Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
C’était un beau contrat. C’était aussi plus qu’un contrat car il s’inscrivait dans une vision politique globale de la présence française dans l’Indopacifique, de La Réunion à Tahiti en passant par la Nouvelle-Calédonie.
C’est donc peu de dire que l’annonce mercredi 15 de la triple alliance conclue entre l’Australie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, alliance dite AUKUS (acronyme anglais) a fait l’effet d’une bombe. Certains ont parlé d’un « coup de Trafalgar » ; mieux vaut dire un « coup de Jarnac », au sens négatif que l’usage a conféré à l’expression. Perdre les bénéfices du « contrat du siècle » et constater de surcroît que les Anglo-Saxons nous traitent de façon méprisante comme une quantité négligeable, c’était trop pour les ministres Le Drian et Parly. Ebranlés par ce qu’ils ont vécu comme une humiliation, ils ont fait preuve d’une rare violence verbale à l’encontre de nos alliés australiens et américains : « hypocrisie », « traîtrise », « perfidie » et autres gracieusetés.
La France est allée jusqu’à rappeler ses ambassadeurs à Canberra et Washington pour consultations ; jusqu’à annuler la soirée de gala du jeudi 16 qui devait célébrer l’alliance franco-américaine deux cent quarante ans après la magnifique victoire de l’amiral de Grasse dans la baie de Chesapeake. Gestes forts, simple gesticulation d’un pays déclassé (ou en voie de déclassement), mauvaise humeur de deux ministres rattrapés et dépassés par la realpolitik ?
En tout cas, tout le monde a enfin compris que, derrière les slogans de MM. Trump (« America first ») et Biden (« America is back ») se cachait la même réalité, celle d’un empire qui, se sachant menacé, vise d’abord sa propre survie. Le but évident mais inavoué de l’alliance AUKUS est en effet de contenir l’expansionnisme chinois dans la zone indopacifique. Pékin ne s’y est d’ailleurs pas trompé et a dénoncé une entente anglo-saxonne « qui sape gravement la paix et la stabilité régionales, intensifie la course aux armements et compromet les efforts internationaux de non-prolifération nucléaire ». Certes, on n’en est pas encore revenu à la guerre froide de la période 1945-1989 entre les Etats-Unis et l’U.R.S.S., tant est forte l’imbrication financière et commerciale des uns avec les autres, mais on en prend le chemin. Rappelons que c’est Mme Clinton, secrétaire d’Etat de M. Obama, qui avait dès 2007 initié cette nouvelle approche géostratégique, dite du containment : même mise en veille, elle n’a jamais été abandonnée à Washington. Quand le candidat Biden disait en 2020 vouloir promouvoir une « alliance des démocraties », nous avions bien compris dans ces colonnes qu’il avait en tête la mise en place d’une alliance ouvertement hostile à certaines puissances (Chine, Russie, etc.).
La France, qui n’a jamais caché ses réticences à l’égard de cette vision américaine des choses, ce qui explique sans doute son éviction, s’entête dans l’idée que la solution passe par l’Union européenne. Or, jeudi 16, mais c’est pure coïncidence, l’Union européenne a fait savoir quelle serait sa propre stratégie pour la zone indopacifique, c’est-à-dire comment elle envisageait ses relations avec une Chine précédemment qualifiée d’ « ennemi systémique », une Chine dont les fameuses routes de la soie ont été jugées quelque peu intrusives. Ce jour-là, donc, M. Borrell (Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères) s’est contenté de réaffirmer que l’Union recherche « la coopération, pas la confrontation » avec Pékin, bien entendu sans renier les valeurs démocratiques. Quand on sait que la zone indopacifique représente pour les Européens 12 000 milliards d’euros d’investissements annuels et constitue le deuxième marché des exportations de l’Union, on comprend qu’en fait l’U.E. reste une association de boutiquiers qui veulent d’abord faire des affaires. Sa prétendue « autonomie stratégique » ne convainc pas : l’U.E. est trop mercantile, trop atlantiste, pour ne pas s’accommoder in fine d’une confortable alliance-alignement avec les Etats-Unis.
M. Macron a eu dans un passé encore récent quelques idées intéressantes : il a ainsi émis des doutes sur l’OTAN et même envisagé de se rapprocher de la Russie. Mais ce ne furent que des velléités. Aujourd’hui, après le camouflet américain, sa foi dans la possibilité d’une autonomie stratégique européenne laisse dubitatif. Peut-être serait-il temps d’en revenir à une vision plus gaullienne des choses : nous désengager au maximum des structures inféodées à quelque grande puissance que ce soit, rechercher alliances et partenariats raisonnables partout dans le monde et, surtout, recommencer à compter d’abord sur nous-mêmes. Quoi qu’il en coûte. ■
** Agrégé de Lettres Modernes.
Retrouvez les Lundis précédents de Louis-Joseph Delanglade.
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source.
Le mouvement de menton de notre Ministre des Affaires Etrangéres offusqué est bien beau mais notre force de frappe nucléaire est maintenue par les simulations sur les ordinateurs US depuis que Chirac a renoncé aux essais à Muruora.
Nous sommes tributaires des « Amerlocks » pour tout: les médicaments, l’informatique, la recherche et les labos, les robots chirurgicaux sont exclusivement US par exemple. Mêmes les Air Bus ont un pourcentage de pièces US ou licences. Au Mali, les drones, la surveillance depuis l’espace, la logistique sont en majorité US…Notre tourisme est à fortes proportions US… On le voit bien à Paris où les US sont absents, au moins 30 % de baisse, cet été !
Jamais l’Allemagne, le Pologne, l’Autriche, la Gréce, le Maroc, l’Ukraine, l’Arabie Saoudite ne lacheront les USA. Ils ont bien trop peur de la Russie de Poutine, et de l’Iran .
Quand De Gaulle a voulu rouler pour lui même, après avoir liquidé l’Algérie ( et ce qui restait de notre Empire), et a commencé à faire le fier à bras ( discours de Pnom Penh, Vive le Quebec libre, Marchamos mano a mano) , les financiers qui l’avaient mis au pouvoir pour larguer l’Afrique et s’approprier le pétrole, lui ont mis Khon Bendit dans les pattes et c’était fini de son rêve de leader du Tiers Monde. Il s’est même refugié à Baden ! chez Adenauer , un comble !
Le Concorde, le France, Alsthom, Chibret, Péchiney Tout cela est parti en fumée quand les USA nous ont retiré le tapis sous les pieds. Quand les US ne mangent plus notre Roquefort ou condamnent notre foie gras, c’est un deuil national.
Vous l’avez écrit récemment: Charles V le sage s’écrasait quand il se heurtait à plus fort que lui et reconstituait patiemment son armée et sa marine, mais pour celà, il faut une vision à long terme dont les démocraties sont incapables .
« Parole , parole » comme chantait Dalida …
Je partage ENTIEREMENT votre point de vue, qui peut avoir peur du locataire de l’Elysée, qui glorifie BOUTEFLICKA, rejeté par son peuple, de plus la FRANCE fait preuve de sympathies actives envers la Chine, pas un reproche sur le ou la COVID venu de là bas, et également bien impliquée avec l »Allemagne, dans la » route de la soie »
Pour terminer humour facile, le Premier Ministre australien s’est rappelé qu’il porte le même nom qu’un certain Marion MORRISON, alias…………………John WAYNE
excellente analyse de la situation
Le Général ne s’est pas réfugié chez Adenauer en 1968. Il est allé consulter le général Massu qui occupait la partie de l’Allemagne qui nous avait été attribuée après l’écrasement des Boches.
C’était le temps heureux où les Boches payaient et où la France commandait l’Europe des six.
Pas de délectation morose, svp !
L’Australie a perdu une chance d’affirmer sa souveraineté et rejoint les ,vassaux des Etats-Unis, cette défaite est aussi la nôtre et nous n’aurions pas du rejoindre l’OTAN (Merci Sarkozy) nous sommes aussi un peu vassalisés
En rajoutant le F de France à l’acronyme ci-dessus on obtient le résultat phonétique; les américanophones comprendront
East of Suez :
https://www.chathamhouse.org/publications/the-world-today/2021-04/uk-sets-its-sights-eastward
La priorité pour la France est de sortir du guêpier de cette funeste Union Européenne. Boris nous montre la voie, à sa façon…
En 1791, Louis XVI ne « fuyait » pas le territoire français : il ralliait, peu discrètement malheureusemnt, la place forte française de Montmédy, pour y rejoindre le marquis de Bouillé, général en chef des troupes de la Meuse, Sarre et Moselle, coorganisateur de l’évasion.
Bouillé n’avait donc pas à prévenir un chancelier allemand de la présence du chef de l’Etat Français sur son sol comme le fit Massu.
En 1958, le général Massu raconte que deux hélicoptères sont arrivés à Baden Baden, avec le général, sa famille, son aide de camp, des dossiers et des affaires personnelles. Et surtout, que le général le salue en s’exclamant: « Tout est perdu. Je ne contrôle plus rien. Je me retire. » (Jacques Massu : Baden ’68, Plon, 1983). Les hélicoptères ont fait du rase-motte pour ne pas être détectés par la surveillance aérienne…
Massu profite d’un moment d’interruption de l’entretien pour dire à ses aides de camp:« Nous ne sommes pas sortis de l’auberge, il est têtu comme une mule et bloqué dans sa résolution de tout laisser tomber ! Il m’a décrit l’Apocalypse. J’ai déployé pas mal d’arguments, mais il ne veut rien entendre… Pour ma part, je n’ai pas renoncé, je retourne dans la fosse aux lions ». (idem, p 92). Massu finit par le convaincre, mais par précaution, le fils du général et son épouse restent à Baden en exil pour quelques jours, comme les bijoux que Yvonne De Gaulle lui laisse.
Plutôt qu’une » consultation » , c’est une « thérapie ». Même Madame Massu s’y met !
Oui, j’avoue une « délectation morose » quand je vois par quels procédés De Gaulle s’est débarrassé de ses opposants, de Giraud ( Mazagran) à Le Troquer ( ballets roses) en passant par Bastien-Thiry, sans parler du journaliste allemand utilisé pour obliger Massu à quitter son poste à Alger, et quel mépris il manifestait aussi bien pour les « bougnoules » que pour « le ramassis de repris de justice , espagnols , maltais qui ne savaient que taper sur des casseroles à Alger ».
La fuite à Baden restera dans l’histoire peu reluisante de la 5ème République.
« La Roche Tarpéienne est près du Capitole » m’apprenait-on au Lycée.
: «Ah, Peyrefitte, méfiez-vous de la vérité ! Moi je feins de feindre pour mieux dissimuler.»