PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue dans Le Figaro de ce samedi 20 novembre. « La question de l’assimilation se pose, mais personne ne sait vraiment comment la poser. Car les mécanismes sociaux qui la permettaient sont grippés », commente Le Figaro. Mathieu Bock-Côté, lui, regarde en face le problème dit de « l’assimilation » et le pose dans toutes ses dimensions, immédiates, identitaires et historiques. Y compris dans cette dimension d’insolubilité qui le caractérise lorsqu’il s’agit d’assimiler non plus des personnes mais des masses. Comment nommer ce que devrait être en profondeur notre politique migratoire ? Cette entreprise à l’échelle de l’histoire ? « On pourrait l’appeler la reconquête de la France..» Et ce sera, en effet, à l’échelle de l’Histoire.
Il y a des limites à jouer avec les mots et à se contenter d’une définition strictement juridique de la nation.
Si la question de la maîtrise des flux migratoires a trouvé sa place dans l’élection présidentielle, ainsi qu’en a témoigné le deuxième débat des Républicains, celle de l’assimilation demeure dans l’ombre, comme si ce sujet demeurait l’ultime tabou de la vie politique. Elle se présente à peu près ainsi: comment assimiler à la France des individus restés, pour certains, culturellement étrangers au pays dont ils ont la nationalité? Cela ne veut pas dire que des personnes d’origine étrangère n’embrassent pas l’identité française, mais que les conditions sociologiques de l’assimilation à grande échelle ne sont plus réunies. Que faire devant la dissociation de plus en plus marquée entre la nationalité et l’identité? Comment dire, sans se faire maudire, que l’immigration massive a entraîné la formation d’une contre-société au sein de la société française, et l’émergence d’un nouveau peuple que l’on nomme diversité, éparpillé en centaines d’enclaves ethniques sur l’ensemble du territoire national ?
Cette question se pose cruellement alors que se déroule le procès autour des attentats du 13 novembre 2015 et que la novlangue médiatique veut nous faire croire que les assassins et leurs complices étaient « français », « belges » ou même « suédois ». Comment ne pas être sidéré devant une telle falsification du monde, les mots servant non plus à nous informer sur le réel mais à le voiler, à en inverser la représentation, pour la rendre conforme à l’idéologie officielle? Comment ne pas être agacé quand des commentateurs, sans gêne, expliquent que le massacre du Bataclan mettait pour l’essentiel en scène des Français contre d’autres Français, et en déduisent qu’il n’avait donc rien à voir avec l’immigration ? Il y a des limites à jouer avec les mots et à se contenter d’une définition strictement juridique de la nation.
Plus le mensonge est gros, plus il faut y croire, et c’est en envoyant le signal qu’on s’y soumet qu’on peut témoigner de sa fidélité au régime. La mise en scène médiatique de cette vision inversée des faits sociaux déréalise la compréhension du présent moment historique. L’idéologie officielle produit un monde parallèle auquel tous sont obligés de faire semblant d’adhérer, au risque d’être transformés en parias. Faut-il rappeler, à la suite de Soljenitsyne, que l’institutionnalisation du mensonge est le propre du totalitarisme? Cela ne veut évidemment pas dire que les sociétés occidentales contemporaines sont totalitaires, mais que la tentation totalitaire s’est réactivée et qu’elle est consubstantielle au déploiement du régime diversitaire, qui veut rendre impensables les faits sociaux contredisant l’avenir radieux qu’il annonce.
Et pourtant, la réalité existe. Les périphrases se sont multipliées au fil des ans pour la nommer. On a ainsi parlé des territoires perdus de la République, ou même des territoires conquis de la République, sans préciser qui étaient les conquérants. On reconnaît aussi de plus en plus que les zones de non-droit sont en fait les zones d’un autre droit, et que les mœurs extraeuropéennes, souvent associées à l’islam le plus régressif, se substituent assez rapidement aux mœurs françaises. Ceux qui se réjouissent des conséquences de cette immigration massive parlent avec enthousiasme de sa créolisation, ce qui n’est qu’une manière prétendument poétique de reconnaître l’inversion de la dynamique d’assimilation en France condamnant les Français à devenir étrangers chez eux.
On y revient: la question de l’assimilation se pose à nouveau, mais personne ne sait vraiment comment la poser. Car les mécanismes sociaux qui la permettaient sont grippés. Le communautarisme est un effet presque inévitable de l’immigration de masse. L’idéologie «antidiscriminatoire» qui vient entraver les mécanismes d’imitation culturels nécessaires à l’assimilation pèse aussi dans cette dislocation de la fabrique sociale. Autrement dit, si l’assimilation doit redevenir une doctrine, on voit mal, à court terme, comment elle redeviendra une pratique. Une chose est certaine, toutefois: on ne saurait se contenter de la définir à travers un appel presque incantatoire aux «valeurs de la République». C’est de l’identité française, et des mœurs françaises, dont il faudrait parler, et c’est dans leur capacité à les réinstituer que les candidats devront être jugés par les électeurs.
Comment refaire de la culture française la norme en France, comment en refaire la culture de convergence ? Comment refaire du peuple historique français le peuple de référence en France? Il faudra bien des quinquennats pour renverser la tendance. Mais pour cela, il importe de redéfinir en profondeur la politique française et les principes qui l’orientent. Comment nommer cette entreprise à l’échelle de l’histoire ? On pourrait l’appeler la reconquête de la France. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
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