Par Luc Compain.
Cet article fait partie d’une suite de neuf. Les 9 articles paraîtront en feuilleton à dater de ce jour et les suivants. Fil conducteur : l’écologie. Les auteurs sont de jeunes cadres du mouvement royaliste, engagés à l’Action française. Vous apprécierez leur réflexion. Au besoin, vous en débattrez. Ces articles seront constitués en dossier, toujours consultable ici.
A l’occasion de la grève des transports entamée en décembre 2019, plusieurs médias se sont faits l’écho de l’intérêt croissant des Parisiens pour le vélo. Le Point concluait alors : « Le vélo devient vraiment un truc de droite ».
Nous laisserons à d’autres le soin de déterminer si le vélo est entraîné dans la roue d’un mouvement dextrogyre ou s’il a toujours été de droite sans que Le Point ne s’en aperçoive. Ce qui frappe, c’est l’étonnement voire l’horreur suscités par telle ou telle contestation de ce soi-disant patrimoine idéologique de gauche que serait l’écologie. La gauche se sent menacée dans ce qu’elle considère être son monopole naturel, son capital exclusif. On n’est donc pas surpris que Libé s’inquiète de ce que la droite chercherait à faire une OPA sur l’écologie intégrale[1]. L’activisme zadiste et les alliances électorales auxquelles se sont prêtés les mouvements écologistes ont permis d’enraciner cette association de la gauche et de l’écologie dans les mentalités. Pour autant, une généalogie de l’écologie intégrale nous révèle une toute autre histoire.
Dès 1984, l’une des premières occurrences du terme apparaît sous la plume de Jean-Charles Masson, dans le mensuel royaliste Je suis Français. Prônant un réenracinement et une dénomadisation culturelle de la France, il entend alors poser des « Jalons pour un écologisme intégral ». C’est encore en référence à une notion maurrassienne bien connue que Stéphane Blanchonnet donne, en mars 2011, une conférence intitulée « Vers l’écologisme intégral ». Le tempérament anarchiste du royaliste Falk van Gaver le conduit à abandonner le suffixe -isme. Il semble donc être le premier à employer, en 2006, le terme d’écologie intégrale pour désigner une écologie recouvrant tous les aspects de l’existence. L’un des auteurs de Nos limites, pour une écologie intégrale (2014) et instigateurs de la revue Limite, Gaultier Bès, reconnaîtra d’ailleurs cette antériorité, lors d’un colloque de l’Action française en 2017, expliquant avoir repris une expression qui circulait déjà, parmi ceux que nous avons cités. C’est évidemment l’encyclique Laudato si’ (2015) qui va populariser l’expression.
Intégral ? Un adjectif qui a une histoire
Ce n’est pas sans une certaine malice que Fabrice Hadjadj retraçait récemment le parcours de l’adjectif « intégral », de Charles Maurras au pape François. S’il était déjà employé au XIXe siècle, par Proudhon ou encore par Maurice Pujo, auteur d’Idéalisme intégral (1894), c’est véritablement le Martégal qui va en assurer le succès dans les colonnes de L’Action Française, organe du nationalisme intégral à partir de 1908. Il souhaitait alors signifier la prise en compte de l’intégralité de la société nationale au sein de la solution monarchique. Le pape François ne s’est vraisemblablement pas référé à ce programme pour rédiger son encyclique, d’autant que des écrivains et penseurs chrétiens ont questionné la technique, la nature ou la société de consommation. Après quelques années de compagnonnage et une rupture en 1927, c’est Jacques Maritain qui, en opposant un mimétique Humanisme intégral (1936) au nationalisme maurrassien, fait office de passeur dans les milieux chrétiens.
Il est donc téméraire d’affirmer que ceux qui en ont forgé le terme et le concept s’adonneraient à une récupération. Les récupérateurs sont plutôt l’ancienne ministre PS de l’écologie, Delphine Batho, auteur d’un récent Écologie intégrale : le manifeste (2019), ou encore le philosophe Dominique Bourg, co-auteur d’Écologie intégrale : pour une société permacirculaire (2017), qui refusa de participer à une conférence en présence de Tugdual Derville, responsable d’Alliance Vita, considérant, sans rire, que « l’expression [d’écologie intégrale] est désormais piégée »[2] .
Une question instrumentalisée
Les liens entre la gauche et l’écologie sont loin d’être aussi évidents qu’on pourrait le croire. L’historien Philippe Buton rappelle ainsi que « l’écologie n’appartient pas au patrimoine idéologique de la gauche et l’écologie fut toujours une source d’interrogation et de perturbation pour cette gauche »[3] . Les communistes, trotskystes et maoïstes ont été particulièrement réfractaires à la question écologique, en raison de leur logiciel productiviste, de leur fascination pour la technique et de leur culte du Progrès. Ces mêmes causes ont notamment conduit l’URSS à assécher la mer d’Aral pour alimenter des rizières et la culture du coton. Si, à gauche, on soutint la lutte du Larzac, ce n’est pas par souci écologique, mais motivés par l’alliance ouvriers-paysans et l’antimilitarisme. On dénonçait alors la « réaction verte ». L’écologie était perçue comme une préoccupation petite-bourgeoise, une diversion capitaliste. La revendication a en effet été portée par les classes moyennes, et non par des ouvriers qui, loin de la rejeter, souhaitaient accéder à la consommation. Aussi, plus une organisation accordait une place centrale à la classe ouvrière, plus elle peinait à s’emparer de la question écologique. De plus, l’urgence du combat écologiste exigeait des victoires immédiates et non l’attente du Grand Soir ; un réformisme, des luttes concrètes plus que l’appel à une nécessaire révolution ; enfin, un tempérament pessimiste plutôt qu’une croyance en des lendemains qui chantent. Lorsque certains groupes de gauche abordaient la question, c’était par opportunisme anticapitaliste.
Devenu un enjeu incontournable, la question écologique est toujours instrumentalisée, comme l’« écoféminisme » en offre l’exemple. Si les éco-Tartuffes habillent la question écologique de leurs préoccupations progressistes, les conservateurs ne doivent cependant pas commettre l’erreur de se réfugier dans le climato-scepticisme ou le refus d’investir cette question. Au contraire, ils y sont portés par toute une tradition intellectuelle. (Série à suivre) ■
[1] « Les droites dures s’enracinent dans ‘‘l’écologie intégrale’’ », 5/05/2019.
[2] La Croix, « « L’écologie intégrale », un concept disputé », 8/06/2019.
[3] Buton P., « La gauche et la question écologique », Revue française d’histoire des idées politiques, 2016/2, n°44, pp. 63-92.
Article précédemment paru dans Présent [3 février 2020]
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Publié le 2 avril 2020 – Actualisé le 22 septembre 2021
Excellent article !
Un opportun rappel ….
En l’occurrence, si l’écologie a aussi des racines réactionnaires, elle n’est en rien incompatible avec le progrès (à ne pas confondre avec le productivisme par ailleurs). Au contraire, le modèle socio-économique actuel est même plutôt un obstacle qu’un facilitateur de l’écologie puisqu’il porte dans son ADN non seulement le productivisme, mais un système de valeurs basé sur la compétition, la prédation et l’esclavage, qui n’est pas fait pour respecter les écosystèmes.
Faire croire qu’on peut conserver le capitalisme indéfiniment, voilà où est la tartufferie. Ce que propose l’extrême-droite, c’est un système dictatorial en conservant l’argent et donc la pauvreté, mais avec en plus un pouvoir dictatorial basé sur le paganisme ou le christianisme, donc l’obscurantisme, le racisme, le sexisme et l’homophobie qui s’insinuent jusque dans la vie privée.
En revanche, aujourd’hui, les technologies permettent déjà de supprimer le système monétaire et le travail obligatoire, pour instaurer une économie basée sur les ressources.
Donc qualifier par avance toute écologie de gauche comme « tartufferie » est intellectuellement malhonnête.
Par ailleurs, contrairement à ce que veut faire croire l’article, on ne construit rien sur du pessimisme. Le pessimisme démobilise les consciences et débouche sur le chaos et l’autodestruction. Freud était d’ailleurs assez lucide sur ce point, où il disait que la civilisation était toujours tiraillée entre les pulsions de vie et les pulsions de mort. Le rôle du politique n’est pas de stimuler les pulsions destructrices. De tout temps, c’est l’optimisme et l’espoir qui permettent de regarder devant et d’avancer. Le camp du conservatisme ou de la réaction ne prospère que dans des conditions anormales (détresse humaine, confusion, crises en tout genre), et, parce que son projet consiste à faire tourner à l’envers la roue de l’histoire, il est voué à perdre. Le seul problème réside là où il peut entraîner la civilisation dans sa propre chute.
Bonsoir John,
Je vous remercie de votre long commentaire. Je vais me permettre de répondre à la place de mon ami Luc Compain.
Je ne sais pas si vous avez fait attention au fait que cet article était le premier d’une série consacrée à l’écologie. L’un des articles a notamment trait aux questions de la décroissance et dans un sens favorable. Nous accuser de vouloir « conserver le capitalisme éternellement » est une tartufferie aussi grande que nous faire dire que toute écologie de gauche est une tartufferie. (Nous aurions tendance comme Chesterton à nous défier autant des progressistes qui créent de nouvelles bêtises que des conservateurs qui veulent conserver les anciennes sottises.) Une Natacha Polony désire inscrire une approche écologique et décroissante à gauche, pourquoi pas ? Après tout, il existe une foultitude d’objets politiques étonnants. En revanche, cela n’interdit pas de rappeler que la relation de la gauche à l’écologie a été historiquement ambigüe (je vous renvoie là à la série complète de Philippe Buton qui n’est pas vraiment un réactionnaire…). Et que certaines formations se réclamant de l’écologie ont des positions assez éloignées de ces débats (les fameux éco-tartufes). Est-ce dire que toute la gauche l’est ? Nullement.
De même, je suis gêné par la façon dont vous créditez l’extrême-droite de tous les maux. D’abord, parce que nous n’en sommes pas, nous nous contentons d’être royalistes. Ensuite, parce que notre système n’est pas dictatorial. Notre objectif est le Roi garant des libertés, absolument pas le dictateur. Le régime qui prend le citoyen de la naissance à la mort nous fait bien plutôt horreur. Je me permettrai d’ailleurs de vous faire remarquer courtoisement, qu’une formation centriste comme LREM aura bien plus sûrement retiré de liberté des français que toutes les extrêmes droites françaises depuis la Révolution …
Dans votre commentaire vous appelez à nous en remettre à la technique pour supprimer le système monétaire et le travail obligatoire au profit d’une économie basée sur la ressource. (J’imagine que c’est une référence à Jacques Fresco ?) Je me permets de pointer du doigt que cette approche fait l’économie d’une réflexion sur les conséquences anthropologiques, ignore la question de l’entropie, part du principe que nous avons la maitrise technique suffisante et repose sur une vision scientiste. Cela fait quand même beaucoup d’angle mort.
Bien sûr, vous aurez beau jeu de me ressortir votre tirage sur l’optimisme et les ravages du pessimisme, ce à quoi je me permets de vous faire remarquer que nous ne sommes pas obligés de nous appuyer dessus pour bâtir une action. Bernanos disait que l’optimiste était un imbécile heureux et le pessimiste un imbécile malheureux et j’aurai tendance à lui rendre raison. Nous pouvons bien plutôt baser notre action sur l’espérance bien plutôt que sur la métaphysique du progrès. Vous pouvez tenter de changer des choses sans devoir croire que tout doit changer de par la simple action du temps.
J’en profite pour rebondir sur votre accusation de ne triompher que par des situations anormales. Je me permettrai de vous demander si ces situations anormales ne sont pas elles issues de tentatives menées par le progrès ? (La Révolution a abouti en Empire et en Restauration, l’URSS en Poutine…)
Recevez mes salutations cordiales,
Francis Venciton