Par Marc VERGIER.
Extrait légèrement détourné de l’acte deux de la tragédie du même nom par Paul Claudel. 2e version, Mercure de France 1959 (édition Folio : p. 141 sq.)
«
Voici le moment qui est venu entre vous et moi,
où il faut que vous me tuiez ou que je m’établisse sur vous.
Voyez-moi, je suis seul et désarmé !
(pause)
Ne dites-vous rien maintenant ? Je vous le dis, vous ne pouvez rien, et en voici la raison :
Parce que vous êtes des lâches, et la flétrissure d’une triple dégradation est sur vous.
Et la première est l’ignorance par laquelle vous ne pouvez pas répondre oui ou non ; mais vous restez bouche béante et comme des hommes égarés.
Et la seconde est l’Autre sur qui pèse la malédiction ; et il est fait pour rester chez lui et pour se soumettre sous la main forte et sage ; mais de l’Autre vous avez fait votre maître.
Et la troisième est l’esprit de parole et de langue.
Mais je lâcherai sur vous une autre langue,
Insatiable, irrésistible.
J’établirai le glaive sur vous,
Le glaive qui perce et qui sépare, le glaive qui pénètre et qui poursuit !
O imbécillité ! Ô inertie ! Charge énorme des hommes ignorants ! Voici que je me suis levé.
Vous étiez couchés sur moi comme une nourrice qui s’est étendue sur le corps de l’enfant ; mais je me suis levé et je l’ai jetée par terre.
Et le monde m’écrase, mais je prévaudrai contre lui.
(il marche d’un air terrible au travers de la salle, puis s’arrêtant il se tourne vers eux.)
Au nom de la mer !
Par la tragique naissance de cette journée,
Par l’orage
Dont les montagnes et les pyramides au-dessus des faubourgs désolés
Arment le Sud, faisant injure au ciel sanglant !
Par le ressentiment du tonnerre et le poumon sulfureux de la foudre rose !
Par l’attelage des vents qui traînent leur roule sur la masse bondissante des mugissantes forêts !
Par l’hiver,
Du vent qui courbe les arbres, chasse les mondes de nuages, crible de sable les fanes brulées des pommes de terre, et de la neige aveuglante ;
Et de la pluie haute, infinie, qui fusille les routes et les buissons, et les meules, et les labours !
Par la tranquillité de l’air obscur, par les apparitions armées dans la nuit des sapins !
Par la violence de l’incendie et de l’inondation irrésistible !
Par le tourbillon ! par le silence !
Et par toutes les choses terribles !
A la fin, vous qui êtes là, ne reconnaîtrez-vous pas qui je suis ?
voix lamentable dans la foule.
Tête d’or ! Tête d’Or !
Quelqu’un, les yeux fixés sur le sang.
Je n’avais jamais vu de sang humain répandu.
Tête d’Or
je ne suis pas venu comme l’humble dieu de la soupe ,
Bienveillant, clignant des yeux dans la vapeur de la viande et du chou.
– Pousse un cri âpre, mon âme, élance-toi en avant ! Je vous propose de vous laver de votre honte et de vous lever de votre bassesse.
Vous êtes ici à l’étroit et je vous propose de sortir,
Et de vous avancer sur le monde, vous étant rangés par lignes et par colonnes,
Afin de connaître le monde universel et de vous y réunir effectivement
Par la force et par la possession.
»
Note : Paul Claudel, lui , à la place de « l’Autre », écrit « la femme, …elle est faite pour rester à la maison….. ; mais de la femme, vous avez fait votre maîtresse. »
Je demande pardon à ses mânes ! ■