Par Aristide Renou.
Nous nous sommes permis ce matin de reprendre cette remarquable analyse de la page Facebook d’Aristide Renou. Il sait écrire, analyser, penser à la hauteur voulue un phénomène politique comme celui d’« Éric Zemmour candidat à l’élection présidentielle ». Les lecteurs de Politique magazine et de JSF connaissent bien Aristide Renou dont nous suivons régulièrement les articles écrits avec bien du talent. Nous n’en dirons pas davantage sauf que la présente analyse nous paraît fort utile au stade où en est la campagne d’Éric Zemmour comme de la présidentielle en général. Bonne lecture !
Comme il se doit j’ai regardé la déclaration de candidature d’Éric Zemmour. Je l’ai même regardé plusieurs fois, pour ne pas me fier à une première impression forcément partielle. J’ai également lu et entendu des critiques au sujet cette déclaration. Je parle bien sûr des critiques émises par des gens qui partagent dans les grandes lignes le constat dressé par Zemmour, les seules qui, en l’occurrence, méritent d’être écoutées. Des critiques sur le fond – « Trop sombre », « Crépusculaire », « Absence de propositions », « Passéiste » – des critiques sur la forme – « Trop long », « Trop théâtral », « Trop intellectuel », « Pas adapté au grand public ».
Ces critiques m’ont semblé compréhensibles, mais en définitive non pertinentes.
Prenons le temps de les examiner, elles nous permettrons peut-être de mieux comprendre ce phénomène politique hors-norme qu’est la candidature Zemmour.
Commençons par le fond. Il est incontestable que le discours tenu par Zemmour, de manière générale et pas seulement lors de cette déclaration de candidature, est très sombre. Mais cette obscurité n’est pas celle du crépuscule, comme le disent ses critiques, elle est celle qui précède l’aube. La France que décrit Zemmour marche certes dans les ténèbres, mais en même temps il indique un chemin qui, selon lui, permettrait au cher et vieux pays de sortir de la vallée de l’ombre de la mort et de retrouver la lumière, là-haut, sur les sommets. Il est faux de dire que le journaliste devenu candidat n’offre aucun espoir, puisqu’au contraire son ambition et son programme tiennent en une phrase : rendre sa grandeur à la France – « make France great again », comme on dit en bullshit english. Chez Zemmour le présent seul est sombre. Le passé, en revanche, est éclatant, et l’avenir pourrait être brillant pourvu seulement que les Français se souviennent de ce qu’ils ont été. Si Zemmour est « passéiste », c’est avant tout parce qu’il croit trouver dans le passé de la France des raisons d’espérer pour son avenir.
Zemmour met à la fois en garde contre le plus grand péril – la mort de la France – et il fait la plus grande promesse, celle d’une puissance et d’une fierté nationale retrouvées. Zemmour est donc certes le plus intransigeant et inquiétant des candidats en ce qui concerne le diagnostic, mais il est aussi celui qui est le plus optimiste, ou le plus rêveur, comme on voudra. Tous les autres promettent des réformes, c’est-à-dire essentiellement des ajustements aux nécessités de l’heure, lui seul croit en une véritable résurrection, qui démentirait toutes les prétendues nécessités en vertu desquelles la France a été mise au tombeau. Lui seul, pourrait-on dire, croit aux forces de l’esprit.
Mais, entend-on, retrouver la grandeur française ne constitue pas un viatique suffisant pour remporter une élection présidentielle. Il faut faire des propositions précises, sur tous les sujets censés intéresser les Français. Il faut ce que l’on appelle « un programme ».
En un sens, cela est vrai. Zemmour ne peut pas se contenter de parler d’immigration, de grand remplacement et d’islam. Il doit aussi expliquer quelle est sa position concernant les grandes questions et les grands problèmes qui sont ceux de la France ici et maintenant : politique étrangère, économie, éducation, écologie etc. Zemmour le sait d’ailleurs parfaitement et il a de fait commencé à aborder d’autres sujets que ses thèmes de prédilection.
Si, en revanche, on entend par « programme » un ensemble de mesures technocratiques censées répondre chacune à la préoccupation principale d’un segment de l’électorat, Éric Zemmour doit s’en garder comme de la peste. D’abord parce que ce serait s’aventurer sur un terrain qui n’est absolument pas le sien et où il serait battu à plates coutures. Zemmour est un écrivain, un orateur, un conteur, il n’est pas un technocrate et au jeu des « mesures sérieuses et chiffrées » il trouvera toujours beaucoup plus fort que lui, à commencer par Emmanuel Macron. Ensuite parce que ce serait implicitement contredire la justification de sa candidature : lorsque la survie de la France est en jeu, on ne peut pas perdre son temps à pinailler sur le montant des APL. Éric Zemmour s’est placé d’emblée sur le terrain existentiel et dès lors il ne doit surtout pas en sortir. Ce qui veut dire que l’auteur du Suicide français doit parvenir à coucher ses différentes propositions en termes existentiels, ou du moins en des termes qui ne s’éloignent pas trop de l’existentiel. Zemmour doit certes parler d’autre chose que d’immigration ou de survie de la France, mais il ne doit jamais parler d’autres choses que de la France, quel que soit le sujet abordé.
L’exercice sera difficile, cela ne fait pas de doute. Et d’abord parce que tout le monde cherchera à l’attirer sur le terrain du « programme détaillé » : ses concurrents parce qu’ils comprennent que c’est leur intérêt et les commentateurs professionnels parce que la principale fonction d’un « programme détaillé » est de paraitre justifier leur existence. Difficile, mais pas forcément impossible. Zemmour, en somme, doit être capable de ressusciter la posture gaullienne du Président « voué à ce qui est essentiel et permanent » tandis que le Premier Ministre est « aux prises avec les contingences ». Il doit se contenter d’indiquer le cap sur chaque grand sujet tout en renvoyant le détail à son gouvernement une fois élu. Aujourd’hui, le Président de la République est devenu le premier technocrate aussi bien que la première assistante sociale de France, et, lorsqu’il y a un trou dans la chaussée en bas de chez soi, c’est tout juste si on ne s’attend pas à ce que le locataire de l’Elysée vienne lui-même le reboucher, avec sa petite pelle et son seau d’enrobé.
Les Français sont-ils disposés à élire à nouveau pour président un homme qui leur dira en substance « L’intendance suivra ! », plutôt qu’un administrateur qui sait quel Cerfa il faut remplir pour obtenir l’allocation truchmuche ? Je l’ignore. Mais, si ce n’est pas le cas, Zemmour peut tout de suite retourner faire des piges sur CNews : Macron – ou n’importe quel clone de Macron – a déjà gagné.
Il est donc à mon avis tout à fait approprié que sa déclaration de candidature s’en soit tenue à des généralités, et il est à souhaiter pour lui qu’il ne devienne jamais beaucoup plus précis.
Venons-en à la forme. Les critiques sur la forme peuvent se résumer à : « Pas adapté au goût du grand public ». Et en effet, on peut craindre que cela soit le cas. Mais, d’un autre côté, la forme choisie par Zemmour est parfaitement en accord avec ce qu’il est, ou avec l’image qu’il donne de lui-même depuis trente ans. Sa force est son verbe, allié à sa culture historique et littéraire. Il a donc fait très long (selon les critères d’aujourd’hui, qui postulent que trente secondes est le maximum d’attention qu’on peut attendre de l’individu moyen), historique et littéraire, multipliant les références et les allusions. Sa force est également de refuser de se plier aux conventions en cours dans les milieux médiatiques et politiques. Sa force est de ne jamais sembler avoir recours à des « éléments de langage », de ne jamais être dans la « communication », de ne jamais se plier aux exigences du politiquement correct. Sa force est son absolue cohérence depuis trente ans, alors que ses adversaires paraissent avoir pour seul point fixe leur ambition.
Zemmour a donc refusé la convention qui consiste à lire un prompteur pour ne pas avoir l’air de lire son texte. Il a lu ostensiblement son texte. Il a, à quelques coup d’œil près, refusé la convention qui consiste à fixer la caméra pour avoir l’air de regarder les spectateurs dans les yeux, et ses coups d’œil signifiaient : « Oui, je sais qu’il y a une caméra, mais je refuse de la regarder ». Et ainsi de suite. Il a joué sur ses forces plutôt que d’aller sur le terrain de ses adversaires. Il a mis en scène le fait que lui, lui seul, ne faisait pas semblant.
Si un discours de cette sorte, avec ce contenu et cette forme, n’est plus capable de faire vibrer un nombre significatif de Français, alors Zemmour n’a aucune chance de gagner. Il n’a aucune chance de gagner car cela signifie que la France qu’il cherche à sauver est déjà morte, qu’il arrive trop tard.
En fait, la plupart des critiques qui sont adressées à Zemmour reviennent à lui reprocher de ne pas se comporter comme un homme politique devrait se comporter. Mais la candidature de Zemmour repose sur l’idée que les Français sont prêts à élire quelqu’un qui n’est pas un professionnel de la politique ni un familier de l’appareil d’Etat, mieux : qu’il est nécessaire que quelqu’un comme lui soit élu. La première étape du salut de la France selon Zemmour consiste d’abord en ceci : se libérer de la superstition de la compétence et de l’expérience qui, depuis un demi-siècle, a conduit les Français à se donner pour gouvernants des « impuissants », selon l’expression qu’il a employée.
Zemmour doit donc à toutes forces refuser de se comporter comme un professionnel de la politique. Il ne doit surtout jamais donner l’apparence de devenir un homme politique « comme les autres », car son titre à gouverner – tel qu’il le conçoit – est précisément qu’il est entièrement différent de ceux qui ont gouverné ces cinquante dernières années. Et, notamment, qu’il ne « s’adapte » pas.
En disant tout cela, je n’affirme absolument pas que Zemmour pourrait être élu de en faisant campagne de cette manière-là. Il est très possible, et même très probable, que les contraintes de la politique démocratique se révèlent insurmontables et, surtout, que les Français ne soient pas prêts à effectuer le « saut de la foi » que Zemmour leur demande de faire. Je dis simplement que, si Éric Zemmour a une toute petite chance d’être élu, elle est à chercher du côté du chemin, très étroit, qu’il cherche à emprunter. Il a donc raison, à mon sens, de diriger ses pas de ce côté-là, car il n’y en a aucun autre.
Je ne spéculerai pas plus avant sur la possibilité qu’il soit élu, et encore moins sur ce qu’il ferait réellement s’il était élu. A ce stade cela me semble relever plus de la lecture du marc de café que de l’analyse politique sérieuse. Je constate juste que la présence d’Éric Zemmour rend cette campagne un peu intéressante, et c’est déjà beaucoup. ■
Excellent article, d’ailleurs c’est DE GAULLE qui disait: vous me voyez fixant le prix du lait, il doit rester dans le régalien et ne pas jouer au Père NOËL, qui n’est qu’une arnaque pour enfants attardés
Excellente analyse d’Aristide Renou en effet. J’ajouterai simplement une note personnelle. Eric Zemmour a le courage de demander à la France un sursaut salvateur. S’il n’était pas là pour le tenter, à ce stade aucun autre candidats n’en est capable. Quelle chance avait le général de Gaulle en juin 1940 de convaincre les français de continuer la guerre sur le territoire national et depuis ses possessions d’outremer contre l’Allemagne ? Quelle chance avait Jeanne d’Arc en partant de son village avec quelques compagnons d’armes de convaincre le dauphin de redresser la tête et de l’aider à se battre contre les anglais afin de se faire sacrer roi à Reims ? Sur le moment, dans l’esprit de la grande majorité des gens sensés, expérimentés et avisés , aucune chance n’existait de réussir des projets aussi fous sauf dans l’esprit de ces rares personnes animées de la foi en la France envers et contre tout.