PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue dans Le Figaro de ce samedi 30 octobre. L’extrait que nous mettons en exergue (ci-dessous) dit exactement ce que fut de tout temps l’analyse institutionnelle et stratégique de l’Action Française, quand elle sait la penser et la mettre en œuvre. Cette conjonction des esprits patriotes d’aujourd’hui est une chance. Ce que Debray appelait la verte fortune. Serons-nous capables de la discerner alors qu’elle advient et de la saisir ? Nous et la France patriote ? C’est toute la question.
« L’incapacité du régime à prendre à bras-le-corps une question vitale entraîne à la fois son discrédit et le rejet de la classe politique qui y est associée, et la recherche d’une solution qui lui soit extérieure, et qui vienne faire éclater un cadre politique incapacitant se retournant pratiquement contre la nation qu’il doit servir. »
Si l’histoire peut éclairer le présent, elle peut aussi le dévorer et le confisquer, en poussant les hommes d’une époque à revivre toujours les querelles des précédentes, ce qui déréalise la vie politique, et la rend même spectrale.
On le constate depuis quelques semaines, alors que les références obsessionnelles et terriblement désincarnées à la Deuxième Guerre mondiale saturent l’espace public, comme si d’un coup, la France était condamnée à revivre, à tout le moins de manière théâtrale et parodique, les divisions de cette époque, dont huit décennies nous éloignent. Ajoutons, puisqu’il le faut, qu’il y a quelque chose d’absurde à placer la figure du maréchal Pétain au cœur de l’élection présidentielle quand tous les candidats sérieux, déclarés ou non, se réclament, pour peu qu’on ne déforme pas leurs propos, de l’épopée gaulliste au point même de se réclamer d’un parti, comme le RPR, qui a voulu la poursuivre longtemps après la mort du Général.
Cet ensevelissement du présent, nous le savons, relève du système de défense d’un système qui fait de la mémoire une arme rhétorique de bannissement civique pour mater ceux qu’il présente comme des dissidents et des rebelles, en les transformant à coups de citations déformées en héritiers du pétainisme, de la collaboration. Il s’agit de provoquer l’effroi en transformant les contemporains détestés en revenants d’hier, comme si toujours, la nation devait revivre le traumatisme de 1940. Tout cela lasse, tellement cette rhétorique est fausse et usée. On y verra un système d’épouvante ritualisé confirmant la radicalisation du décalage entre l’espace public officiel et médiatiquement porté et les préférences populaires. Mais l’antifascisme parodique a-t-il vraiment de l’avenir? Il a beau se décliner aujourd’hui en néo-antiracisme et en luttes spécialisées contre toutes les phobies imaginables, peut-il encore mordre sur une réalité qui lui échappe ?
Immigration massive
Revenons-y: quelle heure est-il? C’est ce qu’Alain Finkielkraut a nommé la seule exactitude. Quelle est la singularité de notre temps, et à quelle épreuve existentielle la France est-elle confrontée? L’honnêteté suffira à nous convaincre que l’immigration massive est la grande question du présent, d’autant qu’elle entraîne une mutation démographique condamnant le peuple historique français à devenir progressivement minoritaire chez lui. Longtemps niée, cette révolution est aujourd’hui chantée par ceux qui veulent y voir une créolisation féconde de l’identité française, même si elle s’accompagne d’une partition ethnique objective du territoire et enclenche une dynamique de racialisation des rapports sociaux. Il n’est évidemment pas permis de ne pas partager leur joie. C’est l’existence même du peuple français qui est en question, pour peu qu’on ne le définisse pas exclusivement à la manière d’un territoire impersonnel seulement régulé par un système de valeurs, aussi honorables soient-elles.
Qu’on se comprenne bien: il ne s’agit pas de bannir la référence à l’histoire, qui demeure une formidable école permettant aux dirigeants de comprendre les tendances lourdes et les passions qui animent les civilisations. Mais il faut en faire un usage subtil, comme nous y invite Marcel Gauchet, dans le deuxième tome de Comprendre le malaise français (Gallimard), en évoquant une piste intéressante. De manière aronienne, Gauchet y suggère que la question de l’immigration pourrait être à la Ve République ce que la question algérienne a été à la IVe. Le rapprochement est saisissant et frappe d’un coup l’imagination.
Figure issue du système
L’incapacité du régime à prendre à bras-le-corps une question vitale entraîne à la fois son discrédit et le rejet de la classe politique qui y est associée, et la recherche d’une solution qui lui soit extérieure, et qui vienne faire éclater un cadre politique incapacitant se retournant pratiquement contre la nation qu’il doit servir. À moins qu’une figure issue du système ne s’empare de cette préoccupation de manière crédible et résolue ?
L’histoire, autrement dit, est utile lorsqu’elle fournit des enseignements et permet de penser par analogies, en dévoilant les angles morts du présent. Il y a assurément des structures narratives récurrentes dans l’histoire d’un peuple, comme si à travers elles se dévoilaient des permanences mentales. Mais quise trompe d’époque se détourne de ses contemporains. S’il ne s’agit pas aujourd’hui de fantasmer sur une VI République mais de revenir à l’esprit de la V, on comprend que le grand enjeu demeure celui de la restauration de la souveraineté, et plus particulièrement, de la souveraineté populaire. Soit sortir du gouvernement des juges qui n’est rien d’autre qu’une falsification de l’État de droit au service d’une oligarchie se faisant passer pour une aristocratie éclairée. Telle est peut-être la véritable constante de l’histoire de France. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Sélection photos © JSF
« La grande erreur de la génération 68, que nous n’avons pas corrigée ensuite, a été de tourner le dos à l’histoire. Vous vous souvenez de ce slogan barbare «Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi»? C’était aberrant. » Alain Finkielkraut: «L’Europe est une civilisation qui doit être préservée» dans Le Temps du 6 novembre 2019. Voir aussi cette Histoire dans la bouche de Finkielkraut dans « Les battements du monde : dialogue: Alain Finkielkraut, Peter Sloterdijk. » Voir les travaux de Francois Hartog ou L’ontologie du secret de Pierre pour les références historiques. Et …
L’Histoire sature l’esprit français comme dans ce site dans lequel elle déborde large dans le temps. La monarchie reste un vieux souvenir folklorique dans ce troisième millénaire, elle est histoire du passé certes mais histoire tout court. D’ailleurs les allemands critiquent ce rapport tendu des français avec l’histoire et sa grande hache, c’est une expérience et un destin. MBC a du mal avec notre culture civilisation et cela se comprend puisqu’il possède un esprit américain lequel a fait de la rupture avec l’Europe et son histoire sa propre civilisation. Le philosophe québécois Michel Morin pourrait lui démontrer la justesse de la réflexion sur cette rupture. Certes MBC allège le propos par faiblesse mais on sait qu’il n’est pas convaincu parce qu’il aimerait qu’on n’identifie pas sa pensée dans la cloaque de l’Extreme-Droite, qu’il vaut mieux avancer en cachette. Au Quebec l’Histoire passe mal parce qu’elle soulève le passé honteux de sa politique tenue d’une main de fer par le catholicisme reactionnaire et c’est ici que MBC aura du mal avec notre culture qui n’est debout que par son rappel constant a l’histoire. E. Zemmour en est un excellent exemple. Cela s’appelle la culture française. Bienvenu dans la civilisation culture française MBC dont nous sommes fiers et que nous désirons preserver contre la barbarie. On l’accepte ou on la refuse mais de grâce ne nous jugez pas nous français surtout ne nous transformez pas en américains monsieur le sociologue MBC.
Oh ????
Je n’avais pas perçu MBC comme vous le décrivez
Afin de compléter cet article, je vous conseille de voir et écouter l’entretien entre PY Rougeyron du Cercle Aristote et Driss Ghali :
Contre le « vivre ensemble » et la soumission de la France
https://www.youtube.com/watch?v=w19_2y0gDek