PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette tribune est parue dans Le Figaro du samedi 16 octobre. Il y est affirmé que « la droite peut amorcer un retournement du jeu politique si elle parvient à s’affranchir complètement de la mécanique de la diabolisation, ce qui implique toutefois qu’elle cesse d’accorder le moindre crédit au concept d’« extrême droite ». Condition pour elle draconienne dont non seulement l’histoire des trente dernières années, mais toute notre Histoire depuis que le pays s’est divisé en gauche et droite, en 1789, nous montrent qu’elle n’est jamais durablement remplie. Le Pays réel français de jadis se reconnaissait dans ses états, il a été sommé de se diviser en partis et idéologies distinctes. La Droite n’en sort que rarement et pour peu de temps. C’est dire combien nous doutons de l’hypothèse droitière de MBC. Rien ne dit, d’ailleurs que lui-même y croie. Article à lire. Avec reconnaissance du travail accompli par Mathieu Bock-Côté en défense de notre civilisation.
Comment la droite peut-elle être autre chose qu’une gauche pâle ou une gauche au ralenti ?
On pourrait dire des trente dernières années qu’elles ont été marquées, politiquement, par un désir de remplacer le clivage gauche-droite. Associé globalement à l’opposition entre le socialisme et le libéralisme au moment de la guerre froide, il semblait d’un coup périmé ou, du moins, inopérant, d’autant que de nouvelles préoccupations identitaires, culturelles et sociétales en venaient à prendre le relais de la question sociale, congelée dans les paramètres d’une «mondialisation heureuse» condamnant chaque pays à adopter à peu près le même modèle de société.
Mais comment mettre en scène ces nouvelles querelles? Les uns proposèrent de remplacer le clivage gauche-droite par celui entre souverainistes et mondialistes, les autres, par celui entre conservateurs et progressistes et même entre républicains et démocrates. Aucune de ces propositions n’est toutefois parvenue à s’imposer vraiment, et cela encore moins en France, où le clivage gauche-droite semble inscrit dans la psyché nationale et conditionne en profondeur les comportements politiques, et plus encore les réflexes qui les alimentent.
Il faut dire, et même redire, que le clivage gauche-droite a joué historiquement à l’avantage exclusif de la gauche, qui s’autoproclame gauche, et rejette ensuite à droite ceux dont elle ne veut plus dans ses rangs. C’est d’ailleurs ainsi que la gauche se renouvelle, au gré des avant-gardes, qui purgent la famille de ceux qui ne suivent pas leur rythme et ne se soumettent pas à leurs innovations idéologiques. Pour la gauche intellectuelle, il suffit de marquer une idée à droite pour la disqualifier. D’ailleurs, on ne passe pas à droite: on y dérive, comme on le dit chez les intellectuels à propos des membres de cette tribu qui commencent trop ouvertement à mal penser.
On ne pense pas à droite: on rumine des idées sombres, on nage dans les eaux troubles, on se noie dans des pensées noires. On en entendra même, chez les intellectuels de gauche en rupture avec leur tribu, expliquer que ce n’est pas eux qui ont quitté la gauche mais la gauche qui les a quittés, comme s’ils demeuraient hypnotisés par ce mot. La gauche a tout intérêt à maintenir en vie un clivage qui l’avantage et qui lui assure un surplomb moral dans la définition des termes de la vie politique. Car c’est elle, en dernière instance, qui décide qui est à droite, qui est très à droite, qui est trop à droite et, plus encore, qui est à l’extrême droite.
Ces considérations sur le clivage gauche-droite devraient aller de soi. Il faut toutefois les amender à la lumière de l’actualité politique. On a beaucoup dit de la candidature probable d’Éric Zemmour qu’elle s’inscrit dans la tradition de la droite bonapartiste, associée au RPR, qu’il entend faire revivre. Au-delà de Zemmour, la droite renoue avec ce que l’on pourrait appeler son substrat en se rapprochant de la question identitaire. Xavier Bertrand et Valérie Pécresse, par exemple, ont quitté Les Républicains à cause de la ligne Wauquiez, il y a quelques années, mais y reviennent en l’empruntant. Michel Barnier s’est quant à lui prononcé en faveur d’un moratoire sur l’immigration.
À travers la question identitaire, la droite touche à la définition même du lien social et marque une opposition avec une vision constructiviste et strictement artificialiste du lien social, qui pousse à dénoyauter un pays de son identité historique et à gommer son substrat culturel et ses mœurs, avant de se soumettre à une nouvelle identité, par mauvaise conscience occidentale. Une question toujours revient: comment la droite peut-elle être autre chose qu’une gauche pâle ou une gauche au ralenti? Sa vision pourrait tenir en une formule simple: il importe que la France demeure le pays du peuple français.
La droite peut-elle retourner le clivage gauche-droite à son avantage? On aime bien parler de la droite décomplexée. La formule est ambiguë puisqu’elle prend souvent la forme d’un reproche: de la droite décomplexée il faut se méfier, puisque désinhibée, et connectée aux basses passions. Elle peut toutefois amorcer un retournement du jeu politique si elle parvient à s’affranchir complètement de la mécanique de la diabolisation, ce qui implique toutefois qu’elle cesse d’accorder le moindre crédit au concept d’« extrême droite ». ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Sélection photos © JSF
Il faut définitivement récuser cette grille de lecture obsolète , droite -gauche, en fait au service de la gauche- et la remplacer par une autre grille, légitimité ou non. . .
Je veux bien jouer mais mais je ne joue pas s sur le terrain qu’on m’impose. C’est sur ce refus que nous pourrons gagner . Arrêtons de commencer par donner raison au départ à l’adversaire, ce que fait la supposée droite depuis 200 ans . Merci à MBC.
Ce sujet est crucial, en effet. Il revient aux spécialistes – dont je ne suis pas – de le traiter. Qu’ils n’oublient pas de nous expliquer comment ces étiquettes hautement polysémiques et équivoques, si chargées de sous-entendus et d’arrières-pensées ont acquis le caractère officiel que leur donne le Ministère de l’Intérieur quand il proclame les résultats des élections législatives. Comme si, le plus officiellement du monde, scientifiquement, les individus et les partis eux-mêmes abandonnaient identité, personnalité, originalité au profit d’une case, d’un tiroir, représentés par un secteur du camembert « Palais Bourbon » dont la position serait fixée pour l’éternité. Plus nuisible encore que le régime des partis, au-dessus d’eux, ne serions-nous pas soumis à une sorte de religion manichéenne (refoulée, ésotérique) ? J’ai cru comprendre que cet usage dérivait des premières assemblées révolutionnaires.
Commençons par une mesure simple: à chaque nouvelle élection législative, les secteurs de l »hémicycle (et pourquoi pas les couleurs des graphiques ou même les fauteuils ?) seraient tirés au sort. Une nouvelle sémantique naîtrait peut-être.
« En France, il y a deux gauches, dont l’une s’appelle la droite ». Patrick Buisson.
Je ne sais où mettre cette citation du Journal des frères Goncourt, du 21 décembre 1866, consacrée à la révolution française, alors je la poste ici. Tout y est dit.
» Ce qui domine avant tout dans cette masse d’assassinats, dans cette histoire fumante, c’est l’odeur de bêtise. La Révolution a eu beau se faire terrible, elle est forcément bête. Sans le sang, elle serait niaise. Sans la guillotine, elle serait burlesque. Ôtez à ces grands hommes, à Robespierre et à Marat, leur nimbe de croquemitaine, l’éblouissante terreur du sang qu’ils ont versé, l’un n’est plus qu’un professeur de rhétorique filandreux, l’autre un maniaque, un aliéné caricatural. Ôtez-lui le sang, à la Révolution, et le mot « C’est trop bête » vous viendra à la bouche, devant ce ramas d’imbécillités cannibales et de rhétorique anthropophage. Il faut le lire pour le croire, pour croire que cela est arrivé en France il n’y a pas cent ans : le règne, la dictature homicide du bas, de la loge, de l’office, du portier, du domestique, de toutes les jalousies et de toutes les délations d’inférieurs. Et quelles hypocrisies, quels mensonges, cette Révolution ! Les devises, les murs, les mots, les discours, l’histoire, tout ment en ce temps ! Ah ! quel livre à faire, les Blagues de la Révolution ! »
« On est tellement habitué déjà à rire de la Chambre à la blâmer, à la blaguer, à la bafouer; ses maladresses sont tellement visibles, ses emballements tellement grotesques, que le métier de député devient une profession comique, qui inspirera bientôt un doux mépris aux petits enfants eux-mêmes .
Quand ils verront passer dans la rue quelque pauvre être d’ aspect hétéroclite, ils demanderont avec intérêt, habitués aux railleries de leur père :
— C’est un député, dis, papa ? »
Les Chroniques Politiques de Guy de Maupassant pages 135-136 Editions Rive droite .
Xavier Bertrand et Valérie Pecresse se sont soumis en revenant au LR et ils ont perdus. De cette grande hypocrisie théatrale comme ils savent le faire de façon si professionnelle depuis des décennies en continuant de prendre le peuple pour des cons, leur candidat est déjà désigné en Michel Barnier. Aujourd’hui pour avoir une idée globale de tout ces politiques, il suffit de revoir le film « Le président » de Henri Verneuil avec Mr Jean GABIN. Il y a 2 scènes cultes: l’une dans l’hémicycle ou Emile Beaufort fait ses adieux à cette assemblée qui est devenu un syndicat d’intérêt et non plus pour le bien commun et la seconde lorsque Philippe Chalamont vient demander sa bénédiction à Emile Beaufort.
Elle est remarquable sinon très significative la réflexion de MBC sur ce clivage parce qu’il se trouve face à une problématique qui lui est absolument étrangère: la culture de la vie politique et intellectuelle française em termes de combat. Nous possédons une histoire politique chargée quant à ses fondamentaux souvent discutés dans notre littérature littéraire et politique. Sa difficulté est qu’il est ignorant de la structure mentale de nos débats politiques laquelle recherche souvent le positionnement qui fait que l’on est de Droite ou de Gauche ou des Extrêmes ou non. La Droite dirige la France depuis fort longtemps et ce ne sont pas les petites années de la Gauche depuis 1981 avec Mitterrand qui changera quelque choses. Mitterand fut à droite toute dans sa biographie politique. Pourtant Marcel Gauchet lui dira simplement que nos distinctions sont devenues morales: l’Extrême-Droite c’est le mal absolu. L’Histoire avec une grande hache de l’Europe l’a illustré magistralement (le Stalinisme, Le maoisme, pas nécessairement ce fantôme nommé »Gauche », furent aussi le »mal » absolu). Il va falloir que MBC assume cette fois-ci cette diabolisation française des Extrêmismes de Droite dont il fait l’apologie chaque jour dans les médias. Difficile pour un québécois dont la politique au Québec ne se vit uniquement qu’en termes de consensus (ils n’aiment pas la »chicane » chez eux) d’entrer dans un vrai combat théorique en politique. Oui, les extrêmes sont le mal, il va falloir qu’il lise l’excellent opus de Phillippe Corcuff au titre de »La grande confusion. Comment l’extrême-droite gagne la bataille des idées », ce qui l’aiderait à mieux nous comprendre et par extension comprendre notre culture de la chicane qui tente elle de mettre les points sur les i idéologiques. L’histoire, sa connaissance, nous est essentiel et bien que Hitler et Pétain soient morts, leurs idéologies remuent encore. Bonjour chez nous MBC!