C’est un entretien poignant et particulièrement intéressant avec Boualem Sansal qu’Alexandre Devecchio a publié dans Le Figaro du 12 novembre. Boualem Sansal ne cesse d’alerter les peuples occidentaux et principalement la France sur le danger islamiste et la faiblesse de leur riposte. Ils auront été dûment avertis par quelques grandes voix, dont celle de Boualem Sansal, qui rejoignent, d’ailleurs, tout simplement le sentiment populaire. Ici, la trahison des « élites » est patente. Et l’on se dit que l’on ferait mieux de les en accuser clairement plutôt que de s’en prendre incessamment à des « collaborateurs » – ou indistinctement et sommairement désignés pour tels – d’époques déjà lointaines. Les « collaborateurs » d’aujourd’hui sont tout désignés, du moins aux yeux d’un nombre grandissant de Français.
« La vraie nouveauté c’est Zemmour le polémiste qui impose à tous ses thèmes de campagne. Et voilà que tous, manchots, pingouins et autres canards boiteux, lui emboîtent le pas, mais avec des couacs et des « oui, mais, cependant » qui montrent qu’ils ne feront rien. »
ENTRETIEN – Six ans après les attentats du 13 novembre 2015, le romancier rappelle que les hommages et les commémorations ne suffiront pas à vaincre l’islamisme. Face à ce dernier, il appelle à agir vite et fort sans se soucier du politiquement correct.
LE FIGARO.- Nous commémorons cette année le sixième anniversaire des attentats du 13 Novembre alors que le procès de ce carnage vient de s’achever. Avons-nous tiré les leçons de ces événements?
Boualem SANSAL. – Face à l’islam, la France officielle a perdu toute capacité de réfléchir, de statuer et d’agir. Elle subit et se prépare à subir encore. Les musulmans, tout contraints qu’ils sont par le dogme et la communauté, sont plus libres face à leur religion ; ils l’aiment beaucoup, mais ils la discutent quand même, critiquent ses excès, lui donnent des coups de canif par-ci par-là. Il en est même, comme moi qui suis athée de naissance, qui recommandent de la mettre au musée. La France s’est mise dans un processus de soumission invraisemblable, elle s’humilie piteusement alors que personne à ma connaissance ne le lui demande, et surtout pas de s’humilier de cette façon wokienne, s’agenouiller dans la boue, se couvrir la tête de cendres, déchirer ses vêtements, se taillader les veines.Boualem Sansal
La crainte de désespérer la banlieue et la peur de la guerre civile, du séparatisme et des représailles des gardiens de l’islam ou des parrains de l’islamisme n’expliquent pas tout. On croirait que la France s’est engagée dans un processus de conversion volontaire qui ne dit pas son nom. À moins que par un mécanisme de compensation psychique elle remplace le christianisme qu’elle a chassé par la porte par un islam arrivé par la fenêtre. Malraux l’avait dit: le XXe siècle sera religieux ou ne sera pas. Moi j’y vois aussi du sexe: l’islam est jeune, vigoureux, infatigable, le christianisme vieux, faible, les Français qui aimaient tant la bagarre et la bagatelle regardent ça avec lubricité et regret.
Ce qui s’est passé le 13 novembre est un acte de guerre d’une violence inouïe auquel la France présidente a répondu par des larmes et des lamentations. Ce faisant, elle a humilié son peuple, sa police et son armée, et signé sa fin.
Rien de bon ne peut-il sortir de tout cela?
Le scénario le plus probable est la guerre civile, avec à terme la libanisation du pays ou son algérianisation qui est un mix entre dictature militaire et dictature islamiste. Écoutez Michel Onfray, il ne cesse de le répéter avec force arguments. La seule façon de l’éviter, et ça, c’est moi qui le dis, c’est le grand chambardement, il faut abattre la maison avant qu’il ne soit trop tard et la reconstruire après une séance d’exorcisme réussie. Belzébuth, sors de ce corps, par les Lumières vitales.
Il y a à peine un mois nous commémorions l’assassinant de Samuel Paty? Que pensez-vous de ces hommages?
Bien sûr qu’il faut des hommages, mais s’ils ne sont pas suivis d’actes forts, ils consacrent l’état de lâcheté et d’incompétence de l’Autorité. C’est insupportable de voir la France de Macron passer ses journées à rendre des hommages aux victimes de l’islamisme, et les enterrer ainsi une deuxième fois. Un chef des armées n’enterre pas ses morts, ne fait pas de discours en larmoyant, il tonne, il agit, il frappe vite et fort. C’est cela que les morts et les vivants réclament.
La campagne pour l’élection présidentielle est marquée par les questions liées à l’immigration et à l’islam. Est-ce le retour du refoulé?
Il n’y a pas de refoulé, ces questions sont sur la table depuis de Gaulle qui craignait de voir atterrir des mosquées à Colombey-les-Deux-Églises, Giscard, maître d’œuvre du regroupement familial, qui disait que la France faisait face à une invasion migratoire, Marchais qui réclamait l’arrêt de l’immigration, Rocard qui disait que la France ne pouvait pas accueillir toute la misère du monde, Chirac qui s’offusquait du «bruit et des odeurs», Sarkozy qui se voulait le champion des expulsions, Hollande qui disait que la France était en guerre, Macron qui découvre qu’il faudrait y voir, qu’il y a peut-être, des relations de cause à effet dans les malheurs de la France.
Non, la vraie nouveauté c’est Zemmour le polémiste qui impose à tous ses thèmes de campagne. Et voilà que tous, manchots, pingouins et autres canards boiteux, lui emboîtent le pas, mais avec des couacs et des «oui, mais, cependant» qui montrent qu’ils ne feront rien, sinon déplorer, soumis qu’ils sont à la doxa en vigueur.
Paradoxalement en 2017, ces questions avaient très peu été abordées…
En 2017, on a privilégié l’émotion, on a invité toutes les autruches de France à se rassembler pour affronter le danger et bouter l’ennemi. C’était à qui pleurait le plus fort sous l’œil ému des caméras. L’émotion c’est fort, ça unit dans les larmes, le temps qu’elles sèchent.
Nous étions quand même quelques-uns à parler de ces choses, mais on le sait l’émotion rend sourd. N’oubliez pas le politiquement correct et la police de la pensée et souvenez-vous de ce que disait Prévert: «Quand la vérité n’est pas libre, la liberté n’est pas vraie.»
N’y a-t-il pas aussi un souci légitime de ne pas stigmatiser l’ensemble des musulmans, de ne pas confondre islam et islamisme?
Sur ce plan, Zemmour dit des choses d’une justesse parfaite mais ne les explique jamais afin que chacun puisse voir ce que les mots cachent. L’islamisme c’est de l’officiel, c’est l’une des quatre écoles canoniques qui forment l’islam sunnite, toutes nées entre le VIIe le VIIIe siècle, quelques décennies à peine après la mort de Mahomet en 632: le malékisme (dominant au Maghreb et au Sahel), le hanafisme (dominant en Turquie, Bosnie, Chine, Inde, Pakistan, Afghanistan), le chafiisme (dominant au Yémen, en Afrique de l’Est, en Asie et Asie du Sud-Est), le hanbalisme (école ultra-orthodoxe qui impose une lecture littérale du Coran, dominant en Arabie, au Qatar et au Yémen, où il a accouché du wahhabisme ; il est également présent en Asie, aux Comores, sous une forme moins agressive et en Égypte, où il a donné les Frères musulmans).
C’est ce courant minoritaire mais très remuant, le hanbalisme, version wahhabite qu’en Occident on appelle islamisme. Mais aujourd’hui cette école, irriguée par les pétrodollars saoudiens et qataris et les aspirations califales qui fleurissent dans l’ensemble du monde musulman, a contaminé les trois autres écoles de l’islam sunnite, et les autres courants de l’islam, chiite, kharidjite et même soufi, et au final personne ne sait vraiment reconnaître les siens.
Les musulmans qui connaissent un tant soit peu leur religion et l’école juridique de leur communauté, ne se sentent nullement stigmatisés. Ceux qui se mouchent, ce sont les hanbalites, les wahhabites, les Frères musulmans et ceux qui confondent tout avec tout.
Alors que les 60 ans des accords d’Évian approchent, Emmanuel Macron a multiplié les gestes mémoriels reconnaissant notamment «la responsabilité de la France dans le massacre du 17 octobre 1961». A-t-il raison de faire ce type de gestes? Sont-ils appréciés en Algérie?
Macron, c’est Gaston Lagaffe, il en fait toujours trop parce qu’apparemment il ne sait pas au juste ce qui doit être fait. Il devrait lire Un président ne devrait pas dire ça. Il a sûrement tous les talents que les siens lui prêtent mais pas celui-là, le sens de l’histoire, il n’est pas historien, ni psychologue. Les Algériens n’aiment pas qu’on vienne les caresser dans le sens du poil, ce qu’ils veulent c’est écrire eux-mêmes leur histoire, chose que leur gouvernement ne leur permet pas, il les oblige à boire le breuvage officiel jusqu’à la lie et obéir aux alertes du ministère de la vérité. Ce qui intéresse le pouvoir (algérien, NDLR) c’est tout ce qui peut lui apporter un peu de légitimité pour conserver le pouvoir dérobé par lui un certain juillet 1962. La légitimité pour lui c’est le blanc-seing pour piller le pays en toute bonne conscience. Il a trouvé en Macron le gars sympa qui leur en donne tant et plus. Venant de l’ex-colonisateur ça vaut acquittement.
Macron avait passé la pommade à son vieil ami Bouteflika, il le fait aussi avec son nouvel ami Tebboune. Les Algériens observent sans comprendre ce qui peut lier un charmant jeune homme propre sur lui avec la gérontocratie haineuse d’Alger. En fait ils s’en fichent, ce qu’ils veulent c’est un peu de liberté, de la tranquillité, et si possible la vérité sur les affaires de leur pays, et en cadeau un visa pour visiter la France et y faire souche le cas échéant.
Dans le même temps, Emmanuel Macron a accusé le régime algérien de vivre de la rente mémorielle…
Macron est inconséquent, d’un côté il flatte ses vieux amis d’Alger, les abreuve d’hommages et de reconnaissance, et de l’autre il les accuse de vivre sur la rente mémorielle comme ils vivent royalement sur la rente pétrolière, deux choses qui se confondent au fond quand on n’a pas de légitimité et de dignité. On se demande qui conseille si mal ce jeune président qui certainement ne demande qu’à bien faire.
Il a également réduit le nombre de visas octroyés aux Algériens après l’échec du dialogue au sujet de la réadmission des clandestins expulsés. Comment le pouvoir algérien a-t-il réagi?
Il n’y regarde même pas, il sait que Macron ne fera rien, il est intelligent mais peureux, il sait que le pouvoir algérien ne rigole pas si on touche à ses intérêts. Alors qu’il n’a rien fait, juste émis une idée, voilà que son vieil ami Tebboune rappelle son ambassadeur à Paris, ferme l’espace aérien aux avions militaires français, interdit l’usage du français dans plusieurs ministères, rompt 500 contrats avec des PME françaises et appelle les grandes firmes allemandes et italiennes à venir remplacer au pied levé les entreprises du CAC 40 opérant en Algérie. Que fera-t-il si Macron s’avisait de toucher aux visas dus à ces messieurs, à leurs familles et alliés. Bravo, ça, c’est un chef! Pauvre Macron, il s’est mis un caillou dans la chaussure et un sacré souci dans la tête.
Au-delà de ces derniers épisodes, comment expliquez-vous que soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, les rapports entre les deux pays soient si passionnels?
Avant d’être passionnels, ils sont intéressés. La seule source de légitimation de la junte a été et reste la geste anticoloniale. Elle continue la guerre de libération pour maintenir le peuple sous l’empire des lois de la guerre clandestine. On lui explique journellement, par communiqués du haut commandement, que la guerre n’est pas finie, que l’ennemi est toujours là, plus dangereux que jamais.
Il doit y croire, le voir partout et agir en bon moudjahid et si nécessaire mourir en héros. Il doit chaque jour sacrifier au quart d’heure de la haine du JT de 20 heures contre la France. C’est du pur Orwell. L’Algérie est de ces rares pays encore vivants (Corée du Nord, Cuba), à avoir réussi à faire de la magnifique fiction orwellienne 1984 une réalité vivante.
D’un autre côté la France a un besoin vital de l’amitié et l’affection des Algériens pour
se persuader et démontrer au monde que sa colonisation a été pour eux un
pur bonheur. La preuve est qu’ils prennent d’assaut ses consulats pour obtenir leur visa ou vont affronter à mains nues les dangers de la mer pour venir se jeter dans les bras de la mère adoptive indigne.
Votre dernier livre prend la forme d’une Lettre d’amitié, de respect et de mise en garde aux peuples et aux nations de la terre (Gallimard). En vous lisant, on ne sait trop si c’est un geste de désespoir ou d’optimisme fou?
L’optimisme fou et le désespoir sont les deux faces d’une même pièce, la pièce de sagesse, s’entend. Des pans entiers de la vie sont en train de disparaître sous nos yeux. La désintégration se fait par l’action de ce que dans ma lettre j’ai appelé les Grands Destructeurs formés par les couples maléfiques Argent-Marché, Religion-Colonisation, Malbouffe-Machinisme, Jeux d’arènes-Délinquance.
Le combat de la jeune Greta Thunberg me paraît ne pas viser la bonne cible. La COP, les partis Verts et autres agitations connexes ne servent à rien, ce sont des leurres. Le danger n’est pas le réchauffement climatique, ce sont les Destructeurs, il n’est que l’une des innombrables conséquences de leur sinistre magistère. Ils tuent la raison, la joie, l’amour, l’amitié, l’esprit, les âmes et ensemencent dans ce qui reste de vivant en nous mille maladies et mille poisons. Détruire les Destructeurs, voilà le seul vrai combat. ■
Boualem Sansal publie un dernier ouvrage, « Lettre d’amitié, de respect et de mise en garde aux peuples et aux nations de la terre », chez Gallimard, 112 p., 12€.
Alexandre Devecchio est journaliste au Figaro, en charge du FigaroVox. Il a publié Les Nouveaux enfants du siècle, enquête sur une génération fracturée (éd. du Cerf, 2016) et est coauteur de Bienvenue dans le pire des mondes (éd. Plon, 2016).
Boualem Sensal face à la montée de l’islam qu’il connait et analyse de l’intérieur, rappelle par ses avertissements le Soljenitzine de 1962 avec le tonnerre d' »Une journée d’Ivan Denissovitch » puis dans les 15 années suivantes , avec son oeuvre gigantesque et géniale sur le régime communiste et « l’archipel du Goulag ». Rappelons que, déjà à l’époque, toute la clique gauchiste-Bobo niait le génie de l’écrivain alors qu’il était évident que nous avions affaire à un nouveau géant de la littérature russe. Boualem Sensal ajoute: « Zemmour dit des choses d’une justesse parfaite », mais il lui fait le seul reproche de ne pas expliciter ses propos. Mais celà se fait en vain depuis 1973 et le lamentable « regroupement familial » de Giscard, Chirac, Poniatowsky, Simone Veil, Durafour. Il n’y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir, à commencer par l’intelligentsia juive qui oublie que les Juifs d’AFN présents sur le sol d’AFN depuis 2 millénaires, et, pour certains, pro-FLN par idéologie marxiste, ont dû fuir leur terre natale en totalité, la tête basse. Elle ne veut pas voir que le même processus les chassera de l’Hexagone où ils ont trouvé une place de choix. Seul Zemmour et quelques autres comme W. Goldnadel ou Pierre Lellouche osent le clamer.
Boualem Sansal ose parler de « guerre », du wahabisme version radicale qui a gangréné « tout l’Islam », de « soumission volontaire » de nos dirigeants par aveuglement et lâcheté, de « libanisation ». Il nomme les grands « Destructeurs » de l’Occident, comme Soljeniszine le faisait et, bien avant lui, Ch. Maurras qui désignait les grands « pourrisseurs », souvent à l’époque pro-bolcheviques et pro-germanistes ( « les 2 faces d’une même pièce ») mus par leur haine du christianisme fondateur.
Depuis Sainte Geneviève, l’Occident a toujours eu ses « guetteurs ». Malheureusement, le Pouvoir « inconséquent et mal conseillé » ne les écoute pas ou trop tard, quand l’ennemi est dans la place.