PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue dans Le Figaro de ce samedi 27 novembre. Ce qu’elle pose, selon nous, ce n’est pas le problème de la démocratie en soi-même, c’est celui de la légitimité du Pouvoir qui, certes, ne peut exister durablement sans le consentement populaire, mais n’existe pas davantage si son autorité ne vient pas de l’Histoire qu’elle incarne et si, de la sorte, en dehors même des fluctuations du moment de l’opinion, elle n’est pas le garant historique, continu, pérenne et indépendant, de l’identité d’un peuple et d’une nation. Sans la dimension d’une telle légitimité, la démocratie, quelle qu’elle soit n’est jamais autre chose qu’une lutte entre les oligarchies diverses. Du moins est-ce le cas en France, nation forgée par l’État à partir des pays et provinces qui lui préexistaient. Telle est l’une des raisons fortes de notre royalisme non encore abouti, comme disait Pierre Boutang, mais persistant et plus justifié que jamais. Rappelons qu’Emmanuel Macron l’avait lui-même pressenti et explicité, en 2015 alors qu’il était ministre de l’économie et que François Hollande, à l’Élysée, était « glorieusement régnant ». Cela dit, ne manquons pas de saluer le prodigieux travail quotidien de Mathieu Bock-Côté, sur C News et ailleurs.
C’était au lendemain de la guerre froide, au début des années 1990: on croyait le monde appelé à se convertir à la démocratie libérale, ce qui lui permettrait de se pacifier définitivement, en asséchant les passions poussant les hommes à se diviser entre eux, ou du moins, en les enfermant dans le domaine privé. L’aristotélicienne question du régime politique viendrait se dissoudre dans la prospérité universelle et l’empire du droit. Les promoteurs de cette théorie en étaient convaincus: c’est ce modèle qui avait triomphé des deux totalitarismes du XXe siècle. À travers lui, la modernité accomplirait ses promesses. Francis Fukuyama, dans un livre célèbre, en avait même fait une prophétie en y voyant la fin de l’histoire.
Cette philosophie des jours heureux semble aujourd’hui décatie. Un rapport d’International Idea, un organisme basé à Stockholm qui se donne pour mission d’évaluer la bonne santé démocratique de la planète, s’est voulu alarmant en début de semaine. La démocratie serait en recul, et cela même dans le monde occidental. Mais les analystes d’International Idea semblent confondre la démocratie avec une version particulièrement militante de ce que certains appellent l’État de droit. Car si la démocratie redevient une question à part entière, c’est parce qu’on ne sait plus comment la définir sérieusement.
La démocratie libérale, théoriquement, est censée s’appuyer à la fois sur la souveraineté populaire et la défense des libertés publiques. Mais en est-il encore ainsi ? La première est disqualifiée à la manière d’une tyrannie de la majorité, qu’il faudrait toujours limiter, contraindre, inhiber, en la rééduquant pour la délivrer de ses préjugés et des stéréotypes qui biaiseraient sa vision de la collectivité. Quant aux libertés publiques, elles sont de plus en plus piétinées au nom d’un progressisme nouveau, qui ne se gêne plus pour vouloir encadrer jusqu’à l’étouffement la liberté d’expression, au nom de la lutte contre les discours haineux. Plus encore, les libertés se sont transformées en «droits» militants, mobilisés par des minorités engendrées par le régime diversitaire, et qui n’en finissent plus d’égrainer le collectif, de le décomposer.
L’oligarchie du progrès
En fait, un nouveau régime s’est installé en usurpant le nom de l’ancien, en plus de diaboliser ceux qui étaient fidèles à ce dernier, et qui dénoncent justement cette trahison intellectuelle et institutionnelle. Derrière une apparence de continuité institutionnelle et constitutionnelle, depuis trente ans, la démocratie a changé de nature, de définition, de signification. Avec raison, on s’est indigné, en début d’année, contre les insurgés du Capitole, à Washington, qui ont voulu renverser le résultat d’une élection démocratique. La violence des manifestants était glaçante. Mais nous étions devant une figure ubuesque de l’insurrection, caricaturale et condamnée à l’échec. Le véritable changement de régime auquel nous avons assisté s’est passé de ce mauvais théâtre. Il n’en a pas moins été très efficacement mené.
Tel est le sens de la question du populisme, qui cherche à réactiver la souveraineté populaire, souvent en plaidant pour le référendum, pensé à la manière d’un outil replaçant le peuple au cœur de la vie politique. Il s’agit, en quelque sorte, de reconstituer politiquement le peuple, et de transposer dans l’arène électorale des questions qui sont aujourd’hui confisquées par les tribunaux, ou dont on juge la discussion impossible puisqu’ils seraient encadrés par des traités que l’on sacralise en les présentant dans le langage des « engagements internationaux de la France ». Cette rhétorique se retrouve à l’identique dans les autres pays occidentaux. Elle maquille bien mal l’apparition d’une forme d’oligarchie qui prétend ordonner le destin de l’humanité et des peuples qui la composent au nom d’une forme de science divinatoire du progrès.
Les populations ne sont pas interchangeables
Le populisme entend rappeler, même s’il le rappelle maladroitement, que le peuple démocratique n’est pas un peuple indifférencié, se laissant définir par la seule abstraction du droit, mais par une culture, des mœurs, une histoire, autrement dit, une identité particulière, qui ne s’épuise pas dans une définition juridique de la nationalité. Un pays ne saurait être indifférent à la population qui le compose. C’est probablement le fait politique le plus inacceptable pour le régime diversitaire, qui croit bien moins à la diversité des peuples qu’à l’interchangeabilité des populations, et qui se permet donc d’imposer aux sociétés une perpétuelle entreprise de rééducation pour les adapter à la mondialisation.
À cette lumière de ces quelques réflexions, on constatera que les démocraties occidentales sont effectivement fragilisées, aujourd’hui, mais pas pour les raisons répétées jusqu’à l’acharnement par les élites mondialisées. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Sélection photos © JSF
Dommage qu’il ne fasse pas le lien entre populisme et néolibéralisme comme le suggère l’économiste David Cayla.
C’est surtout pour l’Est que les choses ont changé après la chute du mur .
» A l ‘Ouest , rien de nouveau » serait on tenté de dire pour reprendre le titre du livre bien connu ( du reste , si l’on avait souffert d’un côté , pour la période , on avait assez bien vécu de l’autre à la même époque )
L’ultra libéralisme n’ a pas attendu la chute du mur pour sa mise en branle avec les fameuses années 80 et ses « Yuppies » .
Pour ce qui est de la démocratie , à chaque fois , il faut préciser de quoi l’ on parle : l’ URSS se prétendait démocratique ; mieux : ses satellites étaient des « démocraties populaires ».
En France , Marianne est elle même soit dépoitraillée , soit casquée : gourgandine ou guerrière , et c’est notre spécialité , comme pour la démocratique Amérique ( EU ) de tenir la bible à côté du revolver .
Donc , pour l’avenir , l’on continuera à mettre ce que l’on veut sous ce vocable .
Je suis bien d’accord avec MBC et je le remercie pour le moment de vrai bonheur qu’il nous a fait partager lors de son merveilleux commentaire dans l’émission du 25:11 de « face à l’info » sur Cnews : mon fils, jeune élève-ingénieur et moi-même avons été pliés de rire en apprenant comment le Canada est devenu une véritable « maison de fous », un modèle qu’une catégorie de zombies français appelleraient de leurs vœux dont les auteurs des 2 commentaires signés Richard et BP ci-présents les idiots utiles d’une dictature de l’actionnariat mondialisé ne respectant que la valeur fric au prix de la mise en esclavage numérisé une humanité réduite à l’état de bétail mû par la peur du fouet (et de ne plus pouvoir accéder à l’auge), troupeau bien dressé se ruant à travers le couloir de vaccination et de castration (trans en transes) vers le stand d’engraissement. Se comporter comme un esclave consentant et comme du bétail uniquement mû par son désir de l’instant, c’est certainement digne et admirable tandis que ces gens qui revendiquent le droit de ne pas se vautrer dans la fange et rester des hommes dignes c’est horrible c’est EXXTRême : l’argument est largement suffisant pour nos zombies.
@ Lafeuille
C’est absurde , cette interprétation de mon commentaire qui ne correspond en rien à ce que j’ai pu écrire ; encore moins suis- je en situation d’être de quelque utilité que ce soit , fusse comme simple « idiot », à » une dictature de l’actionnariat mondialisé etc.. »
Lafeuille est sans doute très content de son « esprit » pour traiter d’idiot un commentateur .
correctif : fût- ce et non fusse .