En novembre 1931, il y a juste 90 ans, le gouvernement dirigé par Pierre Laval lançait une très grosse expédition policière pour détruire le banditisme en Corse.
Michel Franceschetti en fait chaque jour, du 7 novembre au 2 décembre, le récit sur le blog consacré à son village de Poggiolo, en utilisant des articles de journaux de l’époque.
Ainsi, le 10 novembre, a-t-il reproduit un article de Léon Daudet qui est fort critique envers le gouvernement. Les royalistes ne battent pas toujours des mains quand l’Etat montre des muscles sans réelle volonté politique !
Article fort critique, en effet, envers le gouvernement et d’une truculence, d’une verdeur jubilatoire, d’un naturel, d’une puissance de subversion politique que l’on chercherait assez vainement dans les écrits d’aujourd’hui.
Ce jour-là, c’est à dire le 10 novembre 1931, le quotidien nationaliste et royaliste donna donc son point de vue sous la plume de Léon DAUDET (le fils de l’auteur des « Lettres de mon moulin ») qui occupait journellement la colonne de gauche de la première page tandis que « La Politique » de Charles MAURRAS se trouvait toujours au centre. (cf. image en en-tête).
Le titre de l’éditorial était « Bandits corses et bandits de Paris ». Le truculent DAUDET faisait la comparaison entre les deux catégories, les bandits de la capitale étant les politiciens corrompus.
L’article débutait en rappelant que l’on disait que la Corse était dangereuse et que:
» l’un des auxiliaires des redoutables rançonneurs avait obtenu le mandat de conseiller d’arrondissement! C’est cocasse. Mais il est encore plus cocasse de voir un garde des Sceaux (Raoul Péret) recevoir une enveloppe mensuelle d’un voleur (Oustric), et n’encourir de ce fait que le blâme des sénateurs-juges. Il est encore plus cocasse de voir un ministre des Finances (Klotz) signer des chèques sans provision « .
Pour DAUDET, comme pour tous les maurrassiens, jouer des muscles ne suffit pas à créer l’ordre. Le véritable ordre ne peut exister que par la Monarchie. Les vrais bandits sont dans les cercles politiques parisiens. Dans ce refus de se joindre au camp des conservateurs primaires, et dans la dénonciation du système en place.
L’éditorialiste poursuivait le parallèle entre les deux sortes de bandits :
« Les procédés des bandits corses étaient des procédés rudimentaires, primitifs, des chantages ouverts et sylvestres, respirant la solitude et les senteurs âcres de la brousse parfumée. Ils avaient comme décor une table d’auberge, une feuille de papier d’emballage, un verre et une bouteille de ce vin corse, que pour ma part je trouve exquis, de saveur unique et pouvant tenir tête à n’importe quel produit de Touraine, d’Anjou ou du Beaujolais. Quand la somme convenue était versée, le rançonneur et le rançonné se quittaient bons amis. (…)
Quelle différence avec nos bandits de Paris, contre lesquels aucune expédition punitive n’est jamais dirigée, ni, si elle est amorcée, – sous la pression de l’opinion – n’aboutit jamais ! «
Il citait ensuite l’exemple de Georges ANQUETIL, indicateur de police et escroc protégé par plusieurs politiciens, et il continuait :
« Pour ma part, je préfère de beaucoup un Romanetti, ou n’importe quelle autre terreur du maquis, à cet écumeur de la jungle parisienne. Anquetil est un de ces êtres d’abjection qui devraient avoir le col coupé… en commençant par les pieds.
Rien ne nous dit qu’il ne sera pas député, sénateur, voire ministre, un de ces jours. Il commandera alors à la maréchaussée et organisera des expéditions punitives.
Mais à la tête de la Corse elle-même, tout récemment, il y eut, comme préfet, le sanglant bandit Marlier, organisateur, avec Lannes, beau-frère de Poincaré, de l’assassinat d’un enfant de quatorze ans et demi. Comment s’étonner de l’état archaïque de la justice en Corse, quand ce beau pays a été commandé, pendant des années, par un « Soleilland » de cette espèce, que la Chambre, en 1924, avait, à l’unanimité, flétri. Il était dès lors très facile à prévoir, et nous n’y manquâmes point, que des conséquences de sang suivraient le maintien en fonctions du protégé de Millerand. »
Albert Soleilland était un ébéniste qui, en 1907, viola, tua et dépeça une fillette de 11 ans et dont le procès entraîna un grand débat sur la peine de mort. Le préfet Marlier était comparé à lui car Léon DAUDET l’accusait d’être l’instigateur d’une machination policière qui avait abouti à la mort mystérieuse de son fils Philippe DAUDET en 1923.
« La vérité est que le banditisme est beaucoup plus virulent et mieux organisé dans la police politique de Paris que dans le maquis corse. Les auxiliaires des bandits de Paris: un Mouton, directeur des Affaires criminelles à la Chancellerie; un André Benoist, directeur de la Police judiciaire; un commissaire tel que Benezech, un « expert » tel que le fameux Bayle, ont certes une autre importance et une autre surface que ceux et celles qui gardaient les chevaux et abritaient les fusils des vedettes corses de l’attaque à main armée. Ajaccio n’a pas à rougir. La ville de Paris lui rend des points; et que dire de ce jury de la Seine qui a acquitté la meurtrière de Plateau, la fille de police Germaine Berton, le meurtrier de Petliura, et condamné PAR ORDRE à cinq mois de prison le père du petit Philippe assassiné ! «
DAUDET fait ici allusion à des assassinats de personnalités royalistes qui auraient été organisés par la police politique.
« Telles étaient les réflexions qui me venaient à l’esprit en lisant que « l’épuration de la Corse se poursuit avec énergie et méthode »… Et l’épuration de Paris, quand la commence-t-on ? » ■
Source : Le blog des poggiolais.