Lettre commune des ambassadeurs de Russie et de Chine publiée aux USA en réponse à la non-invitation de leurs pays à la visio-conférence sur la démocratie des 9 et 10 décembre. Elle a été publiée le 26 novembre par le magazine US « National Interest », (Traduite et publiée par lesakerfrancophone.fr et reprise le 7.12 par Egalité et réconciliation).
Chacun sait ou devrait savoir que la hantise des diplomates c’est la rupture. Ils sont là pour l’éviter Il s’y emploient dans cette lettre qui conjugue des considérations de pure sagesse et l’invocation emphatique des droits et valeurs de l’idéologie dominante retournée contre ses auteurs historiques. La paix, le bonheur des peuples, le progrès, l’humanité réunie, ont toujours enrobé les discours officiels à l’aube ou même au cours des grands conflits entre puissances. Ils n’ont jamais empêché que se déploie en arrière plan, en attendant d’accéder au premier, la course aux armements, la guerre commerciale, le choc des propagandes. Car, si l’économie et le commerce sont des paramètres essentiels des rivalités, c’est la volonté de puissance politique des nations qui surplombe et domine l’ensemble, Que l’hégémonisme mondial ait été longtemps et soit encore du côté américain, cela ne fait pas de doute. Que d’autres y aspirent, non pas la Russie qui n’en a pas les moyens, mais la Chine qui tente de les réunir, cela ne fait aucun doute. C’est pourquoi la très mauvaise politique qui consiste à ostraciser la Russie et à l’obliger à l’alliance chinoise, ne devrait être ni celle de l’Europe ni celle de la France et cessera même, sans-doute, un jour plus ou moins proche, d’être celle des États-Unis face à la Chine. L’Europe aura passé son tour et ce retournement américano-russe se fera à son détriment. Pour l’instant, donc, les diplomates parlent encore. On ne saurait dire pour combien de temps.
Respecter les droits démocratiques des peuples [Lettre du 26 novembre]
Les États-Unis accueilleront le Summit for Democracy, en ligne, les 9 et 10 décembre 2021, s’autorisant à décider qui peut assister à l’événement et qui ne peut pas y assister, qui est un « pays démocratique » et qui ne peut prétendre à ce statut. Produit évident de sa mentalité de guerre froide, cette initiative va attiser la confrontation idéologique et la fracture dans le monde, en créant de nouvelles « lignes de démarcation ». Cette tendance est en contradiction avec l’évolution du monde moderne. Il est impossible d’empêcher la formation d’une architecture polycentrique mondiale, mais cela pourrait nuire au processus objectif. La Chine et la Russie rejettent fermement cette tendance.
La paix, le développement, l’équité, la justice, la démocratie et la liberté sont des valeurs communes à l’humanité. La démocratie n’est pas l’apanage d’un certain pays ou d’un groupe de pays, mais un droit universel de tous les peuples. Elle peut être réalisée de multiples façons, et aucun modèle ne peut convenir à tous les pays. L’efficacité de la voie choisie par un pays dépend de sa capacité à répondre aux réalités du pays, à suivre la tendance du moment et à favoriser le développement économique, la stabilité et le progrès social, ainsi qu’une vie meilleure pour la population. En définitive, elle repose sur le soutien du peuple et sera prouvée par sa contribution au progrès humain.
Par conséquent, un critère de base de la démocratie devrait concerner le peuple, c’est-à-dire savoir si le peuple a le droit de gouverner son pays, si ses besoins sont satisfaits et s’il éprouve un sentiment d’épanouissement et de bonheur. Si le peuple n’est réveillé qu’au moment de voter et qu’il est renvoyé en hibernation une fois le scrutin terminé, s’il est servi avec de beaux slogans pendant les campagnes mais qu’il n’a pas son mot à dire après l’élection, s’il est courtisé pendant la prospection mais laissé sur le carreau par la suite, il ne s’agit pas d’une véritable démocratie.
La Chine possède une démocratie socialiste étendue et complète. Elle reflète la volonté du peuple, s’adapte aux réalités du pays et bénéficie d’un fort soutien de la population. En Chine, le peuple a le droit d’être élu et peut s’impliquer profondément dans la gouvernance nationale, en exerçant son pouvoir par le biais des Congrès du peuple au niveau national et à d’autres niveaux. La Chine compte huit partis non communistes participant à la gouvernance, ainsi qu’un système unique et des institutions correspondantes de consultation politique.
En ce qui concerne les questions relatives aux intérêts de la population, des consultations et des discussions larges et suffisantes ont lieu avant toute prise de décision. Les politiques et les mesures ne peuvent être introduites que lorsqu’il y a un consensus sur le fait qu’elles correspondent aux souhaits et aux besoins de la population.
Il a été prouvé que la démocratie par processus intégral fonctionne en Chine, et qu’elle fonctionne très bien. La Chine appelle à la construction d’une communauté avec un avenir commun pour l’humanité.
En tant que résidents d’un même village planétaire, nous devons gérer les affaires internationales par la consultation.
La Russie est un État fédéral démocratique régi par la loi et doté d’une forme de gouvernement républicain. La démocratie est le principe fondamental de son système politique. Les institutions démocratiques ont été renforcées par les amendements à la Constitution adoptés par référendum en 2020. En Russie, le développement de la démocratie est étroitement lié à la culture et aux traditions. Les traditions de son parlementarisme remontent à plus de cent ans. Le système politique russe évolue régulièrement et a besoin d’un environnement stable et calme qui garantisse les droits et les intérêts de sa population.
La démocratie ne concerne pas seulement la gouvernance intérieure ; elle doit également se refléter dans les relations internationales. Un gouvernement véritablement démocratique soutiendra la démocratie dans les relations internationales. Il ne favorisera pas l’hégémonie et la division à l’étranger tout en construisant la démocratie et l’unité chez lui. La voie de la prospérité des nations passe par une coopération respectueuse entre elles, malgré certaines divergences de vues sur des questions particulières.
La souveraineté, la sécurité et les intérêts de développement d’un pays ne doivent pas être violés. S’immiscer dans les affaires intérieures d’autres pays – sous prétexte de lutter contre la corruption, de promouvoir les valeurs démocratiques ou de protéger les droits de l’homme –, entraver leur développement, brandir le gros bâton des sanctions et même porter atteinte à leur souveraineté, à leur unité et à leur intégrité territoriale vont à l’encontre de la Charte des Nations unies et d’autres normes fondamentales du droit international et sont manifestement antidémocratiques.
Aucun pays n’a le droit de juger le paysage politique vaste et varié du monde à l’aune d’un seul critère. Imposer son système politique par le biais d’une révolution de couleur, d’un changement de régime et même du recours à la force va à l’encontre du droit international et est manifestement antidémocratique.
Les affaires internationales devraient être traitées conformément aux principes de consultation étendue, de contribution conjointe et de bénéfices partagés, et décidées dans l’esprit d’un véritable multilatéralisme. Il devrait y avoir une gouvernance mondiale plus inclusive, et non quelque chose comme « la force fait le droit ».
Rechercher la suprématie et se placer toujours en premier sont des actes d’hégémonisme et d’unilatéralisme et sont, de toute évidence, anti-démocratiques.
La sécurité et le développement communs sont une aspiration dominante de la communauté internationale. Utiliser l’idéologie pour rabaisser d’autres pays et promouvoir une géostratégie de sécurité absolue conduira à la division et à la confrontation, ce qui est évidemment anti-démocratique.
Il n’y a qu’un seul système international dans le monde, à savoir le système international avec les Nations unies en son centre. Il n’y a qu’un seul ordre international, c’est-à-dire celui qui repose sur le droit international. Et il n’y a qu’un seul ensemble de règles, c’est-à-dire les normes de base régissant les relations internationales fondées sur les objectifs et les principes de la Charte des Nations unies. Vanter l’« ordre international fondé sur des règles » sans se référer à l’ONU et au droit international et tenter de remplacer les règles internationales par les dictats de certains blocs relève du révisionnisme et est évidemment antidémocratique.
Les guerres et les troubles n’ont pas manqué dans le monde pour prouver que la propagation de la « démocratie », de son système politique et de ses valeurs à l’encontre de ceux des autres pays compromet gravement la paix, la sécurité et la stabilité régionale et internationale. Les bombardements de la Yougoslavie, l’intervention militaire en Irak, en Afghanistan et en Libye, et la « transformation démocratique » ne font que du mal. Les pays devraient s’attacher à bien gérer leurs propres affaires, sans critiquer les autres avec condescendance. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter de la démocratie en Russie et en Chine. Certains gouvernements étrangers feraient mieux de penser à eux-mêmes et à ce qui se passe chez eux. Est-ce la liberté quand divers rassemblements dans leurs pays sont dispersés avec des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes ? Cela ne ressemble pas beaucoup à la liberté.
Face à un ensemble de défis mondiaux, les pays doivent de toute urgence renforcer la coordination et la coopération pour un progrès commun. Surtout aujourd’hui où la communauté internationale doit améliorer la coopération entre tous les pays pour contrer la pandémie de Covid-19, favoriser le développement économique et neutraliser les menaces transfrontalières.
La Chine et la Russie appellent les pays à cesser d’utiliser la « diplomatie des valeurs » pour provoquer la division et la confrontation, à pratiquer le respect mutuel et la coopération gagnant-gagnant dans les relations internationales, et à œuvrer pour une coexistence harmonieuse entre des pays ayant des systèmes sociaux, des idéologies, des histoires, des cultures et des niveaux de développement différents.
Anatoly Antonov (ambassadeur de Russie aux États-Unis) et Qin Gang (ambassadeur de la République populaire de Chine aux États-Unis) ■
Merci à Marc VERGIER de sa transmission
Sous le titre « Le bilan humain d’années de bombardements aériens étatsuniens », le New-York Times, dans son « Briefing »annonce, dans les termes suivants, la publication des résultats de 5 année d’enquête sur le sujet :
Cinq ans de recherches révèlent que les attaques aériennes en Irak, Syrie et Afghanistan ont été entachées par une préparation gravement déficiente, un ciblage hâtif et imprécis, des milliers de civils morts, dans une quasi-impunité. Très loin des drones « aux yeux d’aigle » [all-seeing] et des bombes de précision vantées par le gouvernement US.
Pour aller plus loin voir :
https://mail.google.com/mail/u/0/h/1pvktqcg4yc3x/?&th=17dd66e194c10375&v=c
Cette enquête – très méritoire – et ces révélations tardives ne peuvent effacer de nos mémoires, ni de celles des dirigeants non-occidentaux, les bombardements de propagande mensongère. Si elles sont un modèle digne d’inspirer ces dirigeants, ils justifient aussi la réaction exprimées par cette lettre commune, Un évènement peu commun, extraordinaire même, vu le poids démographique, militaire et géopolitique représenté par ces deux ambassadeurs.
Au moins, il existe aux Etats-Unis une presse libre et indépendante capable de dénoncer s’il le faut les actes critiquables commis par leur gouvernement. Une telle chose est-elle seulement possible en Russie ou en Chine lorsque des actes tout aussi critiquables sont commis par leur gouvernement ? Il est permis d’en douter.