Avec Edouard Husson.
Cet entretien avec d’Edouard Husson sur Atlantico est paru hier 1er novembre et les analyses du phénomène Zemmour qu’on peut y lire sont intéressantes de même que le appel de l’utilisation des Black Bloc en toutes circonstance par le Pouvoir pour déstabiliser ou corrompre ses adversaires comme ce fut le cas avec les Gilets jaunes. À lire, ne serait-ce que pour en débattre.
Les scènes d’affrontements entre forces de l’ordre et antifas protestant contre la venue d’Eric Zemmour offrent l’image d’une France totalement à cran.
Atlantico : Les scènes d’affrontements entre forces de l’ordre et antifas protestant contre la venue d’Eric Zemmour offrent l’image d’une France totalement à cran. Peut-on attribuer la responsabilité de cette violence physique comme verbale à 40 ans de discours politiques ayant zigzagué entre renoncements, lâchetés et déni de réalité, aussi bien de la part du PS que de celle de l’UMP/ LR ?
Edouard Husson : Certains regrettent le temps où les gaullistes et les communistes structuraient le débat politique. Effectivement, pendant quarante ans, la droite a détricoté le gaullisme et la gauche le communisme. Pour le communisme, c’est quelque chose dont Zemmour parlait bien dans un de ses premiers livres: il est bien évident que le patronat français a agi à courte vue – contre la volonté exprimée du Général de Gaulle – dans les années 1970-1970 – en misant sur l’immigration plutôt qu’en investissant dans la robotisation. Au départ, le parti communiste luttait contre. Puis il a jeté l’éponge sous la pression du PS et de la nouvelle génération qui semblait le ringardiser. Pour le secteur privé – de toutes tailles d’entreprises – l’immigration est devenue de plus en plus une aubaine car la droite post-pompidolienne et la gauche mitterrandienne se livraient à une surenchère de charges imposées aux employeurs. Il s’est alors mis en place une machine infernale. Le seul parti qui disait les choses – le Front National version Jean-Marie Le Pen porteur d’un robuste programme « thatchérien » en matière économique – a été enfermé dans un rôle de « fou du système politique ». Tandis que la gauche post-mitterrandienne entraînait la droite chiraquisée dans une course folle à la surenchère idéologique. Pour la gauche, cela voulait dire se compromettre de plus en plus, au nom de l’internationalisme, avec le capitalisme devenant de plus en plus financier. En réaction est montée une extrême-gauche incapable de gouverner mais capable de mobiliser, alliant la pureté d’un néo-marxisme ou sa métamorphose (gender, décolonialisme etc….) à un discours antifasciste d’opérette – puisque le fascisme est mort en 1945. A droite, après l’épisode manqué de Sarkozy et la « normalisation » ratée de Marine Le Pen, surgit un Eric Zemmour qui fait sauter les digues, essayant de réaliser l’union des droites mais l’épiçant en permanences de provocations intellectuelles qui la rendent difficile, d’autant plus que l’individu Zemmour joue avec ce que Raoul Girardet appelait le « mythe du sauveur » – ce qui rend impossibles les alliances et compliqués les ralliements. Alors, oui, ce qui se joue à Nantes ou ailleurs, c’est bien l’affrontement entre la partie en effervescence de la droite l’extrême-gauche, produit de quarante ans de dénis de réalité de la part des partis de gouvernement. On mettra cependant un gros bémol à la symétrie: le « zemmourisme » est un patriotisme sincère et il est compatible avec une « droite de gouvernement » devenue plus lucide. Ce n’est qu’une question de lucidité des deux côtés. Alors que les antifas sont un danger pour la démocratie.
En quoi le quinquennat Macron -qui se voulait un moment de réconciliation « oeucuménique » par delà des divisions partisanes présentées comme stériles- a-t-il aggravé ces fractures et tensions françaises ?
Contrairement à beaucoup d’observateurs, je ne crois pas que le problème soit d’abord le centrisme de Macron. Il subsiste sans doute une façon de reprendre en main le pays depuis le centre-droit – Macron a évolué du centre-gauche de sa campagne de 2017 au centre-droit où il essaie de se positionner actuellement. L’élection présidentielle va, de mon point de vue se jouer au centre-droit: un Michel Barnier est-il capable d’en déloger Emmanuel Macron? Le problème de ce dernier, c’est son nihilisme philosophique, tellement enraciné chez lui qu’il en est devenu existentiel. Macron ne croit à rien. Il déteste le peuple qui l’a élu. Il est prêt à faire passer les plus absurdes aspects d’un mondialisme devenu destructeur; et la seule chose qui l’intéresse, c’est de se réserver la présidence de la Commission Européenne – dont il a écarté Barnier en 2019 en espérant un jour jouer un rôle dans un « gouvernement mondial » ou être secrétaire général de l’ONU ou entrer au conseil d’administration d’un des grands instituts financiers du monde. Le « en même temps » a été un signe de grand mépris envers les débats français. Macron sait qu’il a besoin de l’élection pour s’élever mais il renvoie tout le monde dos à dos. Effectivement, cela n’a fait qu’aggraver les tensions françaises.
Paradoxalement, alors qu’Eric Zemmour alerte sur les risques de guerre civile liés à la progression de l’islamisme et à une immigration peu contrôlée, les images de Nantes suggèrent un conflit politique très franco-francais. Les risques de guerre civile sont-ils vraiment là où on les attend ?
Je nuancerais. L’extrême-gauche est par nature internationaliste. Et le renseignement intérieur pourrait sans doute nous dire combien de Black Block ou d’antifas étrangers se trouvaient dans le groupe anti-Zemmour de samedi 30 octobre à Nantes. Et puis il ne faut pas être dupe de la symétrie: les supporteurs de Zemmour sont des gens calmes et patriotes – comme les soutiens de Trump à ses meetings en 2016 ou en 2020. Face à Zemmour, vous avez soit de la violence – les antifas – soit de l’insulte « bobo » comme Anne Hidalgo le traitant de « guignol » ce dimanche sur RTL ou François Bayrou expliquant qu’il fait honte à la France. Et puis n’oublions pas ce fait gravissime, pour lequel à ma connaissance, aucune enquête n’a été ouverte: des affiches avec une cible sur la tête d’Eric Zemmour, au moins un tag appelant à « mettre un billet sur sa tête ». Ce qu’Eric Zemmour fait ressortir, c’est la violence profonde du système mondialiste représenté par Macron et défendu par les antifas (briseurs de Gilets Jaunes ou organisateurs d’émeutes anti-Trump). Le tort de Zemmour, de mon point de vue, c’est de se fixer sur la seule question de l’immigration et d’y réduire l’identité française. C’est bien entendu une question capitale, existentielle pour le pays. Mais en s’y limitant, Zemmour est obligé de pratiquer une surenchère verbale. Alors que le système qu’il combat est aussi à l’origine de l’enfermisme sanitaire que nous vivons depuis plus de dix-huit mois, c’est un système centralisateur et qui détourne la révolution numérique à son profit. C’est un système qui développe un véritable eugénisme. C’est un système qui vise à la réduction démographique forcée de l’humanité, en particulier grâce à une idéologie verte qui est le communisme de notre époque. Je veux bien que l’on n’ouvre pas tous les fronts mais il serait plus efficace de pratiquer une alliance de ceux qui se battent pour contrôler l’immigration, ceux qui veulent libérer les entreprises de la pression fiscale et ceux qui luttent contre le pass sanitaire. Son socle électoral serait plus solide. Et sa vision de l’identité française serait plus équilibrée.
Quel impact électoral pourrait avoir la récurrence de ce type d’images d’affrontements ? Les plus radicaux, qu’ils soient Zemmouriens ou antifas, seront-ils les gagnants ou les perdants de cette polarisation maximale ?
Zemmour se rend surtout dépendant du gouvernement qui doit assurer sa sécurité. C’est paradoxal pour le candidat qui défend la cause de l’indépendance nationale. Et, vous avez raison, il risque d’user sa réputation à partir d’un moment où l’on associera un déplacement de Zemmour avec un affrontement. C’est bien entendu ce que le gouvernement recherche et il instrumentalisera l’extrême-gauche pour briser Zemmour comme il a utilisé le Bloc Noir pour casser les Gilets Jaunes. Pour l’anecdote, on avait proposé à Zemmour une autre salle, moins exposée, moins difficile à remplir et plus facile à sécuriser. Mais le presque-candidat ne veut pas se déplacer s’il n’a pas un auditoire conséquent et visible. Je ne sais plus où je lisais qu’il est arrivé à Zemmour de voter Mitterrand. Passons… En tout cas, il y a beaucoup de métier politique à apprendre chez Mitterrand. A commencer par le fait que l’on se déplace même pour cinq personnes…. ■
Édouard Husson est historien. Professeur des universités, il est ancien directeur général de l’ESCP Europe. Il a été élu en 2009 professeur d’histoire contemporaine à l’université de Picardie puis en 2018 à l’université de Cergy-Pontoise. Wikipédia
Très lucide.
L’analyse d’Edouard Husson est effectivement très lucide et montre les limites de la démocratie de débats dans notre république. Eric Zemmour connaît son sujet et est très difficile à prendre en défaut dans ses arguments les plus saillants sur les causes de la décadence française en action depuis quarante ans. Il en résulte que ses contradicteurs qu’ils soient de droite, de gauche ou de centre et plus encore du centre à la façon d’Emmanuel Macron en ressortent KO dans un débat avec lui. Macron a peur de lui sur le plan intellectuel et historique, comme il a eu peur en son temps de gilets jaunes et de tout ce qui constitue la France périphérique pour laquelle il n’a qu’un mépris souriant et distingué.
Que reste-il à Macron et à ses partisans comme moyen ultime de contrer voire de détruire Zemmour? Et bien, tous bonnement le recours à la violence physique de groupes de choc, Black Blocks et autres antifas, bien utiles et que le pouvoir manipule en sous mains. Pour Macron et ses supporters, ce qui a si bien marché contre les gilets jaunes et leurs partisans, devait marcher à nouveau contre Zemmour et les zemmouriens cette fois-ci. Voilà comment, malheureusement, tout débat d’un niveau intellectuel et historique élevé sur le situation et l’avenir de notre pays, comme Eric Zemmour tente avec persuasion et courage de le placer en vue de la campagne présidentielle, pourrait être réduit en miettes par l’utilisation de la violence à l’état brut pour faire peur aux gens en montrant que celui-ci est trop clivant pour permettre à un débat « serein » de prendre place. En basse politique, tous les moyens même les plus inavouables sont bon à utiliser pourvu que l’on ne puisse établir le moindre lien entre les commanditaires et les exécutants.