Par Pierre Builly.
Angélique marquise des anges de Bernard Borderie (1964)
Cet éclatant objet de désir…
Eh bien voilà, je viens de m’y mettre, d’entreprendre une croisière chamarrée dans L’Intégrale des aventures de la Marquise des anges. Je sais bien que les deux derniers épisodes ne valent pas tripette (malgré, ici et là, quelques bonnes séquences), mais les trois premiers méritent, à mes yeux, une attention soutenue. Et la re-vision que je viens de faire du premier film me conforte tout à fait dans cette idée : près de deux heures d’émotion, de retournements de situation, d’images magnifiques et une distribution éclatante avec plein de seconds et de troisièmes rôles magistraux qui donnent tout leur suc à la réalisation de Bernard Borderie, qu’on avait connu auparavant beaucoup moins inspiré qu’il ne l’est ici.
Est-ce qu’il serait très exagéré de penser que la série des Angélique qui commence en 1964, revêt à peu près le même caractère d’absolue innovation, pour le genre des films de cape et d’épée, que la série des James Bond le fait en 1961 pour le genre des films d’espionnage ? Sûrement pas, tellement dans l’un et l’autre des cas, on passait d’un monde à un autre, on enterrait à jamais les vieilles fariboles et on entrait dans une forme de modernité.
La mode des films de divertissement donnait déjà une grande place à ces aventures qui se déroulaient entre la fin du 15ème siècle et celle du 17ème : en quelques années, quelques réalisateurs et quelques acteurs s’en étaient fait une spécialité : s’appuyant sur l’inépuisable richesse des Trois mousquetaires, André Hunebelle en 1953, Bernard Borderie en 1961 faisaient vivre une quantité de rejetons : le premier, avec le concours du bondissant Jean Marais, dans Le bossu, Le capitan, Le miracle des loups ; le second avec Le chevalier de Pardaillan et Hardi Pardaillan ! ; et rejoints en cela par Le capitaine Fracasse de Pierre Gaspard-Huit ou Le masque de fer d’Henri Decoin. Tout cela entre 1960 et 1964.
Et précisément, en 1964, au milieu de personnages finalement très classiques et très sages, voilà qu’Angélique marquise des anges enflamme la scène : violence, noirceur et sensualité. C’est formidable et ça change tout : pour une fois, dans des films de cape et d’épée largement diffusés, les méchants sont vraiment immondes, le feu brûle, le sadisme et la cruauté sont à leur place ; et la sensualité, le plaisir, la chair y sont aussi. Premières séquences du film : dans un paysage magnifique, équilibré, civilisé, extrêmement français, deux adolescents jouent à se poursuivre : Angélique de Sancé de Monteloup (Michèle Mercier) et le jeune beau paysan Nicolas (Giuliano Gemma) ; en riant Nicolas éclabousse Angélique : sous son corsage trempé apparaissent ses seins et Nicolas en est sidéré ; tout de suite après, dans la minute même, le tocsin sonne : les brigands viennent ravager la contrée et les villageois courent se réfugier à l’abri tutélaire du château : en cinq minutes, tout est dit de ce que sera le film : le corps de l’actrice, la violence sanglante de l’époque, les demeures patriciennes où les personnages vont évoluer.
Les deux auteurs du personnage d’Angélique, Anne et Serge Golon avaient retrouvé la formidable recette de grands feuilletonistes : rebondissements continus, retours de personnages qu’on croyait morts, tortures diverses, poisons mortels, trahisons inimaginables, chantages affreux, corridors terrifiants, venelles sombres, conspirations scandaleuses, moines immondes, amis fidèles, serviteurs exotiques autant que dévoués, passions amoureuses, appuis habiles sur l’Histoire romancée.
Et comme on est là dans une période trouble de la vie de la France, les débuts du règne de Louis XIV, encore tout brûlant des horreurs de la Fronde, de la conspiration des bourgeois et des Grands pour mettre fin à la légitimité de l’État, il y a mille sujets à traiter tous plus excitants les uns que les autres.
Bon. Pour ceux qui n’auraient pas vu le film, voici de quoi il s’agit : Angélique/Michèle Mercier a été mariée au comte Geoffrey de Peyrac (Robert Hossein), richissime, savant, esprit curieux qui a suscité bien des jalousies autour de lui ; elle détient, de plus, le secret d’une conspiration menée jadis contre Louis XIV (Jacques Toja) par les Frondeurs qui voulaient s’en débarrasser.
Et elle est, pour son malheur, la plus jolie femme du Royaume, objet d’un désir universel, torrentueux, irrépressible de tous ceux qui le croisent. Pour l’atteindre on envoie Geoffrey au bûcher alors qu’Angélique, désespérément amoureuse, est bien obligée de se réfugier à la Cour des miracles que régit désormais son ancien amoureux Nicolas.
Je ne suis pas certain que l’on me suive mais ça viendra au prochain numéro. N’empêche qu’il y a des tas de scènes délicieuses et horrifiantes, comme, par exemple, la poursuite d’Angélique par des spadassins féroces dans les couloirs déserts des Tuileries ou l’atmosphère putride de la Cour des miracles…
Mais, même si l’on est tout dépité de voir le bûcher flamboyant de la place de Grèves carboniser (en principe !) Geoffrey de Peyrac, on sait que, sous le thème musical remarquable de Michel Magne, il y aura d’autres aventures d’Angélique… On en est même impatient d’y être. ■ (Série à suivre).
* Parution de la suite les 28 – 29 – 30, et 31 décembre.
DVD de l’intégrale autour de 20 €
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Quelle bonne idée, Pierre Builly, de nous rappeler cette saga cinématographique d »excellente qualité: du vrai cinéma populaire, acteurs merveilleux, décors et costumes somptueux, nous plongeant avec un bon esprit dans le Grand Siècle de notre histoire de France.
Coïncidence? Vos articles tombent, à quelques jours près, sur l’anniversaire des cent ans de la naissance d’Anne Golon (née Simone Changeux) à Toulon (17 décembre 1921). Je ne sais pas si vous comptez évoquer l’oeuvre littéraire à l’origine des films, mais cela en vaudrait la peine, car elle aussi est de qualité, et, ce qui ne gâte rien dans nos colonnes, très profondément monarchique (lire le merveilleux « Angélique et le Roy »). A noter aussi qu’une bonne moitié des romans se passe au Canada français; la documentation (sur Québec, les innombrables tribus indiennes…) en est étonnante, elle fut réunie par Serge Golon, le mari d’Anne, qui avait une formation d’ingénieur et de géologue. C’est à ma connaissance un des très rares romans français qui évoque de façon aussi précise (et passionnante) la Nouvelle France du 17ème siècle: un Fenimore Cooper de chez nous!
Ce serait bien volontiers, Asinus, que j’évoquerais l’excellente suite de romans dont les premiers, seuls, ont donné lieu à adaptations cinématographiques. Mais il y a bien trop longtemps que je l’ai lue pour me le permettre.
Au moins votre intervention me permet-elle de rendre hommage à une dame de très haute qualité qui m’avait prêté les volumes qu’elle possédait : la mère de nos amis Augier, tous grands militants d’AF de notre section de Grenoble.
Cela étant, vous avez raison : le cycle romanesque donne de la monarchie une image favorable et les films n’y sont nullement hostiles.
À suivre donc !
Pour fêter les cent ans d’Anne Golon, les éditions de l’Archipel ont publié, en novembre dernier, une édition du centenaire de « Angélique marquise des anges ». Conforme au texte de 1957, ce volume, en vente dans toutes les librairies et sur internet, contient une préface de Nadine Goloubinoff, fille d’Anne Golon, et un cahier hors texte de documents rares ou inédits.