Par Philippe Mesnard.
« Avec le départ d’Angela Merkel, le centre de gravité du couple franco-allemand s’est déplacé. Il siège désormais à l’Élysée. »
J’ai frémi d’aise ; d’autant qu’on m’avait assuré en 2017 et en 2019, sur un mode interrogatif qui n’était qu’une gracieuseté rhétorique, que Macron était « le nouvel homme fort de l’Europe », ce qui a été en effet très sensible. Mais ce centre grave et fort est modeste. « Il n’y a pas de leadership, nuance-t-on dans l’entourage du chef de l’État. Ce dont l’Europe a besoin c’est de stabilité. Ce qui fait la force du couple franco-allemand, c’est sa force d’entraînement. » On a vu à quel point ça a bien marché ces dernières années et à quel point, sur toutes les questions militaires, industrielles, énergétiques et diplomatiques, l’Allemagne a collé sa roue à celle de la France. Cela fait quatre ans que Macron appelle de ses vœux une Europe de la défense, cela fait quatre ans qu’il échoue, spectaculairement, les Allemands n’ayant jamais soutenu les propositions françaises, quand elles ne les sabotaient pas. Mais le couple franco-allemand entraîne, l’Élysée le dit, les journalistes le répètent. C’est bien simple, Macron se sent si fort qu’il passe tout à Angela : « La chancelière hésite encore à réserver son dernier déplacement officiel à la France. Elle veut aussi aller voir le pape. Mais Emmanuel Macron ne lui en tiendra pas rigueur si elle décide de terminer par le Vatican plutôt que par l’Élysée. » On n’est pas plus aimable ; élégance de puissant. Macron a d’ailleurs prévu de prononcer un deuxième « discours de la Sorbonne », puisqu’on sait tous les heureux effets que le premier a eus sur la politique allemande et européenne. Nul doute que le futur chancelier lui accordera la même attention. C’est ainsi, la force inspire le respect.
Ce n’est pas Biden qui a eu droit à tant de gentillesse et d’intelligence généreusement prodiguées. On nous a même dit, le 22 septembre, que Macron était animé d’une colère froide à son encontre : « Emmanuel Macron ne s’est pas officiellement exprimé, après la rupture par l’Australie d’un contrat de fourniture de douze sous-marins français. Ce silence, qui traduit la colère froide du chef de l’État, ne retombe pas et il devrait durer » (francetvinfo.fr). Déjà, être capable de faire léviter un silence plusieurs jours, chapeau. Ensuite, se dire que Macron est dans un état de colère froide (qui est pourtant une passion triste ©M, ça doit lui faire mal), ça serre le cœur ; la dernière fois que ça lui était arrivé c’était quand Sylvie Goulard avait été jetée de la Commission européenne, malgré le soutien sans faille, bien sûr, d’Ursula von der Leyen, séduite, comme tous les Allemands, par l’homme fort de l’Europe (qui est entraînée par le couple franco-allemand). Alors Biden est allé à Canossa : il a appelé Macron ; le 22 septembre, justement (on avait dû lui passer l’article de francetvinfo.fr), prêt à subir la froide colère de l’homme fort qui fait planer ses silences aussi haut que les drones américains. Et on a vu ce qu’un homme fort obtient : « Les deux chefs d’État ont décidé de lancer un processus de consultations approfondies, visant à mettre en place les conditions garantissant la confiance et à proposer des mesures concrètes pour atteindre des objectifs communs. Ils se rencontreront en Europe à la fin du mois d’octobre pour parvenir à des points d’accord et conserver à ce processus tout son dynamisme » (communiqué officiel de l’Élysée). Ah ! Ça, c’est du concret ! Ça valait le coup de se taire une semaine. On a bien fait de renvoyer les ambassadeurs dans leurs ambassades, tout auréolés du prestige d’excuses si nettes et de gains si lourds.
Après avoir mis au pas Biden et avant de donner son onction au nouveau chancelier allemand, notre président a eu le temps de se pencher un peu au chevet de la France. Laissant d’autres silences planer là-haut, avec les aigles, il a prononcé le 27 septembre quelques bénignes paroles où son goût pour l’innovation numérique s’est allié à son sens du peuple : « Nous avons décidé que les pourboires payés par carte bleue seraient sans charge pour les employeurs et sans impôts pour les salariés qui les reçoivent ». Qui peut prétendre que la relance n’est pas en marche avec des mesures si populaires et énergiques ? Et c’est ainsi que Macron-le-Fort gouverne la France, l’Union européenne et le monde, faisant l’admiration des peuples et la fierté des Français. ■