De Kiel et Tanger, Boutang a dit qu’il était « un acquis pour la suite des temps ».
Nous avons choisi d’en reproduire in extenso le fameux chapitre XXIV, intitulé « Que la France pourrait manoeuvrer et grandir« . Son actualité laisse rêveur.
D’autre part, le déclin français du siècle écoulé depuis Kiel et Tanger, mais aussi déclin européen et plus généralement « occidental », car les États-Unis ont amorcé le leur, nous font devoir d’actualiser, réviser, adapter ces analyses à la situation présente de la France et du monde, qui, elle non plus, n’a rien de figé. Préserver, faire renaître ce qui peut être sauvé de l’héritage d’abord français mais aussi européen, reste l’unique devoir qui puisse s’imposer à nous. Sauf à être capable de nous en désigner un autre !
De nombreuses personnalités de tout premier plan – Georges Pompidou, alors Président de la République en exercice, pour ne prendre qu’un seul exemple – n’ont pas caché l’intérêt qu’elles portaient à cet ouvrage, ni l’influence que le livre en général, et ce chapitre XXIV en particulier, avaient exercée sur elles. L’on peut dire en très bref que, plus ou moins bien ou mal interprétées et / ou exécutées, selon les cas, les circonstances et les hommes en place, les préconisations géostratégiques de l’ouvrage, ont inspiré toute la politique extérieure de la Ve République.
Mais, d’abord, un petit rappel historique : 18 juin 1895, Gabriel Hanoteaux – Ministre des Affaires étrangères – se rapproche de l’Allemagne et cultive l’alliance russe : les escadres allemande, russe et française se rencontrent et paradent devant le canal de Kiel, en mer Baltique. Presque dix ans plus tard, les radicaux ayant pris le pouvoir en France, Delcassé inverse cette politique extérieure, et parvient à l’Entente cordiale avec l’Angleterre. En guise de représailles et d’avertissement à la France, Guillaume II débarque à Tanger, le 31 mars 1905, pour manifester sa puissance et contrecarrer les visées françaises dans la région.
Maurras en tire la conclusion que la République française n’a pas de politique extérieure, entre autres choses parce que ses institutions ne le lui permettent pas.
Chapitre XXIV : Que la France pourrait manœuvrer et grandir.
Alors, pour n’avoir pas à désespérer de la République, bien des républicains se sont résignés à un désespoir qui a dû leur être fort douloureux : ils se sont mis à désespérer de la France. Résistance, vigueur, avenir, ils nous contestent tout. Ce pays est peut-être absolument épuisé, disent-ils. Sa dégression militaire et maritime n’exprime-t-elle pas un état d’anémie et d’aboulie sociales profondes ? Sans parler des mutilations que nous avons souffertes, n’avons-nous pas diminué du seul fait des progrès de l’Univers ?
La population de l’Europe s’est accrue. L’Amérique s’est colonisée et civilisée. Nos vingt-cinq millions d’habitants à la fin du XVIIIe siècle représentaient la plus forte agglomération politique du monde civilisé. Aujourd’hui, cinq ou six grands peuples prennent sur nous des avances qui iront bientôt au double et au triple. La terre tend à devenir anglo-saxonne pour une part, germaine pour une autre. Slaves du Nord, Slaves du Sud finiront par se donner la main. L’Islam renaît, le monde jaune s’éveille : à l’un l’Asie, l’Afrique à l’autre. Que pourra faire la petite France entre tous ces géants ? Barbares ou sauvages, à plus forte raison si elles sont civilisées, ces grandes unités ne paraissent-elles pas chargées de la dépecer ou de l’absorber par infiltrations graduelles ? Peut-elle avoir un autre sort que celui de la Grèce antique ? (Ci-contre : l’immense Empire macédonien sous Alexandre).
Ceux qui font ce raisonnement oublient trop que, des grandes agglomérations nationales qui nous menacent, les unes, comme l’Italie et l’Allemagne, ne sont pas nées de leur simple élan naturel, mais très précisément de notre politique révolutionnaire, et les autres ne sont devenues possibles qu’en l’absence d’une action vigoureuse de Paris. En général, elles sont nées extérieurement à nous, des mouvements nationalistes que notre politique nationale n’a pas été en état de combattre ou même qu’elle a sottement servis et favorisés. Nous avons favorisé l’unification des peuples européens, nous avons laissé faire l’empire britannique. L’Amérique avait été séparée par Louis XVI de l’Angleterre, et son histoire ultérieure eût été un peu différente si Louis XVI avait eu quatre ou cinq successeurs réguliers, c’est-à-dire aussi versés dans l’art de pratiquer des sécessions chez les voisins que de maintenir entre les Français l’unité, la paix et l’union… (Ci-contre : l’immense empire romain).
Notre natalité a baissé ? Mais il n’est pas prouvé que cette baisse soit indépendante de nos lois politiques, ces chefs-d’œuvre de volonté égalisante et destructive qui tendent à rompre l’unité des familles et à favoriser l’exode vers les villes des travailleurs des champs. Il n’est pas prouvé davantage qu’on ne puisse y remédier, directement et sûrement, par un certain ensemble de réformes profondes doublées d’exemples venus de haut. Une politique nationale eût changé bien des choses, du seul fait qu’elle eût existé. Elle en changerait d’autres, si elle profitait des réalités favorables qu’une diplomatie républicaine, condamnée à l’inexistence ou à la démence, ne peut que laisser échapper.
Plus d’une circonstance très propice semble nous sourire aujourd’hui. Il suffirait de voir, de savoir, de prévoir. C’est nous qui manquons à la fortune, nous n’avons pas le droit de dire que l’occasion fera défaut. On se trompe beaucoup en affirmant que l’évolution du monde moderne ne peut tendre qu’à former de grands empires unitaires. Sans doute une partie de l’univers s’unifie, mais une autre tend à se diviser, et ces phénomènes de désintégration, comme dirait Herbert Spencer, sont très nombreux. Les virtualités de discorde, les causes éventuelles de morcellement, les principes de guerres de climats et de guerres de races existent, par exemple, aux États-Unis ; ils y sont moins visibles que l’impérialisme, mais le temps, les heurts du chemin et des brèches adroites pratiquées de main d’homme les feraient apparaître facilement un jour. Une foule de petites nations séparées se sont déjà formées au XIXe siècle en Europe, comme en peut témoigner la mosaïque des Balkans, dont nous n’avons su tirer aucun parti pour la France. La Norvège et la Suède ont divorcé. La Hongrie semble parfois vouloir rompre avec l’Autriche, qui elle-même est travaillée des revendications croates et roumaines. Cela fait entrevoir beaucoup de possibles nouveaux.
Ce serait une erreur profonde que de penser que tout petit peuple récemment constitué doive fatalement se référer, en qualité de satellite, à l’attraction du grand État qui sera son plus proche parent, ou son plus proche voisin, ou le plus disposé à exercer sur lui, par exemple, la tutelle affectueuse de l’Empire britannique sur le Portugal. Les Slaves du Sud ne sont pas devenus aussi complètement vassaux de Saint-Pétersbourg que l’indiquaient leurs dispositions d’autrefois. Le tzar blanc les recherche ; il leur arrive d’accepter ses bienfaits comme vient de le faire le nouveau roi des Bulgares. Mais les Slaves sont repoussés par une crainte autant qu’attirés par un intérêt : la monarchie austro-hongroise peut les grouper. À supposer que Budapest devienne indépendante, de sérieux problèmes de vie et de liberté se posent pour les Magyars placés entre le Hohenzollern de Berlin et celui de Bucarest. On soutient que, dans cette hypothèse, le Habsbourg serait vivement dépouillé par le roi de Prusse. C’est bientôt dit. D’autres solutions sont possibles, qui seraient plus conformes au nationalisme farouche des États secondaires, celle-ci notamment : l’addition fédérale ou confédérale de tous ces États moyens tendant et même aboutissant à former un puissant contrepoids aux empires. Il n’y faudrait qu’une condition : cet ensemble ayant besoin d’être organisé, il resterait à trouver l’organisateur, ou, si l’on veut, le fédérateur, car rien ne se forme tout seul.
Le choc des grands empires, remarquons-le, pourra multiplier le nombre de ces menues puissances qui aspireront ainsi à devenir des neutres. Chaque empire éprouvera une difficulté croissante à maintenir son influence et sa protection sans partage sur la clientèle des nationalités subalternes. La liberté de celles-ci finira par être partiellement défendue par le grave danger de guerre générale qui résultera de toute tentative d’asservir l’une d’elles ou d’en influencer une autre trop puissamment. Le monde aura donc chance de se présenter pour longtemps, non comme une aire plane et découverte, abandonnée à la dispute de trois ou quatre dominateurs, non davantage comme un damier de moyens et de petits États, mais plutôt comme le composé de ces deux systèmes : plusieurs empires, avec un certain nombre de nationalités, petites ou moyennes, dans les entre-deux.
Un monde ainsi formé ne sera pas des plus tranquilles. Les faibles y seront trop faibles, les puissants trop puissants et la paix des uns et des autres ne reposera guère que sur la terreur qu’auront su s’inspirer réciproquement les colosses. Société d’épouvantement mutuel, compagnie d’intimidation alternante, cannibalisme organisé ! Cette jeune Amérique et cette jeune Allemagne, sans oublier cette vieille Autriche et cette vieille Angleterre qui rajeunissent d’un quart de siècle tous les cent ans, auront des relations de moins en moins conciliantes et faciles. Peu d’alliances fermes, mais un plexus de traités et partant de litiges. La rivalité industrielle entre les empires est déjà très âpre ; il serait utopique de chercher de nos jours leur principe d’accord, ni comment cet accord pourra durer entre eux.
Quantum ferrum ! On ne voit au loin que ce fer. La civilisation occidentale a fait la faute immense d’armer les barbares, l’Abyssinie contre l’Italie, le Japon contre la Russie. Erreurs qui ne peuvent manquer d’engendrer à la longue de nouvelles suites d’erreurs. On a salué dans Guillaume II le prince généreux qui voulut grouper l’Europe contre les Jaunes. Et c’est lui qui arme les multitudes sauvages de l’Asie blanche et de l’Afrique noire contre l’Angleterre et la France. Mais, s’il est le coadjuteur de la Porte et le protecteur de l’Islam, il ne lui serait pas facile de ne pas l’être : les empires contemporains subissent de plus en plus cette loi de travailler contre leur commune racine, la chrétienté et la civilisation. C’est un des résultats de leur progrès matériel. À ne regarder que les intérêts, l’intérêt de la seule métallurgie en Allemagne, en Angleterre et en Amérique suffit à rendre chimérique toute union des civilisés, tout pacte civilisateur. Concurrence : d’où tremblement universel.
Eh bien ! dans cet état de choses, entre les éléments ainsi définis, ce tremblement et cette concurrence fourniraient justement le terrain favorable et le juste champ d’élection sur lequel une France pourrait manœuvrer, avec facilité et franchise, du seul fait qu’elle se trouverait, par sa taille et par sa structure, très heureusement établie à égale distance des empires géants et de la poussière des petites nations jalouses de leur indépendance. Les circonstances sont propices à l’interposition d’un État de grandeur moyenne, de constitution robuste et ferme comme la nôtre. Parce qu’elle doit rester puissamment agricole, la France peut apporter quelque mesure au développement industriel ; elle n’en est point serve.
Elle peut se développer et s’enrichir sur place presque indéfiniment, parce qu’elle dispose des plus belles terres d’Europe, qui sont encore bien loin d’être mises en valeur comme il conviendrait. Une politique favorable à nos dix-huit millions de ruraux, dont beaucoup sont propriétaires, nous concentrerait fortement dans le domaine de nos rois, et le péril d’être touché par le mouvement de désintégration universelle serait prévenu sans difficulté par un octroi spontané de larges libertés locales. Économiquement et politiquement, par l’agriculture et par la décentralisation, nous composerions l’État le plus uni, en même temps que le plus souple et le plus autonome de l’Europe. Tout fâcheux abus de politique impériale et coloniale nous serait interdit par cette heureuse constitution qui ouvrirait la voie à la plus belle, à la plus active, à la plus fructueuse des politiques d’influence, car notre roi, maître absolu de son armée, de sa marine et de sa diplomatie, jouirait de l’indépendance nécessaire pour guetter, chez autrui, l’inévitable excès de la politique orgueilleuse à laquelle les Allemands, les Russes, les Anglais et les Américains ne peuvent désormais échapper.
Cette période de guet, d’affût et de véritable recueillement pourrait être employée à un travail souterrain de correspondance, d’entente et d’organisation, pratiqué parmi les peuples de puissance secondaire, parmi les demi-faibles, affamés d’une sécurité moins précaire, aspirant à une existence mieux garantie. Chacun d’eux ne peut rien. Simplement coalisés, ils ne peuvent pas beaucoup plus, étant séparés l’un de l’autre par de trop grandes diversités d’intérêt. Une ligue à vingt têtes n’aurait au juste aucune tête. Il y faut une tête unique et puissante pourvu que sa puissance ne soit pas un effroi. Il y faut la tête d’une France bien ordonnée, c’est-à-dire couronnée par un roi de France. Pour fournir un réel service, cette France doit représenter l’alliance d’un État fort, complet, capable de présider avec une impartiale majesté le conseil de ses alliés et de ses clients, en mesure de faire exécuter les décisions communes et de donner des avis compris avec rapidité, tout en se défendant avec le plus grand soin de paraître imposer une autorité insolente.
Nous n’aurions pas à chercher ni à convier ; les États secondaires seraient comme chassés par la force des choses dans notre direction : nous les verrions s’enfuir vers nous. À nous donc de nous montrer assez vigoureux et d’être assez sages pour donner confiance, apparaître comme des protecteurs effectifs et non des tyrans. Cette ligue de menus peuples pourrait nous déférer son commandement militaire, et la politique éternelle des rois de France, volonté d’empêcher la Monarchie universelle ou l’accroissement excessif de telle ou telle coalition, recommencerait à rayonner efficacement de Paris. Comme jadis, en raison de l’infériorité numérique qui nous échut parfois sans nous procurer de désavantage réel, nous n’aurons peut-être pas sur la carte le volume des plus grandes puissances : nous en aurons l’autorité morale fondée sur une force vive supérieure. (Ci-contre, Saint-Louis qui fut sollicité de rendre son arbitrage entre les querelles européennes).
Mieux que la Prusse ou le Piémont avant l’Unité, nous multiplierons nos valeurs par un habile emploi d’amis, de protégés, d’affranchis exercés et fortifiés par notre aide. Politique de générosité qui aura son intérêt propre autant que sa beauté, cette chevalerie nous élèvera à l’empire.
Le maximum de notre force intérieure ayant été atteint par la constitution de la Monarchie héréditaire, traditionnelle, antiparlementaire et décentralisée, nous aurons obtenu, par la constitution du robuste faisceau de nos amitiés, le maximum de notre force extérieure. Assurés de la force, la force ordonnée et qui dure, il deviendra possible d’en venir à l’action : l’action, soit immédiate, soit à long terme, pour la reprise de notre bien et l’action en vue d’une paix européenne et planétaire qui, mettant fin à l’anarchie barbare de nos races supérieures, mérite enfin d’être appelée la paix française, seule digne du genre humain. (Ci-contre Léopold Sedar Senghor, père de la Francophonie – Francophonie origines et gestation.pdf)
Il n’est pas permis de marchander à l’œuvre de Bismarck, nationaliste prussien, ou de Disraëli, nationaliste anglais, l’admiration qu’elle comporte. Mais enfin, il y a quelque chose au-dessus, c’est l’œuvre d’un Metternich : son Europe, qui est celle de Richelieu, de Lionne, de Choiseul et de Vergennes, apparaît bien supérieure aux nationalités de Cavour et de Canovas. Cette Europe elle-même était inférieure à la chrétienté d’Urbain II et d’Innocent III. La chrétienté unie n’existant plus depuis la Réforme, il n’en subsiste pas moins une civilisation commune à sauvegarder. La France peut en être le soldat et le gendarme, comme le Siège catholique romain peut en redevenir le docteur et le promoteur. Le monde jaune organisé par le Japon, le monde sémitique ressuscitant, ici dans l’Internationale juive et ailleurs dans l’Islam, nous menacent de furieuses secousses, et tout le monde ne méprise pas l’apport intarissable des continents noirs : que de croisades pacifiques ou guerrières à organiser ! Et, si l’on est tenté de se croire isolé, qu’on se rappelle tout ce qui parle encore français et latin dans le monde, l’immense Canada et cette carrière infinie que nous ouvrent les Amériques du Centre et du Sud ! Ce n’est pas la matière qui se refusera à l’audace française. L’esprit français trouve à choisir entre d’innombrables objets.
(Ci-dessus, le comte, puis prince, Klemens Wenzel Nepomuk Lothar von Metternich, par Lawrence)
Ce chapitre témoigne de l’optimisme maurrassien, toujours prêt à voir dans chaque état voisin un candidat à l’alliance inégale au profit de la France. Est-ce bien réaliste aujourd’hui? Le « principe intemporel de la politique étrangère française », développée par Maurras dans « Kiel et Tanger » est la défense des petites nations face aux grandes puissances. Soit ; cependant, cette diplomatie de l’interposition est possible lorsque l’on a deux ou trois blocs en présence, sensiblement égaux. L’on peut alors si l’on n’appartient à aucun, aider les « petits » à faire entendre leur voix contre les deux grands, en entretenant ces alliances inégales (l’inégalité en étant même l’intérêt essentiel pour la France) avec des nations de second ordre. La réaction brutale de l’un des blocs étant forcément limitée par celle, possible, de l’autre bloc, s’en trouve annihilée. Cette opération est rentable à la condition, bien entendu, que l’arbitrage soit rémunéré. J’ai toujours lu avec un regard critique l’éloge que faisaient Bainville et Marie de Roux de la politique de Breteuil et Maurepas à la fin du XVIII° siècle. La paix de Teschen, par exemple, donna à la France la position d’arbitre, mais elle en sortit sans gains d’aucune sorte et dut payer tous les frais. Trois ans après, elle dut abandonner à leur triste sort les regenten des Pays-bas du nord et laisser les anglo-prussiens rafler la mise. Cependant cette politique se présente sous un éclairage tout autre aujourd’hui.
Il en est tout différemment? en effet, quand il n’y a plus qu’une superpuissance, car, alors, tout acte d’indépendance, même verbal, devient un acte hostile, qui conduit à l’adversité ou à une soumission ultérieure, plus humiliante encore parce qu’elle a été précédée de velléités d’insubordination. Nous le voyons aujourd’hui avec la politique française, qui a condamné en paroles l’intervention américaine en Irak, pour s’aplatir ensuite de plus en plus bas devant les injonctions de Washington, notamment au Proche Orient. A cet égard, la visite de Sarkozy à Damas est une bonne nouvelle, mais quelle est la marge de manoeuvre de la France? De plus, la puissance américaine, et ceci est essentiel, ne s’appuie pas seulement sur une domination militaire et économique, mais sur une idéologie qui vise à instaurer partout ses modes de pensée et de développement. Le « droit d’ingérence » est ainsi une arme de guerre et d’intimidation qui interdit, ne vous en déplaise, toute référence à l’indépendance des nations. Si la France, conduite (comme vous et moi le souhaitons) par son chef légitime, prenait ses distances avec l’union européenne et défendait le droit de l’Iran à se doter de moyens nucléaires, elle déchaînerait contre elle l’hostilité unanime de tous ses voisins et surtout des Etats Unis qui ont intérêt à entretenir en permanence un ennemi, contre lequel ils doivent mobiliser leur vassaux afin de créer en leur faveur l’effet multiplicateur de domination que crée une alliance militaire inégale, selon l’expression de Carl Schmitt. En un mot, les USA créent indéfiniment du désordre pour pérenniser leur hégémonie. Il en résulte que le choix que Maurras proposait avec raison condamne la France à se positionner, avec tous les risques que cela implique, en opposition avec le géant américain, alors que d’immenses intérêts lui barrent la route, ou à se borner à des gesticulations éphémères, vantardises dont le rabaissement périodique est chaque fois un coup de plus porté à notre prestige. Ce n’est pas simple. Au train où vont les choses, lorsque cette hégémonie prendra fin, il ne restera plus de nations en Europe pour jouer au jeu de l’Histoire.
En fait, ce n’est pas d’une alliance inégale que la France a besoin, mais d’une alliance suffisamment lointaine pour éviter la domination et nous laisser une marge de manœuvre, avec un allié suffisamment puissant pour désarmer la superpuissance à notre égard. Seul un pays remplit ces conditions: la Russie.
Une autre réflexion consiste à dire que les grandes puissances d’avant guerre, avaient toutes, exceptée la France, une école de réflexion géopolitique, chargée de définir dans quelle direction elles pouvaient développer leur espace par leur puissance.
S’il a existé une « géopolitique à la française », c’est principalement par opposition à la géopolitique allemande.
Qu’en est-il aujourd’hui?
Très juste observation de Sébasto. La géopolitique a mauvaise presse parmi les théoriciens français ; même parmi les nationalistes. Ainsi Jean Claude Varange n’hésite pas à opposer d’un air dégoûté encouragerait « la recherche de la puissance maximale », l’agressivité envers les voisins, alors que la seconde, « humblement », rechercherait les équilibres, permettrait « de survivre » dans le « marais » international. Or il apparaît que ces deux matières n’ont pas le même objet. L’une a pour but de discerner les lignes de tensions, les intérêts séculaires, les oppositions que la réalité engendre, alors que l’autre permet de les canaliser, de les couler dans un moule juridique, et même de les voiler.
Peut-être que la France répugne à se dévoiler? Préfère t-elle tenir secrètes les lignes de force de son expansion? Tout de même, lorsque Louis XIV disait: »tout l’effort de nos ancêtres et de notre règne tend à porter la France partout où la Gaule avait été, ne faisait-il pas de la géopolitique?