Par Pierre Builly.
Marie-Antoinette, reine de France de Jean Delannoy (1956).
Solide et émouvant.
Évidemment, si l’on n’est pas ému, à l’extrême fin du film, par ces images fiévreuses du prêtre réfractaire qui s’est faufilé sous l’échafaud où l’on va couper en deux Marie-Antoinette, qui lit en balbutiant les prières des agonisants et qui est brusquement interrompu dans son oraison par le sang de la reine assassinée qui ruisselle, il faut mieux éviter de perdre son temps et garder pour soi une occasion de ricaner qui ne serait pas de très bon goût.
Je concède volontiers que Jean Delannoy n’est qu’un honnête cinéaste et non pas un immense créateur. Mais il a construit là un beau film grave, bien construit, bien photographié, bien émouvant, et Michèle Morgan, qui, à mes yeux a toujours porté une ombre de tristesse dans son regard, y est mieux que personne cette reine qui passe de la frivolité naïve, de la légèreté gracieuse du début de sa vie à la tragédie d’une femme saisie par une tourmente qu’elle comprend mal, puis au drame de l’épouse dont on tue le mari et qu’on sépare de ses enfants avant de la conduire à la mort.
Le beau visage inexpressif et un peu bête de Michèle Morgan convient particulièrement à l’illustration du drame de cette femme dont la vie n’a été que contraintes et souffrances, et qui est morte, sacrifiée, à 38 ans, haïe d’une foule sanglante, puérile et imbécile.
Le film de Jean Delannoy, qui a eu un grand succès, n’est pas très bon.
Il accorde une place démesurée à une intrigue hasardeuse, présentant la passion amoureuse de Marie-Antoinette et du comte Alex de Fersen (Richard Todd) comme avérée, ce qui n’est pas l’avis de nombre d’historiens sérieux, mais offre l’avantage cinématographique d’instiller des épices romanesques qui font pleurer Margot.
Ce qui est plus embêtant (car, après tout, l’aventure avec Fersen, qu’elle ait eu lieu ou non, n’a, aux yeux de la postérité, aucune importance), c’est que, banalement, Delannoy présente Louis XVI comme le font les pires chromos de l’historiographie militante : un lourdaud insouciant et glouton, uniquement préoccupé de chasses, de bombances et de serrurerie, alors que le Roi, géant (1,92 mètre), timide et pataud était passionné de sciences et de découvertes (on dit que ses derniers mots sur l’échafaud furent A-t-on des nouvelles de M. de La Pérouse ?, grand navigateur qu’il avait envoyé compléter la cartographie du monde connu, et qui disparut corps et bien aux Nouvelles-Hébrides).
Surtout Delannoy, qui fut pourtant un homme de droite, ne dit pas un mot de ce que furent les tentatives désespérées et continuelles de Louis XVI de réformer l’Ancien Régime ; je cite là Wikipédia : abolition de la torture en 1781 et 1788, abolition du servage dans le domaine royal en 1779, abolition du péage corporel des juifs d’Alsace en 1784, édit de tolérance des protestants en 1787. Il est aussi marqué par quatre tentatives de réformes profondes du royaume (1774-1776, 1781, 1787 par deux fois) passant par l’instauration d’un impôt direct égalitaire (en remplacement de la taille inégalitaire) et d’assemblées provinciales élues destinées à contrôler cet impôt. Ces dernières réformes butèrent sur l’hostilité des privilégiés, en particulier celle de la noblesse de robe, celle du Parlement de Paris et celle de la Cour de Versailles. Louis XVI tenta alors de passer outre leur opposition en présentant ses réformes devant une assemblée de notables (1787) puis devant les États généraux (1789).
S’il eût été réalisé, ce grand œuvre de réformation eût sauvé la Monarchie et épargné à la France et à l’Europe les monstruosités de la Terreur et les guerres de la Révolution et de l’Empire, tant de ruines et de sang… Mais Delannoy n’en dit pas un mot.
Cela dit, il faut bien admettre que le film, d’insignifiant et caricatural au début, devient, au fur et à mesure que les événements s’accentuent, aussi pathétique que le fut la réalité. Comme on l’a remarqué, il y a de la grandeur et de l’émotion à voir la famille royale humiliée, abîmée, souillée par les révolutionnaires et conservant une immense dignité, une grandeur admirable dans les épreuves et les abominations. Le couple royal, rassemblé à l’origine pour des raisons profondément et hautement politiques, ce couple mal assorti trouve dans son malheur de suffisantes raisons de se hausser à la grandeur du Destin qui lui est dévolu.
Si l’on peut comprendre, sans admettre, l’exécution du Roi Louis XVI comme un rite sacrificiel archaïque, primitif et fondateur, l’assassinat de la Reine n’a aucune justification et ne peut bénéficier d’aucun pardon : la République est souillée à jamais par ce crime inexpiable ; que des rues et des places françaises portent encore le nom de Robespierre est aussi incompréhensible que si des places allemandes se baptisaient encore du nom d’Adolf Hitler. Et le sang qui ruisselle sur l’autel hâtivement édifié sous l’échafaud par un prêtre réfractaire qui dit en toute hâte les prières des agonisants au moment où la guillotine coupe en deux la Reine retombe encore en pluie désolée sur notre pays.
Une observation sur le film : il est assez singulier, et finalement rigolo que Delannoy ait choisi, pour incarner le buveur de sang Marat, Jacques Dufilho, dont les opinions politiques étaient notoirement royalistes et que, parallèlement, le prêtre réfractaire qui, au péril de sa vie, célèbre sous l’échafaud, le sacrifice, soit Michel Piccoli, notoire compagnon de route du Parti Communiste ! Merveilles du cinéma !
Une observation sur le DVD, qui n’est pas à l’honneur de Gaumont : le sang de la Reine étoile à peine les ornements sacerdotaux que les images sont brutalement interrompues pour revenir au Menu… Dix secondes de plus n’auraient pas été si coûteuses…. ■
DVD autour de 15 €
Retrouvez l’ensemble des chroniques hebdomadaires de Pierre Builly publiées en principe le dimanche, dans notre catégorie Patrimoine cinématographique.
Présentation superbe et intelligente comme tous ces « patrimoine cinématographique » du dimanche. Merci !
La mort lente du petit Louis XVII dans des conditions absolument abjectes est tout aussi impardonnable que le meurtre de ses parents. Chateaubriand écrivait dans ses Mémoires d’Outre-Tombe que « la tête de Louis XVI en tombant a fait tomber la tête de plusieurs milliers d’hommes ». L’odieux martyr de la famille royale marque le début de la décadence de la France. Il suffit de voir où nous en sommes en 2019 !
La mort du Roi est un parricide, tentation qui nous a tous par ailleurs effleurés, consciemment ou inconsciemment. On peut, comme Albert Camus l’a fait, l’exorciser, en la regrettant et tenter de renouer le fil avec notre histoire , La mort de la Reine est une ignominie, car derrière l’habillage politique et les libelle haineux, elle révèle une haine de la femme , en tant que femme, et aussi de la la mère, qui fut outragée en tant que mère à son procès, mais aussi bien avant par la frivolité d’une société. Elle est une tâche indélébile , elle est une marche vers la barbarie, envers toutes les femmes et toutes les mères, – nous en sommes témoins- qui cesse de peser sur nous encore aujourd’hui’. « Mais la mort de Louis XVII , l’enfant Roi, est d’une certaine manière impardonnable, car elles structure notre inconscient collectif, elle nous mine de de l’intérieur, nous osons à peine l’évoquer, la chuchoter, car elle nous renverrait à notre propre décomposition actuelle si on avait enfin le courage de déterrer son cadavre et lui rendre un témoignage public. Ce n’est pas un hasard si Napoléon a fait raser la prison du Temple pour éradiquer tout pèlerinage nous ramenant la paix de l’âme, en digne précurseur d’Eltsine rasant sur ordre la maison du martyre des Romanov. ( Maintenant à Saint Petersbourg , c’est le Tsar martyr qui la plus belle place, là où les tsars sont enterrés.) Le livre « la chambre » de Françoise Chandernagor ,volontairement intemporel, illustre ce cauchemar que nous vivons depuis plus de deux siècles, et que nous vivrons tant que….nous ferons pas, clercs ou non, preuve d’un minimum de courage
Excellent commentaire.
Comme d’ habitude , les commentaires cinématographiques de Pierre Builly sonnent juste .
Et cependant , on ne peut manquer de tiquer sur la reprise des dernières paroles attribuées à Louis XVI :
Un époux et un père n’aurait il donc ses dernières mots pour sa femme , son fils – jeune enfant – et sa fille entre les mains de monstres ?
Le sommet de l’ignominie a bien été atteint avec la mort à petit feu de l’enfant dégradé dans son esprit et sa chair avant que la mort ne vienne le délivrer .
La République ( Française ) ne va pas ici faire repentance ; ses repentances , sa gouvernance , sa substance immonde .
La Russie retrouvée , par contre , rend hommage à la famille du dernier Tsar .
Je n’ai fait que citer des paroles légendaires et je ne crois pas qu’il faille tenir une adaptation cinématographique – surtout aussi « grand public » que celle de Delannoy – pour un ouvrage d’érudition…
Louis XVI a demandé que son sang ne retombe pas sur la France….et il n’a pas été exaucé !
« La Révolution française, une fronde qui a réussi » Et pourquoi a-t-elle réussi ? Par la faute de Louis XVI. Si il avait eu le caractére de Luis XIV ou de Bonaparte, nous aurions évité les soubresauts tragiques du 19 et 20 ème siécles. Sa fin illumine le personnage, mais je ne sais plus quelle femme d’esprit de cette époque a dit: » Louis XVI est le seul Roi de France à n’avoir aimé qu’une femme, mais c’était Marie Antoinette » Elle aussi est transfigutée par sa fin illustrée par David et son fameux » j’en appelle à toutes les mères » mais que d’erreurs nuisibles dans son comportement !.. . Ni l’un ni l’autre n’étaient préparés à ce drame. Louis XVI n’avait pas eu de formation militaire , seul Roi de France dans ce cas, et nous l’avons payé trés cher. Le déroulement de la fuite à Varennes est un bel exemple de ces comportements insensés.
j’ai retrouvé la femme de lettres qui dit: » Louis XVI aima une femme un peu trop, et malheureusement la sienne. » C’est Aimée de Coigny, la jeune captive d’André Chénier. ( 1769-1820)