PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette tribune est parue dans Le Figaro d’hier samedi 4 septembre. Mathieu Bock-Côté est maintenant installé en France et cela se sent. Nous avons assisté hier soir à sa 1ère émission hebdomadaire sur C News, singulièrement intéressante et intellectuellement puissante. Nous l’avons déjà dit : manifestement, dans la galaxie Bolloré un dispositif de combat des idées et de la culture se met en place. Il devrait se révéler particulièrement efficace. Et c’est une chance, un atout pour la France. À cette chronique, nous n’ajouterons rien sauf qu’elle nous paraît importante et juste.
« Un tel théâtre et une telle mise en scène vont bien au-delà des calculs politiques circonstanciels et se présentent comme un aveu de la profondeur de la fracture française. »
Il y a quelque chose d’étonnant dans le tintamarre médiatique entourant la visite d’Emmanuel Macon à Marseille, quasiment présentée comme s’il s’agissait d’un voyage diplomatique important dans un pays étranger. Un tel théâtre et une telle mise en scène vont bien au-delà des calculs politiques circonstanciels et se présentent comme un aveu de la profondeur de la fracture française.
Emmanuel Macron est invité à présenter son plan Marshall pour Marseille – le terme est fort et sa symbolique historique se réfère à une entreprise de reconstruction s’imposant dans une région du monde ravagée par la guerre. Les cyniques diront qu’il s’agit d’un nouveau plan après tant d’autres, l’argent public coulant à flots dans une ville magnifique qui semble pourtant condamnée à se désagréger. Mais si le constat du désastre est généralisé, les diagnostics ne convergent pas toujours et se contentent d’aller à la surface des choses.
La formule est souvent utilisée : la République se serait retirée de certains « quartiers ». Il serait plus juste de dire qu’elle en a été chassée, et, plus encore, qu’une forme de déplacement de population ne disant pas son nom a eu lieu. La présence des checkpoints et autres lieux de contrôle par les gangs et les trafiquants dans les quartiers nord dépasse largement les catégories habituelles de l’insécurité : un nouveau paradigme s’impose. Nous sommes devant une partition politique du territoire, où s’exerce une souveraineté nouvelle, fixée, marquant de nouvelles frontières farouchement gardées. Cette souveraineté se croit autorisée à la plus grande violence et voit dans les forces de l’ordre une puissance rivale, misérable, soumise à une conception paralysante du droit. D’ailleurs, on les méprise : la faiblesse qui leur est prêtée et le dysfonctionnement du système judiciaire et carcéral amène les trafiquants aux pires audaces. Ces trafiquants qui se comportent en conquérants osent même enrégimenter les jeunes hommes pour les transformer en enfants-soldats sachant faire usage de leurs armes. Dans certains cas, un islam de combat vient transformer cette occupation du territoire en conflit ouvert avec la civilisation française et affirme son emprise sociale à travers le contrôle du corps des femmes.
Le territoire est « gruyérisé ». On ne parle pas que d’une économie parallèle, mais d’une forme de contre-société, de contre-souveraineté. La chose est encore plus vraie quand on sait que certains habitants reconnaissent plus spontanément l’autorité des trafiquants que celle des policiers. Devant le désastre, un appel se fait alors entendre. Il serait nécessaire de casser les ghettos, de démolir les bâtiments vétustes et de répartir les populations ethniquement concentrées dans la ville afin d’entraver la dynamique du communautarisme. On se demande, avec raison, comment transmettre la culture et les mœurs françaises dans des classes où 80 % des enfants sont d’origine étrangère. Seule la gauche mondaine fait semblant de ne rien voir en répétant que nous en sommes quelquefois à la troisième ou quatrième génération d’immigrés, sans se rendre compte qu’elle avoue au même moment l’échec d’une immigration ayant dépassé depuis longtemps les capacités d’intégration du pays.
Les limites de l’ingénierie sociale et de l’étatisme
On voit poindre, ici, les limites de l’ingénierie sociale et de l’étatisme, qui ne se contente plus de demander aux pouvoirs publics d’organiser la société, mais bien de la fabriquer. La science politique pourrait en faire une loi: plus une société se désagrège, et plus il devient nécessaire de la contrôler, de la quadriller, de la reconstruire administrativement, les lois et les règlements se substituant aux mœurs et au bon sens. Quand le substrat humain d’une société se décompose, le pouvoir politique devient spectral, évanescent, même s’il cherche au même moment à faire la preuve de son existence en multipliant les interventions nerveuses relevant moins, hélas, de l’action véritable que de l’agitation médiatique.
Surgit ainsi la figure du Léviathan impuissant, qui prétend se mêler de tout, mais qui ne peut en fait que plâtrer artificiellement les lézardes intimes de l’ordre social. Les rodomontades républicaines s’enchaînent, la parole publique se stérilise, les grandes promesses n’engagent plus à rien, et les charlatans du progressisme médiatique trouvent le moyen de voir dans cette décomposition l’aube d’une société nouvelle, régénérée, décolonisée. Au-delà des milliards à dépenser, c’est d’un véritable geste de souveraineté dont la ville a besoin, pour restaurer l’autorité de l’État dans les quartiers qui se révoltent contre elle et protéger les populations prises en otage par les trafiquants et dont la détresse est souvent oubliée. Mais pour cela, l’État ne doit plus douter de se légitimer, et affronter les féodalités nouvelles, qui le défient ouvertement et cherchent à l’humilier, ainsi que ses agents. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
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Merci
C’est remarquablement écrit, très bien pensé et d’une justesse optimale