Par David Brunat.
HUMEUR – Cette tribune d’humeur publiée le 24 courant dans FigaroVox, rompt un bref instant de lecture intéressée et amusée, avec la sinistrose ambiante, née de la pandémie, avec la mélancolique amertume que suscitent les images de la décadence occidentale venues d’Afghanistan, avec les lassantes contradictions du verbe macronien et surtout avec la réalité du déclassement français incessamment poursuivi depuis trente ou quarante ans. David Brunat nous livre a contrario une tribune fort bien écrite et pensée. Sans-doute ne peut on pas faire de Joséphine Baker un modèle universel, selon l’intention de notre République idéologique. Volens nolens, elle ne sera pas au Panthéon le plus parfait modèle de ce type de grand homme – ici, femme – de notre République. David Brunat moque ce Panthéon-là. Et, pour le coup, il a bien raison.
« Ce temple de la République où règne une ambiance un peu mortelle »
Une joie profonde, physique et même radioactive – s’il en existe de semblables – m’est venue en apprenant que vous alliez rejoindre bientôt le lieu où je repose depuis un quart de siècle. Un lieu républicain dont l’austère beauté ne se dévoile pas forcément du premier coup au profane, mais qui a vocation à sublimer l’éclatante beauté du génie français et à garder vivante la mémoire de la grandeur de celles et ceux qui, comme moi, ont élu domicile éternel sous ses hautes voûtes froides et majestueuses.
Je dis «celles et ceux», mais enfin ce temple républicain a surtout accueilli jusqu’ici des représentants du sexe dit fort. Mon mari est d’ailleurs du nombre, et il y a été admis en même temps que moi.
Vous savez peut-être que j’ai été la première femme à faire mon entrée au Panthéon. La première ? Pas tout à fait, car j’y ai été précédée par l’épouse du grand savant Marcellin Berthelot, Sophie. Mais celle-ci ne le devait qu’à sa qualité d’épouse et non à ses titres scientifiques ou à d’autres mérites personnels. Au contraire des suivantes, dont les talents singuliers ont été reconnus et salués publiquement.
À ce jour, nous sommes cinq femmes à avoir été admises dans ce cercle très sélectif: Sophie, Marie, Geneviève, Germaine et Simone. Et bientôt vous, ce qui portera ainsi notre nombre à six ! Coterie resserrée, maigrichonne au plan de l’arithmétique, mais dépositaire – je crois pouvoir le dire sans prétention – d’une part de ce que comporte de plus noble, de plus inspiré, de plus créatif et de plus bienfaisant ce qu’on a coutume d’appeler la gent féminine.
Ce n’est pas seulement votre qualité de femme qui me réjouit dans la décision prise par le chef de l’État de transférer vos cendres sur la colline Sainte-Geneviève, à un jet de pierre de la rue qui porte mon nom et celui de mon époux. Ce n’est pas non plus seulement parce que vous étiez, à tous égards, une femme de qualité. Mais c’est aussi parce que votre destin hors du commun me rappelle le mien …
Oui ! Toutes les deux, nous sommes nées loin de notre patrie d’adoption. Nous n’étions pas des Françaises « de souche », comme disent les vivants d’aujourd’hui. Mais nous épousâmes la France en même temps qu’un mari français. Et nous devînmes d’ardentes patriotes. Vous, depuis la lointaine Amérique, et moi, depuis l’Est européen reculé, nous avons incarné une certaine idée de la France et nous avons œuvré sans relâche à son rayonnement planétaire.
Nous avons été des pionnières dans les domaines où nous nous sommes illustrées. Nous avons inventé, tenté, risqué, ouvert des voies, suscité des vocations, fait école. Nous avons été critiquées, contestées, haïes parfois, conspuées même par certains. Nous avons été en butte à des préjugés sociaux ou raciaux, xénophobes ou autres. Nous étions des femmes libres, aimantes, généreuses. Nous avons vécu dans la lumière de l’amour. L’amour de la science ou l’amour de l’art. L’amour des autres. L’amour de la France.
Le cercle que vous allez rejoindre dans quelques mois vous fera très bon accueil, n’en doutez pas. Vous rejoindrez notamment vos sœurs d’armes en Résistance, Germaine et Geneviève. Vous vous entendrez aussi certainement bien avec Simone, femme engagée. Avec Sophie, notre doyenne, le courant passera également, elle est douce et prévenante, élégante et racée. Et puis nous ne sommes pas des féministes revêches, bien au contraire, et vous saurez également, comme nous toutes, nouer des liens chaleureux avec de nombreux hommes de bonne compagnie, il y en a ici un fort grand nombre.
Vous êtes née l’année où mon pauvre Pierre a trouvé la mort, suivi de près d’ailleurs par Sophie et Marcellin Berthelot, disparus en 1907 en même temps – le même jour, presque à la même heure, quel timing ! Au paradis des héros et des héroïnes où nous reposons, cela ne fait rien de mourir. Surtout quand on a la chance de reposer ensemble en couple à tout jamais.
Et puis le savez-vous, chère Joséphine ? Une autre raison encore me fait désirer avec impatience votre prochaine installation parmi nous. C’est qu’à peine admise dans ce temple de la République où règne une ambiance un peu mortelle, vous allez certainement nous faire danser et chanter. Nous habitons des lieux sans vie, sans pulsations, sans musique autre que funèbre. Ces lieux manquent cruellement d’une meneuse de revue, d’une grande danseuse capable de faire swinguer, valser, virevolter tous les pensionnaires de ces cryptes lugubres.
Bref, nous avions cruellement besoin de vous. Votre « panthéonisation », comme ils disent, est une bénédiction. Entre ici, Joséphine, toi et ton cortège de lumières, de couleurs, de sonorités, de rires, d’émotions, de passions et de vies intenses ! ■
Ancien élève de l’École normale supérieure et de Sciences Po Paris, David Brunat a été membre de plusieurs cabinets ministériels. Consultant associé chez LPM Communications, il est également écrivain. Auteur d’une dizaine d’ouvrages, il a notamment publié «Pamphlettres» (Plon, 2015), «Giovanni Falcone: Un seigneur de Sicile» (Les Belles Lettres, 2017) et «ENA Circus» (Éditions du Cerf, 2018).
Ce fut la meilleure nouvelle de la décade passée ! La charmante, délicieuse, séduisante Joséphine n’était pas qu’une poupée superbe qui a fait rêver les spectateurs des années Trente ; n’était pas qu’une charmante interprète de films sans grandes ambitions mais qui présentaient ici et là de délicieuses séquences (« Zou-zou » de Marc Allégret, « Princesse Tam-Tam » d’Edmond T. Gréville) ; n’était pas qu’une chanteuse à voix exotique et ravissante (si personne n’a oublié « J’ai deux amours » ou « La petite Tonkinoise », on peut utilement rappeler « Y’a qu’un hom’ dans Paris ») ; n’était pas que noire et antiraciste (ce qui, je le crains, a pesé dans la décision de la faire entrer dans le mouroir glacial du Panthéon). Elle n’était pas non plus que la femme au coeur immense qui a adopté douze enfants de toutes origines et de toutes couleurs
Elle était française, merveilleusement française, d’un patriotisme ombrageux et proclamé. Lorsqu’elle est venue manifester aux côtés de Martin Luther King pour soutenir le combat contre les discriminations, elle est venue vêtue de son uniforme et parée de ses décorations (Croix de guerre et Légion d’Honneur). Elle a eu une action magnifique dans la Résistance.
Au fait, parmi toutes les panthéonisées, qui pouvait, en plus, proposer cette plastique ?
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Cette plastique, avec le reste, lui donnait aussi des titres pour l’Académie, pas celle des « plasticiens », mais des Beaux-Arts.