Certes, en matière géostratégique, nous nous défions de ce que Boutang appelait les phobies et les philées. Qui ont quelques fois coûté fort cher à la France. La politique étrangère d’un État ne peut se définir par les bons sentiments, le romantisme, et au pis la sensiblerie. Cette réserve n’exclut pas les amitiés naturelles ou historiques entre tels et tels peuples. Elle les ordonne et les modère. Toutefois, ce que nous dit ici le polonais Eryk Mistewicz sur nous-mêmes, en des termes d’une évidente sympathie et de lucide désolation, nous touche et nous intéresse. On n’en retiendra pas tout. On ne sera pas d’accord sur ceci ou cela. On fera bien en revanche d’en retirer l’essentiel et d’en faire notre miel à notre manière. Contre l’UE et contre les mauvais procédés macroniens, saluons en tout cas nos amis d’Europe Centrale qui leur résistent vaillamment !
TRIBUNE – Éditeur du mensuel polonais Wszystko co najważniejsze, lauréat du Pulitzer polonais, Eryk Mistewicz, journaliste et publiciste amoureux de la France, s’insurge contre l’image réductrice d’une Europe de l’Est « méchante et despotique » et se désole du déclin intellectuel français et de son suivisme par rapport au prêt à penser venu d’outre-Atlantique. Il appelle à la renaissance de la « fierté française » et au renforcement de l’axe Paris-Varsovie en Europe. [FigaroVox du 11.11 – Laure Mandeville].
« …la reconstruction du quartier Saint-Denis Basilique, un ambitieux programme de rénovation du tissu urbain, du tissu social aussi, pour que les Français puissent de nouveau admirer dignement la basilique où reposent leurs rois ? »
Je suis un Polonais amoureux de la France. J’y ai fait mes études et je continue à partager ma vie entre la Pologne et l’Hexagone, en expliquant, tantôt dans l’un, tantôt dans l’autre, les spécificités de chacun. Je parle aux Français de l’amour puissant, jusqu’à la folie, de la liberté en Pologne. Une Pologne rayée pendant 123 années (1795-1918) des cartes de l’Europe, car ses voisins allemand, russe et autrichien avaient jugé qu’il ne devrait plus y avoir de place pour cette nation séculaire. Une Pologne qui, à maintes reprises, s’était insurgée contre cette décision des « puissants » et dont les fils les plus éminents faisant partie de la Grande Émigration avaient trouvé refuge en France. Une Pologne dont, en 1939, en agissant de concert, l’Allemagne et la Russie avaient considéré qu’il fallait exterminer les élites : ses professeurs, ses médecins, ses intellectuels, ses officiers. Je leur parle, enfin, de la Pologne du mouvement Solidarnosc, de Jean-Paul II et du sentiment européen à son paroxysme. Aujourd’hui encore, près de 85 % de la population polonaise est favorable à l’appartenance à l’Union européenne. C’est cette Pologne que je tente de faire découvrir ou redécouvrir à mes amis français, du mieux que je peux.
De même, j’explique à mes compatriotes pourquoi la France, sortie traumatisée et exsangue de la Grande Guerre, a pu refuser de nous venir en aide en septembre 1939, ou en tout cas échouer à le faire, alors que nous étions agressés par les Allemands et que nous étions liés par un traité d’assistance mutuelle.
Mais j’essaie surtout, ces temps-ci, d’expliquer aux Polonais que nous devrions percevoir la France comme… le pays le plus important d’Europe (sic !). Notre allié incontournable. Car nous sommes liés par une histoire commune. Car c’est à Paris que se trouvent les sièges de l’OCDE et de l’Unesco. C’est ici que s’élaborent les politiques européennes réalisées ensuite à Bruxelles. Je leur fais valoir que, la France, cela reste les meilleures idées, la plus pertinente philosophie politique, la raison d’être de l’Europe.
Je vois poindre un sourire sur vos visages parce que je sais que cette France n’existe que dans mon imaginaire, et que, depuis une vingtaine d’années, ce pays ne fait qu’abdiquer progressivement ses grandes idées. Il fut un temps où la France, plus particulièrement Paris, était l’endroit où se pensaient les idées, sinon pour le monde du moins pour l’Europe. Aujourd’hui, on peine à retrouver les traces de ce passé fécond en disputes, en débats, en interrogations. On y est surtout bercés par la pensée unique à propos de tout.
À chaque séjour à Paris, je fais obligatoirement un détour par les libraires. Dernières nouveautés en essais, toutes sortes de revues d’opinion, mon panier est toujours plein à craquer. Mais, depuis un moment, je n’arrive pas à me défaire d’un sentiment de prévisibilité. Je vois de plus en plus de traductions de livres américains, comme si les Français avaient peur de proposer quelque chose de leur côté. De plus en plus d’études sociologiques, philosophiques, politologiques qui reproduisent les idées reçues, qui revoient tout par le filtre de la race, du genre, de l’écologie ou du féminisme – comme si ces vocables mis en couverture justifiaient à eux seuls la présence de ces livres dans les rayons des libraires.
Je ne peux pas me défaire de l’impression qu’un boulet gauchiste a traversé le tissu intellectuel français, en provoquant des dégâts colossaux. L’assujettissement au politiquement correct est plus que visible. Aucun sujet n’y échappe, ni l’Europe, ni l’identité, ni la place de la France dans le monde. Certes, certains ouvrages sortent du lot, qui posent des questions au lieu de souffler des réponses toutes faites, mais ils sont plus rares. En fait partie par exemple La Guerre des idées. Enquête au cœur de l’intelligentsia française, d’Eugénie Bastié. À la place, des rayons entiers de livres sur la vague populiste et les attaques de la droite sur les valeurs progressistes – tous écrits selon un même schéma, tous partants des mêmes a priori, se faisant concurrence pour savoir qui dévalorisera, que dis-je, qui diabolisera mieux Kaczynski, Orban et, par la loi des séries, Bolsonaro, Trump, les Italiens et les Espagnols, et maintenant le « diable » Zemmour en première ligne. C’est tout de même incroyable qu’on puisse écrire un livre de 250 pages sur le populisme, sans quitter Paris, sans aller parler aux protagonistes, sans lire les textes de Kaczynski, Morawiecki, ou de grands intellectuels polonais comme Legutko et Krasnodebski.
Il est tellement plus facile de recopier les invectives et les accusations, sans poser de questions, et en réduisant les réponses qui fâchent à l’image d’Épinal d’«une Europe de l’Est méchante et despotique», voire « fasciste » ! Comme si les accusateurs ne voulaient pas savoir ce que mon pays, la Pologne, a enduré aux mains des fascistes durant l’occupation de 1939-1945.
Je n’ai pas le droit de dire aux Français ce qui est bon ou mauvais pour eux. Mais je me demande où est passée la fierté française. Pourquoi et comment les élites françaises ont-elles considéré qu’il suffirait désormais de copier ce que pense le reste du monde, au lieu de nourrir la tradition intellectuelle qui est celle de la France ? Même durant la pandémie, je n’ai trouvé que quelques textes et travaux pertinents émanant des Français. La plupart d’ailleurs dans les colonnes du Figaro: Michel Houellebecq, Chantal Delsol, Alain Finkielkraut, Pierre Manent, Olivier Babeau, Jérôme Fourquet… Les autres médias hexagonaux – des titres de longue tradition, séculaire parfois – préfèrent promouvoir la construction de « l’homme nouveau » que comprendre pourquoi ce chantier se heurte à de si grands obstacles.
Les Français doivent retrouver la fierté et le sentiment de sécurité. La fierté est aussi importante pour l’âme française que la liberté l’est pour l’âme des Polonais, qui ont toujours refusé toute forme de soumission. Les Polonais ont aujourd’hui un symbole – nous allons reconstruire le palais de Saxe. Situé au centre de Varsovie, ce symbole de la souveraineté et de la résistance polonaises avait été rasé, comme presque toute la capitale, en décembre 1944, après l’écrasement du soulèvement du mois d’août de la même année, soulèvement noyé par les Allemands dans le sang d’innocentes victimes: enfants, femmes, vieillards, tués, massacrés, brûlés vifs. Y a-t-il un symbole que les Français pourraient reconstruire en guise de renouveau national ? Les lecteurs de Derrida et de Lacan comprendront parfaitement de quoi je parle: de la destruction inversée de Carthage.
Serait-ce la reconstruction du quartier Saint-Denis Basilique, qui demande aujourd’hui un ambitieux programme de rénovation du tissu urbain, du tissu social aussi, pour que les Français puissent de nouveau admirer dignement la basilique où reposent leurs rois? N’est-ce pas un bon symbole de la France d’aujourd’hui, une France en crise qui demande à être rénovée ?
Le Paris d’Anne Hidalgo et d’Emmanuel Macron devient une capitale de second rang, alors qu’il devrait être la première capitale d’Europe. Paris devrait à nouveau être la capitale de la jeune Europe. Capitale de la littérature, du cinéma, de la musique et des beaux-arts. Depuis longtemps déjà, la Ville Lumière ne joue plus ce rôle. Avant le Brexit, c’est Londres qu’on avait nommée capitale de l’Europe. Encore récemment, on pensait de même à propos de Berlin, surtout pour les arts.
Aujourd’hui, on voit même Budapest, ville géniale, intellectuelle, être sollicitée par le tourisme classique, mais aussi les conférences. Quant à Varsovie, elle accueille désormais grâce au Congrès Pologne Grand Projet, les intellectuels conservateurs du monde entier, émules de Roger Scruton. Pourquoi, au lieu d’être un lieu de tourbillonnement intellectuel, Paris devient-il un lieu de stagnation ? Une ville où on ne pose plus de questions qui intriguent, mais où on se satisfait de réponses toutes faites? Y a-t-il un ami français qui pourrait m’aider à trouver la réponse à ces questions ? [Photo : Le Prince Jean à la Diète polonaise lors d’un voyage officiel]. ■
La FRANCE et la POLOGNE ont des siècles d’amitié: Henri III fut Roi de Pologne avant de la quitter pour la France, Marie LECZINSKA Reine de France, Marie Walewska intime de Napoléon, dont son descendant fut le propriétaire des taxis de la Marne ,Sur Calais plusieurs Polonais « libres » , qui combattirent avec les Alliés sur le Front OUEST ont fait souche
Surtout les Polonais nous ont offert Jean Paul II, qui fut l’un des artisans de la chute du communisme