Par Pierre Builly.
Les compagnons de Jéhu de Michel Drach (1966).
La belle époque.
Comment dire ? Malgré toute la sympathie qu’on peut donner aux personnages chevaleresques et aux héros courageux et l’aversion qu’on doit porter aux traîtres et aux vermines, malgré les moyens importants donnés au réalisateur Michel Drach, la qualité des décors et celle de la plupart des interprètes, on reste un peu sur sa faim.
Ce qui est tout de même paradoxal après avoir regardé un long feuilleton de la belle époque de la télévision (1966) composé de cinq épisodes de 55 minutes et un dernier d’une heure et demie, un peu plus de 6 heures, donc, si je ne me trompe pas.
Pour n’avoir pas lu le roman d’Alexandre Dumas dont la série est adaptée, je suis bien incapable de dire s’il comporte des aventures plus nombreuses et cette inventivité qui, avec les coups de théâtre et la faculté de perpétuellement relancer l’attention du lecteur, fait le charme absolu de l’auteur. Tel qu’il est le feuilleton m’a paru un peu distendu et répétitif, manquant de rythme et de vigueur : c’est honorable, mais ce n’est pas très bien.
Pourtant les prémisses sont passionnantes. La période historique, d’abord. La France est en train de sortir de l’horreur révolutionnaire. Les buveurs de sang de la Terreur ont été passés au rasoir national en Thermidor (juillet 1794), mais la guerre civile est toute proche. La bourgeoisie, qui est la pleine (et seule) bénéficiaire de la Révolution aspire à jouir de sa prospérité et des Biens nationaux qu’elle a acquis pour une ou deux bouchées de pain. Elle souhaite qu’un homme fort asseye le nouveau régime et rende ses conquêtes irréversibles. Ce sera Bonaparte.
Mais dans le Midi, en Rouergue, en Bretagne, en Normandie, les feux de la fidélité au Roi sont loin d’être éteints, malgré l’écrasement génocidaire de la Vendée à la fin de 1793. Et dans le Lyonnais, dans le Forez, dans la Bresse, les foyers en sont nombreux. Il n’est pas prouvé pour autant que des groupes royalistes de Compagnons de Jéhu aient rançonné les autorités pour alimenter en or la rébellion menée en Bretagne par Georges Cadoudal. L’idée n’était pas moins séduisante de situer un roman dans cette France meurtrie où les tensions, les ressentiments, les haines sont si vifs et où l’Histoire retient son souffle, ne sachant de quel côté elle va basculer.
Dumas ficelle habilement son affaire, comme d’habitude, avec des procédés éprouvés : les deux héros, le républicain Roland de Montrevel (Yves Lefebvre) et le royaliste Charles de Sainte-Hermine (Claude Giraud) qui, sous le pseudonyme de Morgan dirige les Compagnons, sont également beaux et chevaleresques. De plus Morgan est secrètement marié avec Amélie de Montrevel (Josée Steiner), la sœur de Roland qui, lui, a commis la folie d’épouser naguère la diabolique Agathe de Septeuil (Andréa Parisy), espionne perverse au service de qui la paie le mieux, les Anglais jadis et désormais Fouché. Voilà qui ouvre des perspectives intéressantes, n’est-ce pas ?
Ajoutons à cela l’intervention de bandits qui usurpent la qualité de Compagnons de Jéhu pour dévaliser et torturer, menés par Toussaint (Alain Mottet), un ancien serviteur haineux des Sainte-Hermine, les trahisons, substitutions, félonies, vilenies de plusieurs canailles, une longue parenthèse qui voit nos amis les Compagnons se retrouver en Bretagne aux côtés de Georges Cadoudal (William Sabatier), dernier résistant à Bonaparte, qui aurait tant voulu en faire un maréchal d’Empire mais qu’il se résolut de faire guillotiner en juin 1804 (après d’autres complots, bien après la fin du film) et des tas d’intrigues adventices…
Écrivant cela, je me rends compte que je suis en pleine contradiction avec mes propos un peu plus avant et que le récit offre de nombreuses perspectives et des méandres tortueux ; mais alors, qu’est-ce qui ne va pas ? Peut-être, tout simplement, que les deux personnages principaux, l’un et l’autre parfaits, n’ont finalement pas beaucoup d’épaisseur et que disparaissent rapidement, au fil des épisodes, des protagonistes dont la perversité et la méchanceté auraient pu être davantage employés (l’ancien serviteur félon Toussaint, l’aventurière Agathe).
Michel Drach filme ces longues aventures sans trop de brio, mais avec beaucoup d’honnêteté ; il insère pratiquement à chaque épisode un combat de sabres spectaculaire et bien réglé par le maître Claude Carliez ; il ne mégote pas sur l’ordinaire du genre : apparition de (faux) spectre, échelles de corde, passages secrets, cavernes profondes, escaliers dérobés, cryptes funéraires, cercueils vides d’ossements mais emplis de pièces d’or, pénitents masqués, forêts profondes et tout le toutim.
La distribution est plutôt réussie ; il y avait, dans ces années-là, de véritables spécialistes des feuilletons télévisés que, d’un opus à l’autre, on retrouvait avec plaisir : François Maistre, Jean Daurand, Gisèle Casadessus, Hélène Dieudionné, Henri Lambert…
Et puis je me demande toujours pourquoi ces deux-là n’ont pas connu une réussite plus éclatante : Claude Giraud, qui avait la prestance, la voix, le talent, la beauté des traits mais qui a sans doute fait un peu trop de télévision et de théâtre. Et Andréa Parisy, luxurieuse, poivrée, perverse, terriblement érotique, qui aurait pu être une sorte de Viviane Romance moderne… Mais est-ce que l’emploi (comme on dit sur la scène) n’avait pas déjà disparu ? ■
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