Par Fahd Iraqi.
Cet article est paru le 9 septembre sur le360, le premier quotidien marocain en ligne publié en français. Il nous apporte un éclairage national particulièrement intéressant sur l’effondrement du parti islamiste au gouvernement depuis dix ans, lors des dernières élections à la chambre des représentants du Royaume Chérifien. Nos lecteurs connaissent bien le360, où notre collaborateur Péroncel-Hugoz a donné régulièrement pendant plusieurs années ses fameux coups de dents.
« Comment perdre 112 sièges en un seul mandat ? » C’est peut-être l’intitulé d’un nouvel ouvrage sur lequel devrait se pencher Saâd-Eddine El Othmani, auteur d’une débâcle électorale d’anthologie. Eléments d’analyse de l’effondrement de ce qui fut une force politique qui se croyait invincible. [Photo : Saâd-Eddine El Othmani].
Le PJD se faisant doubler par sept formations politiques, c’est un peu le Brésil qui se prend à domicile sept à zéro face à l’Allemagne (Mondial 2014). Un scénario, impossible à pronostiquer, devenu réel et même un cas d’école à scruter par les chercheurs. Le match électoral joué le 8 septembre 2021 a en effet tourné à la correction pour le parti islamiste, arrivé à la huitième place: il est neuf sièges derrière le septième, ce Parti du progrès et du socialisme (PPS) qui lui a tant servi d’appoint dans la majorité gouvernementale; et 89 sièges derrière le parti arrivé premier, le Rassemblement national des indépendants (RNI) que certains présentaient comme un challenger incapable de rivaliser avec la machine PJD.
Ce verdict des urnes, prononcé aux premières heures du 9 septembre, condamne le parti islamiste à redevenir un hizbicule incapable de faire entendre sa voix, car ne disposant même plus d’un groupe parlementaire à la Chambre des représentants. De force politique omnipotente, il se retrouve aujourd’hui hors des jeux d’alliances probables, dessinés par la nouvelle cartographie politique du Royaume. Avec son score de treize élus, le parti est brutalement renvoyé un quart de siècle en arrière, aux débuts de cette formation née sur les décombres du MPDC, avec ses neuf parlementaires pionniers en 1997, dont justement Saâd-Eddine El Othmani.
Excès de confiance
D’ailleurs, le chef de file du parti a, pour la première fois, échoué à décrocher un siège parlementaire, après quatre succès d’affilée aux législatives. «La débandade de Saâd-Eddine El Othmani est emblématique de la mauvaise stratégie électorale du PJD qui a sans doute péché par son excès de confiance», commente un analyste politique.
Le secrétaire général avait en effet décidé de se présenter dans la circonscription Rabat-Océan, pensant réitérer son succès de 2016 où il s’était faire élire à Mohammédia, loin de son fief électoral d’Inezgane où il avait enchaîné trois mandats. «Trop orgueilleux pour prendre la juste mesure de son bilan, il pensait que sa notoriété de Chef de gouvernement et que la machine électorale du PJD allaient suffire pour lui garantir un des quatre sièges dans cette circonscription très disputée», explique notre source. Sauf qu’à la surprise générale, la base électorale du parti s’est réduite comme peau de chagrin. Saâd-Eddine El Othmani n’a pu récolter que 4.400 voix, alors que la tête de liste du PJD en avait recueilli près de 30.000 en 2016.
Cet effondrement de la masse électorale est également constaté dans plusieurs circonscriptions considérées comme des fiefs électoraux du parti de la lampe. Sauf que celle-ci a définitivement perdu de sa lueur dans des bastions comme Tanger, Meknès ou Casablanca où le parti a perdu entre 40.000 et 50.000 voix.
La baisse de cette base électorale du parti islamiste sera sans doute confirmée par les statistiques –non encore rendues publiques par le ministère de l’Intérieur– consolidant le total des suffrages à l’échelle nationale. Mais les premières estimations pour le PJD sont bien loin des 1,6 million de voix qui lui avaient valu la première place en 2016. «Même le million de vote de ceux que l’on qualifiait d’électorat fidèle du PJD n’y est pas», préconise notre analyste.
Machine grippée
C’est que la machine électorale du PJD s’est grippée lors de ces législatives qui ont eu la particularité de coïncider avec les scrutins communal et régional. «Il faut se rappeler qu’en 2015, ce parti avait perdu lors des communales avant de se ressaisir un an plus tard lors des législatives. Cette fois-ci, il n’a pas eu la même marge de manœuvre pour opérer les réglages nécessaires entre les deux scrutins», souligne notre analyste.
Pis encore, le PJD semble ne pas avoir saisi la connexion entre les scrutins, tenus de manière concomitante dans le cadre de ces élections générales. «Le parti a négligé certaines circonscriptions électorales pour les communales, notamment celles de moins de 50.000 habitants, en décidant de ne pas les couvrir», précise notre source. «Il s’agit d’une erreur stratégique car dans ces circonscriptions, il s’est privé systématiquement de voix pour les législatives qui ont été reportés aux candidats des partis qui ont couvert ces communes», poursuit-il. En d’autres termes, la mobilisation étant essentiellement concentrée au niveau local fait que de nombreux électeurs, dans l’isoloir, cochent le même symbole dans les deux bulletins de vote dédiés aux législatives et aux communales/régionales.
Mais si le PJD a réduit la voilure en matière de couverture communale, c’est qu’il y a eu comme une démobilisation dans les rangs du parti. Révolu le temps où cette formation annonçait le recrutement de nouvelles stars parmi ses candidats, le dernier mercato politique a plutôt été marqué par des défections au sein du parti islamiste. Même les cadors du PJD sont d’ailleurs restés discrets durant cette campagne marquée, de surcroît, par les mesures de restrictions sanitaires dues à la pandémie. Un Mustapha Ramid, malgré son état de santé, aurait pu, par exemple, enregistrer une vidéo pour soutenir son parti. Même Abdelilah Benkirane, dans son dernier live clownesque à la veille du scrutin, n’a pas montré énormément d’enthousiasme en matière d’encouragement de vote pour le PJD.
Vote de sanction
Mais au-delà de la direction et des têtes d’affiche de la formation islamiste, cette dernière s’est coupée de sa matrice idéologique qui pèse considérablement dans son socle électoral. «Jamais les tensions entre le PJD et le Mouvement unicité et réforme n’ont été aussi marquants. Abdelilah Benkirane avait réussi à trouver l’équilibre avec cette arrière-base du parti, alors qu’El Othmani a fait des concessions qui n’ont pas forcément plu», soutient notre source qui fait, entre autres, référence à la reprise des relations diplomatiques avec Israël, la réglementation du cannabis ou encore le retour à l’enseignement en français des matières scientifiques. Trois dossiers sensibles qui font hérisser la barbe des frères d’El Othmani…
Le discours moralisateur et grandiloquent de lutte contre la corruption et de justice sociale, resté comme simple slogan, a également fini par harasser certains électeurs PJD ou d’autres parmi ses sympathisants. La gestion des affaires durant le double mandat du parti a été calamiteuse et le double quinquennat n’a été sauvé que par les réalisations de ministres appartenant à d’autres formations ou encore par des visions royales bien ciblées et déterminées. «La contre-performance du PJD dans les postes de responsabilité a fini par peser dans la balance», explique notre analyste. «Les Marocains ont exprimé leur volonté de changement et ils ont sanctionné la médiocrité», poursuit-il estimant que le parti islamiste a subi un vote de sanction sur plusieurs fronts.
L’incompétence des élus du PJD a été particulièrement criante dans la gestion de la majorité des grandes villes qu’ils ont gagnées lors des précédentes élections. «Plus que la chose politique, c’est la gestion des affaires locales qui cristallisent une proximité avec les citoyens qui a fait le plus de mal au parti de la lampe. Etre à la tête de villes comme Casablanca, Rabat, Tanger, Marrakech ou Fès est ce qui a définitivement apporté la preuve aux Marocains que le PJD est un parti auquel les talents font cruellement défaut», précise notre source.
Les Marocains ont vu et constaté l’incapacité des islamistes à gouverner de manière efficace… Ils n’ont plus besoin de fqihs qui psalmodient des promesses en l’air, mais de managers compétents capables de transformer l’essai et de créer les opportunités. Ce vote sanction, accentué par le constat d’échec de toutes les expériences islamistes dans la région, survenues après le printemps arabe, a été d’autant plus important qu’une participation record a marqué ces législatives. Près de neuf millions de Marocains se sont rendus dans les urnes, ce mercredi 8 septembre, pour dégager le PJD en lui infligeant cette cuisante défaite… De quoi déboussoler la direction du parti, démissionnaire, qui n’a rien trouvé de mieux pour justifier son score que de ressasser son éternel discours de victimisation: «transhumance, pressions, usage d’argent, irrégularités dans le dépouillement», se lamente le secrétariat général dans un communiqué. A croire que les frères n’ont pas encore retenu la leçon… ■
Fahd Iraqi
Maquette&photos©JeSuisFrançais
Cette défaite est surtout à mon avis, un bel exemple de ce que sont les urnes: un » branloire pérenne » comme disait Montaigne du monde en général. Tous les partis confrontés à la réalité de la gestion au jour le jour, perdent leurs plumes et se font étriller aux éléctions suivantes. Car l’idéologie ne resiste pas à l’économie et c’est le « fric » qui prime, le bon gros fric qui finance l’élection et qui manipule le panier de la ménagère, dominant la base. Car les peuples ont la mémoire courte, pas seulement les Français., et ils naviguent à vue.
Espérer un salut par les urnes me parait illusoire. Le Maroc tient par sa Monarchie et la main de fer du Roi, Monarchie que nous avons consolidée en 1912. L’Algérie soumise à une oligarchie militaro maffieuse issue du FLN par la grâce de notre visionnaire Président, est le contre exemple d’un gouverment en pays arabo musulman, comme la Tunisie , la Libye et tant d’autres pays similaires.
C’est une bonne leçon pour nous, car fonder une politique sur un rétablissement des « libertés » et quelques nationalisations en prime, c’est courir à la catastrophe.