclame est aussi incarnée et personnifiée dans les êtres d’en bas. Elle a une cohorte de défenseurs visibles. Son autorité se répand, sans varier ni s’affaiblir, dans une multitude d’autorités inférieures subordonnées hiérarchiquement les unes aux autres et soumises à une suprême autorité, terrestre et visible, elle aussi.
Cet anarchiste dut se dire : « Il faut tuer le Pape. ». Mais le Pape étant loin, c’est sur un prêtre que sa résolution se fixa. Oui, il tuerait un prêtre. Il en connaissait un.
M. l’abbé Coüasnon, vicaire de Marcillé-Robert, sortait de son église. L’anarchiste se précipita sur lui comme sur l’image vivante de l’autorité accomplie, et lui enfonça, par deux fois, son tranchet dans le dos en criant on ne sait quelle expression de son fanatisme et de sa fureur. Saisi au corps, il déclara n’avoir d’autre grief contre sa victime que la haine de l’autorité cléricale et, au surplus, de toutes les autorités.
Le misérable sait-il qu’il a eu, si l’on ose ainsi dire, la main heureuse ? Nos renseignements personnels nous permettent de dire que l’abbé Coüasnon appartient à l’élite des plus fermes esprits du jeune clergé. En nous associant au sentiment d’indignation et de pitié qu’éveille ce crime d’une bête féroce, nous ne pouvons nous dispenser d’en remarquer la signification, en vérité presque mystique.
Le sang innocent, le sang pur de ce noble martyr de l’autorité, versé par une brute ignorante et sauvage, crie très haut que, chez-nous du moins, l’ennemi de l’autorité politique et l’ennemi de l’autorité religieuse font corps. Nos ralliés ont beau crier qu’ils sont républicains sincères et fervents démocrates; l’anarchie du gouvernement, l’anarchie de la rue ne distinguent pas entre les nôtres et les leurs : défenseurs du catholicisme – et défenseurs de l’ordre font une seule et même cible, la Révolution ne se lasse pas de tirer dessus. ■ (Action française, 15 mai 1908).
REMERCIEMENT À CHRISTIAN FRANCHET D’ESPEREY QUI NOUS A SIGNALÉ CET ARTICLE