Par Antoine de Lacoste.
Le monde occidental est en émoi. La justice russe vient de prononcer la dissolution des deux branches de l’ONG Memorial : celle qui se consacre à l’étude du passé soviétique et celle qui défend les droits de l’homme en Russie.
Chacun y va de sa rengaine habituelle : le secrétaire d’Etat américain Blinken dénonce la « persécution » dont est victime Memorial « affront à ses nobles missions et à la cause des droits humains partout dans le monde ». Jean-Yves Le Drian, notre sémillant ministre des Affaires étrangères nous fait part de son « indignation », l’Allemagne de son « inquiétude », etc.
Il y a un écran de fumée savamment entretenu autour de cette affaire présentée comme une réhabilitation de l’URSS voulue par Vladimir Poutine. Or ce dernier n’a jamais nié les crimes du communisme en général et de Staline en particulier. Il les a plusieurs fois condamnés et a autorisé l’ouverture à Moscou d’un Musée du Goulag.
En 2017, il a inauguré un mémorial en hommage aux victimes des répressions politiques, appelé Mur du chagrin. La date n’a pas été choisie au hasard puisqu’elle correspond au centenaire de la Révolution d’Octobre, comme l’a rappelé Poutine lui-même dans son discours. En 2020 enfin, lors de l’inauguration de la grandiose « Cathédrale des forces armées russes » appelée aussi Cathédrale de la Résurrection du Christ, Poutine, en compagnie du patriarche de Moscou Cyrille, a voulu que l’inauguration ait lieu le 22 juin, jour du « Souvenir et du Chagrin », englobant aussi bien les victimes politiques de la répression soviétique que les soldats russes morts sur les champs de bataille.
Mais il est vrai aussi que le Président russe a toujours refusé de faire de l’ère soviétique une parenthèse dans l’histoire de la Russie. Il a affirmé avec force qu’il fallait accepter le passé et qu’il y avait continuité entre la Fédération de Russie et l’Union soviétique. Ce lien est d’ailleurs inscrit dans la Constitution russe.
Il n’est pas question pour Poutine de tirer un trait sur cette période, en particulier sur la « Grande guerre patriotique » qui vit la victoire de l’Armée rouge sur les Allemands. Ce fait d’armes et les vingt millions de morts qui l’ont accompagné sont essentiels pour lui comme pour la majorité des Russes. Cette ambivalence est au cœur du souci des dirigeants russes de donner une cohérence au roman national du pays. Et la cohérence de cette histoire passe par l’acceptation du passé glorieux comme tragique. Cela ne signifie pas pour autant que les millions de morts du Goulag sont oubliés.
Tout cela peut être discuté mais c’est ainsi que les Russes voient leur histoire et Poutine sait bien que l’aspect mémoriel de sa présidence est important pour le peuple russe. Il pousse d’ailleurs le processus très loin puisqu’il s’était rendu en France en 2011 à l’invitation de François Fillon pour honorer le corps expéditionnaire des 20 000 russes envoyés en France pour combattre à nos côtés de 1916 à 1918. Un monument a été alors inauguré Place du Canada, à Paris.
Alors quid de Memorial dans tout cela ? En réalité ce ne sont pas tant les recherches sur le Goulag qui ont posé problème, mais la volonté de cette ONG de publier des listes de bourreaux. Les dirigeants russes ont toujours refusé de se lancer dans des procès mémoriels interminables qui auraient potentiellement concernés des millions de personnes. Boris Eltsine en avait parlé puis avait reculé devant l’ampleur des protestations. Les Allemands eux-mêmes y avaient renoncé lors de la réunification.
Le Président de la branche française de Memorial, Nicolas Werth, déclarait ainsi sur France Culture le 30 décembre : « Les ennuis ont commencé pour Memorial à partir du moment où elle a commencé à publier des noms de responsables d’assassinats. » Plus de 40 000 noms ont ainsi été publiés. Outre le fait que ces listes comportaient des erreurs, le pouvoir russe n’a pas accepté cela pour les raisons indiquées plus haut.
Et puis surtout, comme le dit Le Monde du 30 décembre : « L’ONG est en effet progressivement sortie du seul champ historique et mémoriel pour s’impliquer dans la promotion des droits de l’homme, les programmes éducatifs ou la défense de prisonniers politiques ». Nous sommes loin du Goulag et de Staline.
Cerise sur le gâteau : « C’est elle encore qui a dénoncé les exactions commises en Tchétchénie durant les deux guerres russo-tchétchènes des années 2000. » Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet…
L’affaire Memoriel est donc bien plus complexe que ce qu’en font les médias et les dirigeants occidentaux. Mais nous savons depuis longtemps que la caricature outrancière est inhérente au système. ■
Antoine de Lacoste
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Et si n fermait la parenthèse soviétique et on reprenait l’histoire où elle était en 1917 avec la Russie des Tzars ?