JSF a publié hier une chronique de Patrice de Plunkett intitulée Afghanistan, ce qu’il ne fallait pas faire… mais que les Américains ont fait comme chaque fois. Michel Franceschetti a retrouvé dans ses archives cet article rétrospectif de 1970, signé de Patrice Sicard, paru dans AF Université, notre grand mensuel étudiant de l’époque. Pourquoi le reprenons-nous ici, aujourd’hui ? Parce que, au-delà des différences de situation, on y trouvera de remarquables constantes géostratégiques. Cet article particulièrement lucide qui nous replonge dans des conflits qui relèvent de l’Histoire, nous ramène en même temps à la situation d’aujourd’hui. Et Saïgon, Phnom Penh, à la chute de Kaboul.
L’extension cambodgienne du conflit vietnamien liquide la fiction d’un « conflit limité », et pose le problème asiatique dans sa dimension géopolitique véritable : l’engagement américain dépasse la simple assistance à l’allié de Saïgon. C’est à la fois le problème des Etats-Unis, « gendarme du monde » et celui du défi marxiste que pose l’intervention nixonienne au Cambodge.
Face à ce new deal politico-militaire dans le Sud-Est asiatique, trois préoccupations doivent hanter les nationalistes français : ia capacité de combat des Etats-le problème cambodgien et le sort des intérêts français dans la zone visée.
Le gendarme
du monde
Les esprits réalistes s’interrogent sur la puissance d’intervention américaine. Au point de vue strictement militaire, on a fait valoir l’incapacité psychologique des G.1.’s à comprendre et pratiquer les règles de la guerre subversive : coupées des masses populaires, dépourvues de pensée contre-révolutionnaire, obsédées par les méthodes de guerre conventionnelles, les troupes américaines parviennent rarement à nettoyer à fond les zones reconquises et à extirper les racines révolutionnaires. Néanmoins le cours ultérieur du conflit a démontré que la guerre subversive elle-même pouvait devenir un instrument artificiel et inefficace, devant une population rendue amorphe par un trop long cavaire. Auquel cas les marxistes, échappant à la biologie révolutionnaire du « poisson dans l’eau », deviennent exploiteurs du peuple au même titre que leurs adversaires (ce qui est à peu près la thèse du film Hoa-Binh). A la limite, la victoire de l’un des deux camps serait annulée par l’effritement des peuples indochinois, leur chute dans l’aboulie fataliste.
Au point de vue politique et psychologique, qui demeure essentiel dans la stratégie d’une contre-révo-:ution, il est permis de se demander si la notion de gendarme du monde » rend fidèlement compte de la réalité américaine : aussi bien chez les faucons que chez :es colombes, pour employer l’imagerie imbécile de la grande presse.
On oublie trop facilement que le super-Etat américain n’intervient dans le monde que sur avis des ordinateurs du Pentagone, c’est-à-dire de la bureaucratie militaire amplifiée et systématisée par les moyens modernes d’investigation et de choix ; en fait, sur avis d’une mécanique polymorphe dont la pulsion vitale est précisément la pression belliciste sur le pouvoir politique. Les « boutefeu » et autres « trigger-happy » ne jouent aucun rôle profond dans cette pression, sinon celui de l’indispensable caution morale dont l’establishment ne saurait se passer. En dernière analyse, ces :-..-professionnels de l’anti-communisme se retourneraient peut-être facilement contre n’importe quelle nation atlantique soucieuse d’indépendance : il est finalement impossible de croire sans nuance au dogme des Etats-Unis « gendarme du monde » et bouclier de la liberté, sans admettre du même coup l’empire américain. Voilà de quoi faire réfléchir une certaine droite, et certains nationalistes de papier.
On oublie aussi le malaise qui travaille l’intelligentsia et la classe politique aux Etats-Unis, et dont le courant anti-interventionniste donne l’image géométrique. Confronté à l’impasse du problème noir, au collapsus de la jeunesse universitaire et à la fronde des politiciens, le gouvernement Nixon rencontre d’immenses difficultés dans sa tentative d’établir une « monarchie de la guerre » et de l’appuyer sur la majorité silencieuse. La démocratie, porte ouverte à toutes les subversions et caution libérale de tous les chambardeurs, est par nature incapable de faire cheminer un peuple en guerre. Les conservateurs radicaux risquent de s’en rendre tragiquement compte aux Etats-Unis.
Il appartient aux nationalistes français d’en prendre eux aussi conscience. Sans aller jusqu’à perdre le « sens du camp » et jusqu’à tomber dans la métaphysique neutraliste, ils analysent au niveau des structures le handicap politique américain et savent éviter cette inconditionnalité atlantique qui intoxiqua tant d’autres. L’esprit de croisade est une chose, et la politique en est une autre. Nous choisissons la politique.
La France,
le Cambodge,
Sihanouk
Les « nationalistes de papier » ont fait des gorges chaudes de l’interview donnée par Norodom Sihanouk à Aspects de la France quelques jours avant le coup d’Etat pro-américain de Phnom-Penh. Ces zélateurs du Pentagone ne perdent aucune occasion de manifester leur paralysie intellectuelle. En donnant la parole à Sihanouk, nationaliste khmer, l’hebdo d’Action française n’entendait pas avaliser le contenu intégral de sa politique : il constatait simplement que l’action du Sangkum « socialiste-monarchiste » conservait un Cambodge uni, pacifique et francophile, ce qui constitue un tour de force dans l’actuel sud-est asiatique. Après le coup d’éclat du général Lon-Nol et de Sirik Matak, Minute peut pavoiser : jeté brutalement dans la guerre le Cambodge est entré dans une ère de massacres et de régression. Quant à Sihanouk, rejeté par le rapport de forces dans le camp adverse, il ne représente plus qu’une carte dans le jeu international.
Les choses sont moins simples que ne le croit la droite la plus bête du monde. En Asie, nationalisme n’implique pas forcément anti-communisme. Et si quelque puissance peut jouer lé nationalisme, peut soutenir les nationalistes « non-communistes » (et fatalement non-américains), ce ne peut être le Pentagone, ni ses affidés. Or les nationalismes populaires représentent la seule voie possible pour échapper au carnage… Au diplomate de conclure.
Dans l’immédiat, le « sens du camp », et la connaissance de ce qui peut être un pays en guerre plus ou moins civile, contraint la France à prendre acte du coup de Phnom-Penh et à ne point tirer dans le dos du gouver19nement de guerre qui tente d’enrayer la marée rouge. Une saine appréciation des intérêts français commande également la stabilisation positive de nos relations avec le régime Lon Nol, qui représente concrètement (et pour le moment) la puissance légale au Cambodge. Mais les nationalistes français rejettent avec mépris les extatiques qui prennent les putschistes pour autant de Clémenceau…
la seule France
En tout état de cause, une série d’objectifs gradués s’impose aux « politiques » français. Au premier plan,
sauver les meubles au Cambodge et ménager au maximum les intérêts économiques et l’influence culturelle de la France dans ce secteur, qui fut l’un des plus favorables à notre action internationale. Au deuxième plan, réduire au silence ceux qui relaient en France la propagande extérieure et tentent d’infléchir la politique du Quai d’Orsay (que nous ne cautionnons d’ailleurs point) dans le sens de l’Etranger. Sans aller jusqu’à prôner le sanglant incident de Berkeley comme solution au gauchisme on concevra cependant qu’il soit normal de traiter les révolutionnaires en adultes, en militants, en hommes dangereux, c’est-à-dire implacablement. Les minets rouges, fatigués de cercles d’études, veulent être pris au sérieux. Soit. Mais qu’ils ne se plaignent pas.
Au troisième plan, les nationalistes français sauront tirer de la Seconde guerre d’Indochine les leçons de politique qu’elle contient, analyser l’apathie pacifiste des appareils démocratiques, comprendre la contradiction qui oppose la notion de décision (de « défi ») et celle de parlement, ou de suffrage. Ils réalisent déjà que dans les convulsions mondiales, le premier réflexe doit être de courir au créneau et de s’assurer d’abord des intérêts de la cité française, sans leur superposer un artificieux esprit de croisade pourri par J’exotisme. Patrice SICARD – juin 1970 ■
Retranscription du texte & photo ©JSF
JSF aurait pu, à l’occasion de cette reprise bienvenue, dévoiler le secret de Polichinelle : Sicard et Plunkett sont la même personne… Certains lecteurs jeunes pourraient l’ignorer.
Sur ces sujets, au sens large, je signale qu’Arte offre sur internet le film « Pluie noire » du Japonais Inamura.
https://www.arte.tv/fr/videos/008435-000-A/pluie-noire/
Vous avez dit « terroriste », comme c’est bizarre.
C’est dit !