Par Gérard Leclerc.
« C’est au point qu’on en est à recourir à la psychanalyse de celui qu’on ne supporte pas. »
Le moins que l’on puisse dire est que telle qu’elle est engagée, la campagne présidentielle est d’ores et déjà promise aux discussions les plus ardentes, sinon les plus violentes. Le ton actuel de la presse laisse penser qu’aux questions de fond se mêlent celles des personnes, comme on l’a rarement vu dans le passé.
Tel éditorialiste ne met-il pas en cause « des fantasmes de haine » qui caractériseraient tel compétiteur à l’Élysée, sans préciser que s’il existe de tels fantasmes, ils sont largement partagés. Mais Charles Péguy ne nous avait-il pas prévenus d’avance : l’histoire implique profondément les personnalités qui s’engagent dans les combats de leur temps. Rien de plus faux qu’une histoire qui ne serait qu’un survol impersonnel et dépassionné. Le suivi des échanges entre les candidats déclarés ou présumés montre à l’évidence que nous sommes à l’abri d’une telle tentation. C’est au point qu’on en est à recourir à la psychanalyse de celui qu’on ne supporte pas.
Principes non négociables
Pour autant, tous les coups ne sont pas permis à l’égard des personnes. Et c’est peut-être le premier trait de ce qu’on pourrait appeler une différence chrétienne en politique. Différence qui indique la nature de l’engagement civique. On a beaucoup discuté à certaines périodes de la question d’une politique chrétienne, avec les distinguos établis par Maritain entre agir en chrétien et agir en tant que chrétien. La différence peut paraître subtile, mais elle est à considérer. Peut-on dire que les formations à l’enseigne de la démocratie chrétienne impliquaient réellement un agir en tant que chrétien ? L’expérience a montré, hélas, que très souvent la dénomination n’empêchait pas de s’aligner sur les préjugés du moment. C’est pourquoi la discussion a pu rebondir, d’une façon très intéressante, dans la mouvance du courant Radical Orthodoxy, notamment avec les positions du théologien laïc américain William Cavanaugh. Il y a des principes non négociables (cf. le cardinal Ratzinger) qui s’imposent à tous les disciples du Christ et qui s’opposent à des compromis où ils seraient affaiblis ou dénaturés.
Mais cela n’empêche pas qu’il existe un domaine propre à la cité, ce que dans l’Évangile Jésus appelle « ce qui appartient à César » et que l’apôtre Paul reconnaissait en recommandant l’obéissance à l’autorité politique. Les chrétiens ont à affronter les mêmes réalités que les non-chrétiens. Et un certain idéalisme irait à l’encontre de l’authenticité évangélique. Devant l’évidence tragique de la défaite de 1940, certains ont pu s’interroger amèrement sur leur pacifisme désastreux.
D’où la nécessité de bien situer la différence chrétienne, qui n’implique aucune ignorance des réalités, mais exige au contraire une totale lucidité sur les dangers encourus. Tel est le défi qui s’imposera à nous dans les prochains mois : garder les yeux bien ouverts, tout en n’oubliant rien de ce qui n’est pas négociable. ■