Avouons-le : nous reprenons ct article de l’Incorrect (30.08) simplement parce que, sans obligation d’accord complet, nous l’avons aimé. Il prend de l’altitude sans cesser d’observer, avec tact et recul de bon aloi, l’actualité à travers la vie quotidienne, l’atmosphère du temps. Il invoque la course des saisons, les rythmes naturels du climat et la vie simple, qui n’est pas faite, en principe, d’esprit politicien. Une vie sans morbus democraticus, cela, en effet, rend joyeux. Sans-doute, les lecteurs de JSF, aimeront eux aussi cet article bienvenu, bien inspiré. Oui, un article de rentrée de bon aloi.
Par Ange Appino
J’ai trop écrit cet éditorial. Ses brouillons froissés jonchent le sol de ma chambre, remplissent stérilement la mémoire de mon ordinateur. Excusez-moi, mais août fut trop intense, trop inspirant. L’inspiration est comme l’eau d’un robinet qui veut remplir un verre : si le débit est trop faible, on n’en a jamais fini et on abandonne, s’il est trop fort, ça gicle, ça éclabousse tout, c’est dégueulasse, on arrive à rien. J’ai écrit cet éditorial tout l’été, et qu’ai-je conservé de ces travaux préliminaires ? Bien sûr, la mer, infinie, bleue et froide. Son bruit, son roulement qui précède le fracas, puis qui revient, inlassable, de l’aube au crépuscule. La vitesse aussi, la fraîcheur de l’air qui claque la main à la fenêtre, les bornes kilométriques qui défilent, l’asphalte qui capitule sous les roues, la liberté terrible de n’avoir pas de dernier métro ni de terminus. La ligne 1 a été prolongée de La Défense jusqu’à Brest cet été, avec service de nuit. Le compteur de vitesse, un néon dans le noir, où l’aiguille s’agite, s’envole, les files de droite qu’on laisse derrière soi avec arrogance, la peur grisante, délicieuse. Voilà ce que je garde, au milieu de beaucoup de choses que je ne garde pas, par pudeur ou bon goût, des histoires de rochers escarpés, d’Ankou, de longue chevelure noire qui enserre le cœur comme un gigot, de la teinture blonde ridicule et fascinante de François Civil dans Bac Nord, de l’odeur chaude des pains au chocolat qui berce et endort à sept heures du matin, d’un drôle d’alcool de mirabelle meusien dont on m’a forcé à boire les longues rasades transparentes pour faire partie de la bande, des brailleries unanimes sur Céline Dion qui ont ensuivi.
Tout ça n’est pas sérieux. Comme août redescendait en pente douce vers septembre, et que ma poitrine débordait d’une force qu’elle ne se connaissait plus, au pied d’une cathédrale, j’ai enfin fixé mes pensées sur un sujet digne. Je voulais parler du XVIIe siècle, du grand moment français de l’histoire, de l’énergie azur et or dont il irrigue encore puissamment nos artères. Déjà, ça aurait un peu embêté les innombrables moyen-âgeolâtre de L’Incorrect, et puis comment inciter mieux à la grandeur que par Cyrano, le Cid et d’Artagnan, à l’élégance de la langue que par Racine et Bossuet, à la psychologie que par La Rochefoucauld, à la pensée que par Pascal ? Quelle société humaine est jamais parvenue à un meilleur équilibre entre force et raffinement, entre raison et foi, que notre Grand Siècle ? Roger Nimier écrivait que nous autres Français avons rêvé d’y devenir des demi-dieux, et pour une fois il avait tort, car nous n’en avons pas seulement rêvé, nous y avons réussi. Comment imaginer une reconstruction de notre nation qui ne tourne pas ses yeux vers l’exemple resplendissant de Louis le Grand et de son père Louis le Juste ? J’aurais voulu donc parler de cela avec vous. Mais, malheureusement, mes rêveries mousquetaires ont été froissés par la réalité. La réalité des Français. Et je ne vous parle pas des Parisiens gangrenés par les délires sociétaux, pas des territoires islamisés. Je vous parle de vous, des Français de partout, de province, des Français bien blancs, bien de chez nous.
Voyez-vous, un des inconvénients de l’été, c’est qu’on y voit souvent le corps des gens. Alors j’ai vu leurs corps. Ah, le vilain examen. Rangez vos rêves de mannequins, le silicone de Pamela Anderson qui s’agite au ralenti sur une plage de l’ouest de Los Angeles. La chair, ah, beurk ! la chair débordante et flasque, la chair difforme sous quoi gémit les coutures des maillots. Quelle laideur des corps, des corps d’hommes aux bras maigrichons mais au ventre hypertrophiés, aux pectoraux si gras qu’on s’attend à en voir couler du lait, des corps des femmes, même jeunes, où les fesses et les seins jouent à qui touchera le sol en premier. Ah, mais nous sommes un peuple gros, que l’américanisation a pénétré jusque dans son corps ! Nous chargions derrière Condé à Rocroi, nous faisons désormais la queue bite à cul au McDrive de Villers-Semeuse. Ah et puis, la musique, les habits, et même les habitus, pour parler comme le bourdieusien qu’il a bien fallu que je sois en khâgne. Avalanche de rap, le plus stupide possible, de survêtements de Manchester United, de jargon arabisant, d’accent racailleux. Des mèches très blondes qui retombent sur des démarches de gorille à minuit, au coin des places publiques. Ah oui, être un homme, c’est parler comme Kofs, s’habiller comme PNL. Même quand son arrière-grand-père a englouti le beau visage pâle de ses vingt ans dans la boue jaunâtre de la Meuse, que son grand-père a été égorgé et abandonné le long d’une route accablée de soleil avec le reste de son escouade par les infâmes fellaghas. Bref, nous ne manquons pas de motifs de dégoût, de désespoir.
Et pourtant. Et pourtant, si l’on gratte l’écorce pourrie, un cœur frais bat encore. Les sourires s’illuminent généreusement sur les nouveaux venus quand on les présente. On écoute du rap oui, c’est sûr, on commence avec La kiffance, mais à partir d’une certaine heure, on ne jure plus que par Les démons de minuit et Les lacs du Connemara. On parle des histoires d’antan, des exploits footballistiques du petit dernier, et du grand qui n’arrive pas à trouver du travail, les temps sont durs tu sais… Les garçons font danser le rock aux filles, on parle fort, on s’enlace sans toujours savoir pourquoi, on fait des blagues grivoises. On est joyeux, et, malgré tout, on s’aime : on est restés français, on est resté le peuple le plus chrétien de la terre. Et, à l’heure de la reprise, je n’oublierai pas cette générosité simple et vraie, cette bienveillance tranquille au milieu du visage. Et ce visage vaut la peine de ressortir l’épée du fourreau, de reprendre le combat à vos côtés, chers lecteurs, car c’est le vôtre, celui de vos femmes, de vos maris, de vos enfants et de vos amis. Celui de la France : Rome, Athènes et Jérusalem, la France première parmi les nations, la France pour qui nous mourrons joyeux. Bonne rentrée. ■