Par Radu Portocala.
Nous avons aimé ce bel article admirablement écrit et pensé, précédemment paru dans Politique magazine.
L’Amérique est-elle une grande puissance ? L’a-t-elle, d’ailleurs, jamais été ? Sans doute non.
Depuis la guerre de Corée (1950-1953), les États-Unis ont provoqué, dans diverses régions du monde, nombre de conflits, dont ils n’ont gagné aucun. C’est, sans doute, le grand et presque ridicule paradoxe des sept dernières décennies. Car, à mesure que ces revers politiques et militaires s’accumulaient, grandissait le mythe de la puissance américaine, de son infaillibilité.
Enhardis par la victoire de 1945 – qui fut, tout de même, une victoire alliée et non uniquement américaine –, les États-Unis se sont installés dans le rôle de protecteurs, de sauveurs du monde. Il leur fallait, dans un élan missionnaire et faisant fi des réalités et des observances locales, imposer partout le modèle occidental, mettre à leurs pieds un monde-miroir. Cependant, les grands projets historiques de Washington – défaire le communisme, d’abord, puis le radicalisme islamique – n’ont été, l’un après l’autre, que de lamentables échecs.
Pendant que les États-Unis combattaient les communistes en Corée et au Vietnam, leurs propres élites intellectuelles se laissaient convaincre par l’idéologie ennemie, et dans les universités américaines s’installait le gauchisme marxisant du politiquement correct, virulent et nuisible, répandu petit à petit, dans tout le monde occidental. Les décisions de la Maison Blanche, du Congrès, du gouvernement y sont désormais assujetties, la société subit, consentante, ses aberrations, et nul ne s’étonne de voir que le pays s’est mis sous la domination des idées contre lesquelles il s’est battu autrefois.
Les aventures américaines au Moyen-Orient ont eu, elles, des résultats bien plus malheureux. L’inattention active à la faveur de laquelle le shah d’Iran a dû se retirer au profit de Khomeini est, sans conteste, l’origine d’une vaste déstabilisation dont nous subissons, aujourd’hui encore, les effets néfastes. L’invention des talibans, peu après, voulus comme force de résistance anti-soviétique, a été une parfaite absurdité prouvant à quel point Washington était incapable de comprendre la réalité. Par une inspiration semblable a été créé ben Laden, grand ami, lui aussi, de l’Amérique. La guerre du Golfe, l’invasion de l’Irak et de l’Afghanistan, la Syrie, le « printemps arabe » – autant de débâcles des États-Unis et de son bras armé, l’OTAN, et surtout autant de foyers d’intégrisme musulman créés pour rien. Avec les conséquences que nous n’arrêtons pas de connaître.
L’illusion de puissance
La prétention, maintenue depuis trois décennies avec une obstination devenue dogme, que l’Union soviétique s’est désagrégée par peur de la puissance militaire américaine est proprement risible. Tout comme est risible la conviction que les États-Unis seraient en mesure, au besoin, de mater la Russie et la Chine, de sortir victorieux d’un conflit avec l’une ou l’autre – si ce n’est avec les deux à la fois. Pendant la campagne électorale de 2016, le camp démocrate, Hillary Clinton en tête, ne s’était-il mis à rêver d’une Amérique qui se déchaînerait contre la Russie et la mettrait à genoux.
On se demande aujourd’hui quelle initiative politique américaine pourrait ne pas se terminer par une grave déconfiture. Qui les États-Unis, dans leur incessant élan guerrier, pourraient-ils vaincre ?
Après tant d’expériences ratées, la défaite américaine en Afghanistan – et sa stupéfiante rapidité, après vingt ans de présence inutile – est-elle véritablement une malencontreuse surprise ? Non. Va-t-elle réconforter la Russie et la Chine ? Sans doute. Comment, dorénavant, prendre au sérieux les gesticulations de Washington, ses menaces de faiseur d’ordre à travers le monde ? L’Europe occidentale vit depuis soixante-dix ans dans l’illusion de la protection américaine ; l’autre Europe, celle qui a échappé au communisme, se croit en sécurité face à l’énorme voisin de l’Est grâce à une certaine présence américaine. Ces certitudes sont-elles encore d’actualité ? Répondre par la négative serait, certes, signe de prudence.
Une dernière question demeure. L’Amérique – cette Amérique victime de son optimisme qui lance de guerres sans jamais arriver à les gagner – est-elle une grande puissance ? L’a-t-elle, d’ailleurs, jamais été ? Sans doute, la réponse est, une fois de plus, non. Il serait peut-être sage de redessiner nos chimères. ■